C’est à une légende de l’underground rock parisien que Camion Blanc consacre un copieux hommage en trois parties : Marc Zermati, disparu en 2020. Créateur du label Skydog qui eut un impact décisif dans la carrière d’Iggy Pop, organisateur de concerts et fondateur de la boutique Open Market, l’homme était une personnalité complexe, défenseur et ambassadeur infatiguable du rock en tant que contre-culture. Entretien avec Dinah Douïeb* qui signe la préface passionnante d’un ouvrage qui retrace ce que le Punk doit à la France.

Z comme Zermati !
Cet hommage à Marc Zermati est en trois parties. Pourquoi ne pas avoir écrit une biographie plus classique dans la forme ?
Dinah Douïeb : C’était au départ l’initiative de Patrick Bainée et Cazengler de réunir plusieurs journalistes de Dix it avec Tony Marlow à la mémoire du label Skydog où sont énumérées successivement toutes les sorties et signatures issues du catalogue avant l’interview fleuve de Marc… Marc voulait que ce livre sorte avant sa mort. Il se savait malade. Après son décès, Je les ai encouragés à mener à terme leur mission. J’ai écrit cette préface car je tenais à honorer son vœu.
Pour Tony Marlow, c’est grâce à Zermati que le Punk naît en France et non pas en Angleterre.
Dinah Douïeb : Tony Marlow évoque ce qui se passait en France courant des années soixante-dix lorsqu’il venait voir Marc à l’Open Market. En 1974 le groupe anglais de pub rock Ducks De Luxe joue au Bataclan à guichets fermés. En première partie, Élodie Lauten est au clavier, accompagnée à la batterie de Jacno. Ils répétaient tous à l’Open Market. En 1975 Skydog présente l’enregistrement du dernier concert des Stooges de 1974 au Michigan Palace, à Detroit dans ce club fréquenté par des gangs de bikers. À Londres Malcolm McLaren manage les New York Dolls mais il essuie un premier échec. Il réussit plus tard spectaculairement avec les Sex Pistols en jouant sur l’image, les slogans, le scandale et l’outrage. Les majors ne pouvaient que récupérer le fruit juteux ce qui valut par la suite à Malcolm McLaren d’être l’architecte commercial de la culture punk.

Z comme Zermati !
Tu dis en préface qu’il possédait une édition censurée de Tintin au pays des Soviets qui lui aurait valu un procès !
Dinah Douïeb : L’Open Market à Paris était la vitrine d’une contre-culture internationale. Lorsqu’il publia le manifeste de l’international situationniste c’était interdit en France ainsi que cette BD d’Hergé – Tintin au pays des Soviets, qui avait été censurée mais qu’il proposait à la vente à l’Open Market, ce qui lui valut un procès. Il stoppa immédiatement mais ne réussit pas à ne plus être inquiété par les autorités.
Il désespérait du manque d’intérêt de notre pays pour le rock. Selon lui, les ventes Skydog n’excédaient pas les 0.2% en France.
Dinah Douïeb : Le rock est un état d’esprit libre qui ne se perd plus dans l’auto destruction mais reste sauvage, hors des conformités et des dogmes. Au vingt-et-unième siècle on assiste à un retour à la violence et à ce phénomène de police de la pensée qui restreint nos libertés. Skydog ne réalise pas ses meilleurs scores en France. La musique est dématérialisée.
Zermati était un pied-noir d’Algérie. Il était persuadé que ce sont eux qui ont importé le rock en France !
Dinah Douïeb : Persuadé est un grand mot. C’est sa manière de parler, son côté pied noir. Sa définition du rock ressemblait à une libération sexuelle, à un exutoire. Marc se sentait proche des métèques et des outsiders comme Johnny Thunder ou Willy de Ville. Je pense au groupe de rock Variations -Maroc’nroll- à Fabienne Shine des Shakin Street, à Octavio, Rachid Taha, tous aimaient le Rock à part entière, tous originaires d’Afrique du Nord. Leur religion : le Rock.
Zermati était un situationniste qui n’avait de cesse de hurler que le Punk et plus spécialement les Clash n’ont jamais été de gauche ! Peux-tu développer ?
Dinah Douïeb : Le mouvement punk est un courant individualiste de la dérision au négativisme. Le punk est bien plus proche des anarchistes que des léninistes. Les Clash n’étaient pas tous issus de la classe ouvrière. Mais Ils étaient à l’avant-garde Punk de la Révolution musicale et ont créé des liens avec le reggae, le dub et l’énergie punk rock.

Joe Strummer et Marc Zermati avant un concert du Clash au Palace en 1981 – Z comme Zermati !
Dans le même ordre d’idée, il semble avoir un rapport ambivalent aux femmes : il n’a pas de mots assez durs contre le mouvement #Metoo et sur Patti Smith qu’il trouvait sale et nulle mais, en même temps, il encense de grandes figures féminines comme Nico ou Chrissie Hynde.
Dinah Douïeb : Pour Marc les femmes sont le moteur du rock’n’roll. Il aimait les femmes et je pense même qu’il s’entendait mieux avec elles, mais il ne se gênait pas pour dire ce qu’il pensait lorsqu’il ne les aimait pas. Il pouvait être très dur. Marc aimait Nico, sa voix son talent et même s’ils avaient couché juste un soir ensemble, leur relation se situait au-delà du sexe. Chrissie Hynde a déboulé à l’Open Market avec Sacha, une amie de Marc et future batteuse des Lou’s. Elles jammaient ensemble dans les caves de l’Open avec Chrissie qui répétait avec les Frenchies.
C’est lui qui a organisé la première venue des New York Dolls en France.
Dinah Douïeb : Oui, Marc avait découvert les New York Dolls en concert à Amsterdam. Il s’est occupé de la communication du concert des Dolls organisé par RTL à Paris et ce concert fut un événement. Nick Kent était également présent ce soir-là. Ils se sont tous rejoints après le live à la Coupole. Marc attachait beaucoup d’importance à ses vêtements et à l’attitude, il débordait d’une énergie extravagante, ce qui était rare dans le Paris de 1973 il paradait avec ses lunettes noires, toujours entouré de jolies filles et d’amis iconoclastes qui l’accompagnaient.
L’homme derrière les Clash au Bataclan ou les deux festivals de Mont-de-Marsan avec notamment Police, The Damned ou Lou Reed, c’est encore lui !
Dinah Douïeb : Marc avait rejoint Larry Debbay qui avait son bureau à Londres, Bizarre Dist, ils connaissaient tout le monde dans le milieu underground rock. Plein de mecs répétaient dans les mêmes caves, proches de leur bureau. Parmi les musiciens Mick Jones, le futur guitariste des Clash avait formé en 1975 les London SS avec Tony James puis Brian James qui jouaient dans les Subterraneans avant de former les Damned avec Dave Vanian, Rat Scabies Brian James Captain Sensible. Skydog et Stiff records et l’influence musicale des Stooges, du MC5 et des Ramones ont permis à ces groupes d’émerger. En 1977 c’est KCP qui est le plus grand tourneur de rock qui organise en France la tournée de Lou Reed. Ce dernier aurait dû être à Mont-de-Marsan, mais il opta pour une date indépendante du Festival le lendemain le 8 août profitant de l’engouement explosif du 2e festival Punk de Mont de Marsan.
C’était un passionné dont Iggy Pop, Chrissie Hynde, Willy Deville ou Joe Strumer réclamaient la présence et à qui ils devaient beaucoup. Mon anecdote préférée reste celle où il emmène Johnny Thunders à un concert de Flamenco.
Dinah Douïeb : Sa relation avec Johnny Thunders était fraternelle. Il me parlait souvent de sa famille à New York que Marc connaissait bien. Marc organisa dans les années quatre-vingt une tournée au Japon pour Johnny Thunders qui était adulé à Tokyo. Ils partirent et voyagèrent ensemble jusqu’en Thaïlande. Marc n’a eu de cesse depuis les années soixante-dix de promouvoir des artistes qu’il aimait. Il se rendait régulièrement à Londres voir ses potes anglais qui le connaissaient et appréciaient sa personnalité. Il était en contact avec son réseau underground dans le monde.
Le livre contient son lot de révélation : on y apprend notamment que Joey Ramone jouait quotidiennement en Bourse et qu’Iggy Pop est radin !
Dinah Douïeb : Oui Joey Ramone boursicotait. L’argent a toujours été un frein et une source de conflits. Le succès agit comme un catalyseur et le business n’a jamais été tendre avec le rock’n’roll. Cela impliquait beaucoup d’efforts. L’envers du décor c’est le compte caisse qui se vide et les factures qui tombent.

Z comme Zermati ! – Le seul disque où l’on entend voler les canettes de bières !
Et puis évidemment, il est celui qui publie le Metallic KO, le live légendaire d’Iggy Pop. Il semble en avoir gardé un certain ressentiment puisque les documentaires sur l’iguane ne mentionnaient jamais ce que sa carrière lui devait.
Dinah Douïeb : Lorsque Marc Z sort ce disque en 1975 sur Skygog, c’est une mise en oeuvre. Il a contribué avec beaucoup d’énergie à faire connaitre Metallic KO qui était le dernier concert des Stooges au Michigan Palace, à Detroit en 1974. La presse écrite, le bouche-à-oreille et le carnet d’adresses étaient des facteurs cruciaux pour la réussite artistique. Il ne pouvait pas lutter contre les majors. « Money is the rule ! » Ils se sont bien entendus sur d’autres projets avec Iggy.
Il semblait vivre intensément comme tous ceux qui pratiquent l’éthique rock… Au quotidien, il ne devait pas être facile de le côtoyer et semble s’être fait beaucoup d’ennemis.
Dinah Douïeb : Marc était un personnage complexe, sans regret et sans excuse. Il portait en lui des blessures profondes, notamment la perte de sa fille, qui l’avait bouleversé. Je ne dirais pas qu’il avait beaucoup d’ennemis, mais il s’était brouillé ou éloigné de pas mal de gens, soit parce qu’il ne partageait pas leurs idées, soit pour des raisons qui lui étaient propres. Il manifestait une certaine amertume c’est le moins que l’on puisse dire. Certains le trouvaient irascible, agressif outrageant mais cela ne résumait pas l’entièreté de sa personnalité.
Que restera-t-il de l’héritage Skydog ?
Dinah Douïeb : Une continuité avec ses amis en Angleterre qui reprendront le flambeau. Et j’espère réaliser le projet d’un podcast avec les archives sonores de conversations avec Marc Z sur l’histoire du Rock et du mouvement Punk en France avec des interviews de témoins, de fans, d’amis. Marc dès 1977 savait que le mouvement Punk serait récupéré. Le rock est mort, mais il renaît de ses cendres, son cadavre est toujours vivant et dans son ensemble deviendra la musique classique des temps à venir…
*Musicienne autodidacte depuis l’âge de 9 ans, depuis 2015, Dinah Douïeb est l’autrice de « Speedball » relatant l’histoire des drogues et d’un essai : « Cannabis, entre Diable et bon Dieu », co-écrit avec Vincent Cohen Steiner sur l’histoire de la prohibition du cannabis. Elle se consacre actuellement à la réalisation d’un podcast et d’un documentaire sur la genèse du mouvement punk, « Punkitude » à travers le testament rock de Marc Zermati.