INTERVIEW : Yungblud, l’enfant terrible du rock face au miroir

par | 4 Juil 2025 | INTERVIEW

⏱ Temps de lecture : 9 min

Il débarque comme un uppercut, mais c’est son cœur qu’il pose sur la table. Bien plus qu’une bête de scène, Yungblud est un cœur amplifié, un cri d’amour qui cogne en rythme. Dans cet entretien sans masque, il parle rage, résilience, scène comme exutoire… et rêves XXL. Du magasin de guitares de son enfance aux plus grandes scènes du monde, il trace sa route comme on déclenche une émeute : avec style, sincérité, et un besoin viscéral de rassembler les âmes perdues autour de refrains qui soignent autant qu’ils secouent. Rencontre avec un écorché lumineux, qui hurle l’amour en major et panse les âmes en accords mineurs…

 

INTERVIEW : Yungblud

INTERVIEW : Yungblud

 

Rock Sound : La première fois que je t’ai vu sur scène, je crois que c’était en 2022, à Rock en Seine. Waxx était avec toi sur scène !
Yungblud : Oh, sérieux ? Trop cool. Waxx est un super pote !

 Rock Sound : Je l’ai interviewé il y a quelques mois, on a parlé musique et tatouages.
Yungblud : J’adore tes tatouages d’ailleurs, ils sont magnifiques ! C’est tellement profond et chargé d’histoires le style japonais… ça transcende le temps.

Rock Sound : Merci ! Tu es connaisseur, je vois… On en reparlera alors ! Waxx m’a raconté que l’un de ses meilleurs souvenirs, c’était avec toi. Tu lui avais proposé de faire trois concerts d’affilée à La Maroquinerie juste après Rock en Seine.
Yungblud : C’était fou, ouais ! Mon guitariste était tombé super malade et j’avais besoin de quelqu’un à Paris. J’ai appelé Waxx : « Tu veux faire quelques concerts ? » Il a dit oui, quand ? Cet après-midi ! Whaaat ? Ok d’accord ! Il a appris quinze morceaux en quelques heures et il a assuré de ouf. On s’est éclatés.

 Rock Sound : Trois concerts le même jour, pourquoi cette idée ?
Yungblud : La salle était minuscule, genre 600 personnes max. Et plein de gens étaient frustrés. Donc je me suis dit : 3 shows, ça fait 1800 personnes plutôt que 600. Un bon petit marathon de plus de 4h sur scène… ou 5 peut-être, j’ai oublié.

Rock Sound : Mais ce n’était pas épuisant ?
Yungblud : Franchement ? Il faut juste rester… disons, dans une certaine humeur festive ! Si tu restes joyeux, ça passe. Remplace joyeux par ivre d’alcool et de bonheur d’être là et c’était ma recette des 3 concerts à la suite ! Et puis j’adore ça. Sur scène, je me sens vivant. Certains rockeurs ont l’air tristes ou blasés, pas moi. C’est le meilleur métier du monde.

 

INTERVIEW : Yungblud

INTERVIEW : Yungblud

 

Rock Sound : En te voyant à Rock en Seine, tu avais l’air hyper naturel. C’est comme si si tu étais naturellement fait pour ça !
Yungblud : Je me sens comme chez moi sur scène, depuis toujours. Comme si j’étais né pour ça absolument. Et pour ce nouvel album, je voulais vraiment créer quelque chose de taillé pour les grandes salles. On joue dans des arènes partout dans le monde : Adidas Arena ici, l’O2 à Londres… Il fallait un album à la hauteur.

Rock Sound : Tu avais ça en tête en écrivant les morceaux ?
Yungblud : Complètement. Je voulais que ça sonne grand, épique, sans limites musicales. Ce n’est pas un album que tu crées dans ta chambre. On a mis des orchestres, plein de guitares, des changements de tonalité… Je voulais qu’on puisse voir le show rien qu’en écoutant. Je pense qu’il n’y a pas assez de voix dans le rock en ce moment : les gens crient ou rappent, mais moi, j’avais envie de chanter, de donner le meilleur de moi.

 

Rock Sound : Et tu y arrives très bien. Pour toi, musique et émotion, c’est comme les tatouages : une façon de raconter une histoire…
Yungblud : Exactement. Et je ne pourrais rien faire d’autre. J’ai ça en moi, c’est évident. Je suis prêt à repartir en tournée, là, tout de suite.

 Rock Sound : Puisqu’on parle de destin, j’aime faire des interviews « Retour vers le futur ». On revient sur tes débuts, et on avance ensuite jusqu’à aujourd’hui. Alors, te souviens-tu d’un morceau qui t’a fait aimer la musique enfant ?
Yungblud : Très bien même ! J’ai grandi dans un magasin de guitares à Doncaster, mon père et mon grand-père en avaient un. J’ai été élevé avec Bowie, les Stone Roses, Oasis… Mais le vrai déclic, c’est ma grand-mère qui me faisait écouter Summer of ’69 de Bryan Adams. J’avais quatre ans. Chaque fois qu’elle mettait ce morceau, ça la rendait heureuse, même après une journée pourrie. J’ai compris là, enfant, la puissance de la musique.

Rock Sound : Et tu avais des posters, des idoles ?
Yungblud : Bowie, Marilyn Manson, Brian Molko (Placebo), Robert Smith, les Gallagher… J’aimais le mélange entre métal et britpop. J’écoutais aussi Slayer !

Rock Sound : Tu te rappelles du moment où tu t’es dit : « je veux faire ça de ma vie » ?
Yungblud : Ouais, je chantais Hammer to Fall de Queen dans ma chambre, allongé sur mon lit. Ma mère m’a entendu par la porte. Elle m’a dit : « Tu sais chanter. » J’étais choqué qu’elle m’ait écouté ! Et puis j’ai vu des vidéos de Freddie Mercury devant 40 000 personnes… J’ai su que c’était ce que je voulais.

 

Yungblud photographié par Caro

Yungblud photographié par Caro

 

Rock Sound : Tu avais une vision précise de ton style au début ?
Yungblud : Pas vraiment, mais je savais que j’avais une énergie rebelle, un côté « sale gosse ». Pas « punk » au sens musical strict, mais dans l’attitude. J’adorais les Sex Pistols, The Clash, The Damned… mais sans me soucier des étiquettes. Ce qui comptait, c’était l’énergie. On m’appelait souvent Iggy Pop quand j’étais môme. J’ai ensuite découvert Lou Reed, le glam punk new-yorkais, Debbie Harry, Bowie… J’ai adoré cette époque, c’était mon refuge : la rébellion, mais avec du style. Je n’ai jamais aimé avoir l’air négligé. 

Rock Sound : Tu es devenu super stylé avec le temps. Quelle élégance ce look full black en costume !
Yungblud : Merci ! J’ai toujours voulu avoir une image forte, un look qu’on peut dessiner. Comme l’éclair de Bowie, la pochette de Transformer pour Lou Reed, Madonna à chaque époque… J’ai voulu créer ça : des chaussettes roses, les cheveux en piques, les rayures, les shorts. Quelque chose d’identifiable.

Rock Sound : Tu te sens libre de t’exprimer comme tu veux ?
Yungblud : Depuis mes 15 ans, j’ai expérimenté sans limites. Mais pour cet album, je voulais recentrer le propos sur la musique. Réduire l’image pour laisser parler le fond. Je suis juste un canal pour la musique, pas un défilé de mode ambulant.

Rock Sound : C’est facile de dire, écrire et chanter ce que tu veux, ou tu ressens parfois de la pression extérieure ? Cela doit être difficile de sortir d’une route tracée sur laquelle ton public attend tellement de toi…
Yungblud : Ce nouvel album marque la fin d’un cycle. Je ne suis plus ce gamin de 18 ans. Les gens me voyaient encore comme tel, et c’est devenu une cage. J’avais besoin de me recentrer, d’écrire un album pour moi, pas pour répondre aux attentes. Quand tu commences jeune, tu rêves que ça prenne… puis c’est le raz-de-marée. Et tout le monde a son opinion. À 27 ans, tu réalises ta propre mortalité. Tu choisis : rester figé, devenir une caricature, ou renaître. Moi, j’ai choisi la renaissance. J’avais besoin de mettre toutes mes cartes sur la table.

 

Yungblud photographié par Caro

Yungblud photographié par Caro

 

Rock Sound : Et le public suit ?
Yungblud : Oui, et c’est magnifique. Les gens croient savoir ce qu’ils veulent, mais en fait, ils veulent qu’on soit vrai. Si tu m’avais demandé avant à quoi ressemblerait ce nouvel album, tu ne m’aurais jamais répondu ça. Mais c’est le seul que je pouvais faire. Et j’ai enfin l’impression d’avancer dans la direction que je choisis.

Rock Sound : Tu parlais tout à l’heure d’insécurité, parfois de colère. Est-ce que la colère était un moteur sur scène, ou plutôt un masque pour te protéger ?
Yungblud : Les deux. Au début, c’était clairement un carburant. Puis c’est devenu un déguisement. Quand t’es jeune, tu ne rationalises rien. Tu fonces. Tu ressens un truc, tu dis « j’aime pas », et tu passes à autre chose. En grandissant, tu commences à te poser des questions, à chercher pourquoi. Et parfois, ce masque était nécessaire, parce que je me sentais menacé. Comme un animal qui se hérisse, qui bombe le torse ou grogne.

Rock Sound : Pourtant, tu ne sembles pas déguisé. Tu parais authentique dans tout ce que tu dis et fais.
Yungblud : Parce que quand je porte un masque, je le dis. Je suis un livre ouvert. C’est ça qui est cool avec les réseaux sociaux : tu peux montrer au monde comment tu te sens au jour le jour, pas juste balancer un album tous les six mois.

Rock Sound : Et sur scène, c’est plutôt une guérison ou une blessure ?
Yungblud : Les deux aussi. Ça dépend de la journée. Mais à la fin du concert, normalement, t’es recousu. Si ce n’est pas le cas, c’est que le show était raté.

« Je crois que je mourrai sur scène. Ce serait une belle fin.»

Rock Sound : Tu ressens fort l’énergie du public ?
Yungblud : L’énergie du public est à la base de tout. C’est pour ça que j’ai lancé Bludfest (un festival de musique dont c’était la deuxième édition fin juin, NDLA). Les gens se font arnaquer avec des prix de billets absurdes. Pour moi, ce sont eux, le show. Sans eux, c’est juste une salle vide et froide. Le son est pourri. C’est eux qui donnent vie à tout ça.

Rock Sound : Ton meilleur souvenir de scène ?
Yungblud : Il y en a plein. La première fois que j’ai foulé la scène de Wembley en tête d’affiche, c’était dingue. Monter sur scène avec Placebo, c’était fou aussi. Ou même avec Limp Bizkit. Chaque soir, en fait. J’adore ça. Je crois que je mourrai sur scène. Ce serait une belle fin.

 

 

Rock Sound : Tu participes à la création de tes clips ? Parce que dans les derniers, on sent une vraie direction artistique.
Yungblud : Oui, je visualise les clips en même temps que j’écris les chansons. Je suis très visuel. Le seul que je n’avais pas imaginé à l’avance, c’est Hello, le morceau de neuf minutes. L’idée m’est venue le jour de l’an. Tous les visuels viennent de moi, puis j’en parle avec mon meilleur pote Charlie, qui est réalisateur. Il les met en images.

Rock Sound : Et TikTok, tu penses que c’est un tremplin pour les vrais rockeurs ou juste du fast-food auditif ?
Yungblud : Les deux. C’est court, donc ça dilue l’art. Mais ça permet aussi à des petits groupes d’être découverts. C’est un outil. Mais tout ce qui te force à te conformer, c’est pas mon délire. Tout dépend de comment tu l’utilises.

 Rock Sound : Ta musique touche beaucoup de gens : jeunes, moins jeunes, les rebelles comme les plus sages… Tu arrives à dire des choses et à être entendu. Tu penses que les jeunes aujourd’hui sont plus perdus ou plus lucides ?
Yungblud : On est plus éduqués, mais plus superficiels. On se compare à 15 personnes avant même le petit-déj. On n’ose plus avoir d’opinion de peur d’aller à contre-courant. Je demande aux gens : qu’est-ce que t’as vu aujourd’hui ? Pas lu, pas regardé. Vu. Un couple qui se tient la main ? Un chien qui fait caca ? Tu te souviens de la couleur des yeux de la personne qui t’a servi ton café ? On ne vit plus dans le réel. On est conditionnés à se distraire. C’est pour ça que j’ai voulu faire un album qui oblige à ressentir, à imaginer. Ressentir d’abord, réfléchir ensuite. 

Rock Sound : Et la musique, c’est ce qui nous reconnecte au réel…
Yungblud : Exactement. C’est un point de connexion. Là où 30 000 personnes peuvent vibrer ensemble.

Rock Sound : Le meilleur et le pire dans le fait d’être une rock star ?
Yungblud : Le pire, c’est de ne pas contrôler ce que les gens pensent de toi. Tu peux perdre des années à t’en soucier. Mais j’ai appris à gérer. Et le meilleur ? Jouer du rock partout dans le monde. C’est fou. C’est le meilleur job du monde !

« J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme de quelqu’un qui a apporté un peu d’amour à des millions de gens. »

Rock Sound : Et la suite ? Tu veux aller où ?
Yungblud : J’ai toujours rêvé de faire du rock de stade. Jouer dans des stades partout, pas juste dans un pays. C’est ça, le but. Continuer.

Rock Sound : Peut-être le Hellfest l’an prochain ?
Yungblud : J’adorerais. C’est énorme. La France nous soutient tellement. Il y a cinq ans, on jouait au Supersonic. Maintenant, c’est l’Adidas Arena, le Zénith de Nantes… C’est fou. Accor Arena, Stade de France ? Allez, rock’n’roll ! Notre défi, c’était de faire ressentir à 30 000 personnes ce qu’on ressent dans une petite salle. Comme U2 ou Guns N’ Roses. Des concerts qui changent ta vie.

Rock Sound : Et si tu devais imaginer la fin de ta vie, que voudrais-tu qu’on écrive sur ta tombe ?
Yungblud : Peace. La paix intérieure, et la paix que j’aurais pu transmettre. J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme de quelqu’un qui a apporté un peu d’amour à des millions de gens, qui a encouragé les autres à vraiment se voir, à s’aimer. L’amour, c’est pas juste une histoire de couple. C’est un regard, un geste, une chanson partagée avec un inconnu. C’est ça qui nous sauvera.

Rock Sound : Et pour finir, en France on dit « le mot de la fin ». Tu veux dire quelque chose aux gens ?
Yungblud : Si vous cherchez une aventure, si vous êtes prêts à vous regarder dans le miroir, ou même si vous ne l’êtes pas… écoutez cet album.

Rock Sound : C’est un très joli mot de la fin. Merci beaucoup.
Yungblud : C’était génial. J’ai adoré tes questions ! Merci à toi.

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Une interview de Caro @Zi.only.Caro

Le nouvel album de Yungblud, Idols, est déjà disponible !

Pour le commander en version vinyle, go sur www.yungbludstore.com

Et suivez Yungblud sur Instagram : @yungblud

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