NIN Hurt dans la culture populaire

Spécial NIN : Hurt dans la culture populaire

par | 10 Nov 2025 | À la Une

⏱ Temps de lecture : 8 min

La chanson « Hurt » par Johnny Cash a marqué au fer rouge tous ceux qu’ils l’ont écoutée. Beaucoup l’ont découverte grâce au film Logan. D’autres qui ont grandi dans les 90’s se rappelleront de son origine dans un album de NIN. C’est cette histoire que Rock Sound a choisi de vous raconter, à l’occasion de la sortie de la nouvelle bande originale de Reznor : Tron, tout en respectant le principe de la discographie de NIN… un halo de spirale pour chaque disque.

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Trent Reznor, une âme aussi damnée que sensible ©Ed Illustratrice


Halo 1 Version de NIN – Album : The Downward Spiral – 1994

Nous sommes en 1994, au mois de mars exactement, et il ne reste qu’un mois à vivre à Kurt Cobain, l’archange de Nirvana. Aussi brun que l’autre était blond, Michael Trent Reznor ne sait pas encore qu’il va devenir le nouveau pape de la musique cathartique portée par les années Cobain.

Pur produit de la middle class américaine, Reznor n’a pas d’enfance particulièrement malheureuse si ce n’est que suite au divorce de ses parents, il sera élevé par ses grands-parents qu’il aimera particulièrement mais chez qui il mourra d’ennui perdu dans un bled de Pennsylvanie où il se sent dépérir. Sa seule échappatoire est la musique notamment avec le piano pour lequel il montre des prédispositions. Très jeune, il idolâtre l’univers malsain d’Alice Cooper mais surtout, il semble obsédé par deux disques : la beauté désolée du Low de Bowie et The Wall du Floyd. Il dira de ce dernier qu’il était persuadé que le sentiment de solitude exprimé par Roger Waters, son désespoir, sa rage étaient les siens.

 

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Une pochette qui doit beaucoup à The Cure

 

Après un 1er album Pretty Hate Machine qui invente la formule NIN – synthés, mélodies et grosses guitares-, Reznor emménage à Los Angeles pour enregistrer ce qu’il souhaite être un concept album. Il veut clairement graver son The Wall mais… inversé : si le disque du Floyd décrivait la lutte d’un homme pour sortir de l’isolement, celui de Reznor va raconter l’enfermement d’un homme qui largue progressivement toutes ses attaches morales avec la société.

The Downward Spiral est cette spirale descendante d’un Reznor fantasmé vers son autodestruction : haine de soi, haine des autres, sexualité dénuée de sentiment, fuite dans l’héroïne, trahison de ses amis, violence à main armée jusqu’à son suicide.

 

 

Au fur et à mesure des chansons que Reznor compose, joue et produit seul, la musique se fait de plus en plus angoissante, violente et délirante. C’est un vrai cauchemar, une déflagration musicale que certains compareront au Eraserhead de  David Lynch.

Disons-le : The Downward Spiral a façonné les années 90. Sans ce disque, le cinéma de Fincher et notamment Seven  n’aurait pas existé, il donne envie à David Bowie de composer Outside  qui le sauvera de 10 ans de traversée du désert, il coordonne les musiques de Tueurs Nés d’Oliver Stone puis du Lost Highway de David Lynch, il donne naissance à Marilyn Manson qui bouleversera l’Amérique puis le monde.

 

Après une heure d’agression sonore,The Downward Spiral se termine sur une chanson étrange : « Hurt ». Composée au piano dans l’appartement où la femme de Polanski a été assassinée, (Reznor dira que certains des hurlements que l’on entend dans le disque étaient ceux des fantômes qu’il entendait dans la maison), HURT est une sinistre ballade que Reznor va s’évertuer à déshabiller de tout potentiel commercial : il transpose sa mélodie sur une guitare acoustique avec des arpèges en accords ouverts et y ajoute des effets sonores pour salir le son, mixe sa voix très en dessous pour que son auditeur fasse l’effort d’entendre les paroles, qu’il ait l’impression de marcher dans les décombres du disque (The Wall, encore).

« Hurt » parle du Trent Reznor fictif sur le point de mourir. La mélodie semble brisée. Probablement sous overdose, le narrateur retrouve toute l’humanité qui lui a manqué durant tout le disque et énumère tous ses péchés envers lui et les autres avant de hurler son désespoir dans le dernier refrain et qu’un maelstrom sonique parachève cette œuvre au noir à ranger aux côtés du Pornography de The Cure.

Au rythme martial de la batterie, la douceur d’un piano accompagne le dernier couplet : « Si je pouvais tout recommencer, je trouverai une manière de me protéger et de rester vivant ». La fin du morceau n’en est pas une : l’auditeur doit encore supporter deux minutes de Feedback, aussi angoissantes qu’une mort subite avant que le bruit d’un vent désolé ne finisse le disque.

Ce qui aurait pu n’être qu’une séquence de clôture un peu foireuse comme celle de The Wall devient un classique instantané qui transforme The Downward Spiral en chef d’œuvre absolu qui va engloutir la santé mentale de Reznor. Pendant une dizaine d’année, il va devenir le Mr Self Destruct qu’il imaginait en début d’album. Paranoïaque, malingre et junkie, voir Trent Reznor sur scène est aussi intense que de voir le Robert De Niro de Taxi Driver. Ce genre de moment où l’histoire de la musique s’écrit sur scène et sur disque avec des personnages bigger than life. Le savoir vivant, relativement heureux et stable aujourd’hui est l’un des plus grands mystères du rock.

 

Halo 2 : Version de David Bowie (non publiée),1995

Trent Reznor, le petit informaticien timide et complexé se mue en rock star ultime devant lequel vont se prosterner des légendes comme Gary Numan, Lou Reed et David Bowie. À tel point que Bowie lui propose de prendre la route avec lui pour monter un show original : Reznor jouera les chansons du roi David quand Bowie s’essaiera au rock industriel.

Réunis dans les génériques de Seven, Bowie et Reznor s’acoquinent et se comprennent immédiatement. Le vieux renard à l’oreille musicale absolue sait que « Hurt » fera date dans l’histoire du Rock et souhaite se l’approprier. Tout comme il veut rappeler que ce n’est pas Kurt Cobain qui a écrit « The Man Who Sold The World » qu’il modernise sur scène.

Reznor dira qu’il n’aimait pas sa voix (quel idiot !) et qu’il avait toujours rêvé pouvoir la chanter comme Bowie. On comprend à quel point le petit mec de Pennsylvanie a dû être bouleversé au moment de la chanter avec l’idole ultime.

 

Sur le papier, ça fonctionne, l’univers psychotique et toxique de Reznor étant aussi celui de Bowie. Sur scène, cette tournée est un bide, notamment pour les jeunes fans de NIN qui voient Bowie comme un Dinosaure (à l’époque âgé d’une cinquantaine d’années) .

Musicalement cette reprise devient trop sophistiquée avec une intro en tapping ralenti et le timbre trop théâtral de Bowie qui ne dégage pas la fragilité brute de la voix de Reznor. Pire au moment du refrain, leurs voix ne s’harmonisent pas et l’auditeur en vient à prendre en grippe ces deux chanteurs de légende. Trent aurait pu en rester là. Même mal reprise, une collaboration avec David Bowie devait lui assurer son entrée dans la légende. C’était sans compter sur la troisième vie de HURT.

 

Halo 3 : Version de Johnny Cash

Nous sommes en 2002. The Downward Spiral puis l’incroyable double album The Fragile ont laissé Trent Reznor au bord du gouffre. Il est devenu suicidaire et dépressif. Il pense sa carrière terminée et ironiquement, c’est un autre artiste, mourant et fatigué qui va lui redonner confiance en lui : Johnny Cash.

Lorsque la légende de la musique Country enregistre American IV – The Man Comes Around, il ne lui reste pas moins d’un an à vivre. C’est le crépuscule d’une idole qui aura vécu une vie d’excès, de triomphes et de tragédies. Diabétique, atteint de troubles neurologique sévères, il survit à peine à une pneumonie qui endommage ses reins lorsqu’il enregistre cet album. Il s’agit de son testament sonore et il le sait. Sa femme June Carter (leur relation passionnelle inspirera le film Walk The Line) meurt en mai 2003. Il ne lui survivra que 4 mois…

 

 

C’est toute cette souffrance, cette vie chancelante qui touche au coeur dans cette version de « Hurt ». Johnny Cash a déjà enregistré des reprises d’artistes loin de son univers : le « Personal Jesus » de Depeche Mode ou le « One » de U2. Mais lorsque son producteur Rick Rubin, ami de Trent Reznor, lui propose de reprendre du NIN, Cash l’envoie paître : Ce n’est pas mon univers. Fin de non-recevoir.

Rubin, lui demande de réécouter le titre après lui avoir recopié les paroles. Cette fois Cash a l’illumination : c’est cette chanson qui ouvrira « American IV ». La voix est tremblante, la diction fragile, tout ce qui lui reste de vie Cash, semble l’envoyer dans ce morceau où les accords de guitare ont été simplifiés et où les larsens ont disparu.

Lorsque Reznor l’entend pour la première fois, il n’en n’aime pas le résultat. Cette chanson, c’est lui et il lui est insupportable de l’entendre scandée par un mort-vivant. En grand adorateur de Roger Waters, il se sent aliéné. Alors qu’il produit un titre en solo pour le chanteur de Rage Against The Machine, Zach de la Rocha, il tombe sur le clip qui passe dans la télé du studio. Johnny Cash y chante assis dans son appartement sous les yeux bouleversés de l’une de ses filles. C’est « Le dernier repas » de Brel : Cash regarde son public et la mort en face. Il est bravache, il n’en a plus rien à foutre. Les vidéos le montrant, jeune, amoureux, vivant alternent avec cet homme usé qui fait ses adieux à la douleur, à son public et à la vie.

Trent Reznor est en larmes et toute personne qui aura vu cette vidéo, aussi. Sa phrase « Tous ceux que je connaissais ont tous fini par disparaitre » prend une autre tournure. Cette minute qui nous attend tous, celle où la vie défile avant de fermer les yeux une dernière fois sans que l’amour et ceux à qui l’on tient ne puissent nous retenir, Johnny Cash nous la fait vivre par anticipation. Sa mort nous aide à vivre tout en réalisant qu’un jour, cette chanson nous la chanterons à notre tour. Jamais en reste, Bowie mettra lui aussi en scène sa mort pour « Blackstar ».

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Reznor, Bowie, Cash : 3 génies pour une chanson. ©Ed Illustratrice

Bref….
Cette mort chantée redonne vie à Trent Reznor qui reprend confiance en son talent. Il enregistre « With Teeth », un disque stupéfiant, dansant, dans la lignée des meilleurs albums de Depeche Mode.
Il ne quittera plus les sommets en multipliant des albums composés avec Atticus Ross et des OST acclamées : « The Social Network » pour lequel il aura un Oscar mais aussi « Watchmen »  ou « The Girl With The Dragon Tatoo » (2 triples albums!) Il ne rencontrera jamais Johnny Cash.

 

Halo IV : LOGAN – 2017

 

À partir de là, la chanson quitte l’univers intime de NIN pour devenir un tube acclamé. Cash a si bien incarné cette chanson que beaucoup, indifférents au métal extrême de Reznor, ignorent qu’il s’agit d’une reprise. Sa présence à la fin de LOGAN et ses teasers assure à son créateur un troisième carton. Il confère à la mort de Wolverine profondeur, élégance et dignité, des qualités souvent absentes du MCU.

Wolverine et son blues de l’Immortel qui voit mourir tous ceux qu’il aimait, ce personnage que le film montre comme défaillant, à la fois sauvage et borderline porte à son tour le requiem de Trent Reznor juste après que la fin, la plus belle des films Marvel résonne dans la salle.

 

Halo V : Top of the flop…

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Trent Reznor est désormais rangé des voitures, désintoxiqué, marié et père de famille. Il est heureux et respecté. Il produit des disques encore formidables et a accepté son entrée dans la culture pop, lui qui la combattait autrefois. On peut voir Brie Larson porter fièrement un teeshirt NIN durant « Captain Marvel » et Miley Cyrus chanter « Head Like a Hole » dans un épisode de Black Miror. Reznor composera ensuite pour la jeune Halsey un disque pop splendide et inattendu. Il fait partie de ces rockers revenus de tout qui vieillissent bien et à qui on peut foutre la paix. Ils ont largement payé leur tribut au rock.

On retiendra deux reprises de HURT qui évacuent la violence, la rage, la crasse, la haine, la décomposition, le nihilisme des précédentes versions pour en faire un tube inoffensif de chanteuses à voix telles que Leona Lewis ou Youn Sun Nah. Il s’agit désormais qui d’un flirt ou d’un chagrin d’amour bien, bien loin de la nature morte écrite par Reznor. Il n’en reste pas moins que « Hurt » est à graver au patrimoine de l’humanité rock, quelque soit la dignité de ses touristes visitant ce monument. Les autres pourront y graver leur nom pour continuer de se l’approprier. En grattant avec des clous de 9 pouces bien sûr…