Robert Smith n’est pas juste le chanteur chevelu qui pleure dans son eyeliner, c’est la colonne vertébrale de The Cure, le type qui a transformé le post-punk bancal en cathédrale de mélancolie, de goth rock et de new wave. Son univers sombre, ses albums labyrinthiques et une discographie qui va de la cold la plus glacée à la pop la plus lumineuse ont redéfini le rock alternatif des années 80 à aujourd’hui. Derrière les cheveux en bataille et le rouge à lèvres massacré, il y a un compositeur obsédé par l’émotion, la texture sonore, les chansons comme abris pour gens cabossés. Et si tu crois encore que tout ça n’est qu’une vieille affaire de quadras en noir, reste: tu vas voir pourquoi ce type continue d’aimanter ados TikTok, fans de vinyles et âmes perdues en même temps.

The Cure Robert Smith par Eric CANTO
Qui est vraiment Robert Smith
Avant de parler de guitares noyées de chorus et de noirs eyeliner, il faut comprendre d’où vient le bonhomme. Le parcours de Robert Smith, c’est l’histoire d’un gamin de banlieue anglaise qui pensait crever avant 30 ans et qui finit par devenir l’un des architectes majeurs de la pop sombre moderne. Un type qui transforme sa crise existentielle, ses angoisses et son romantisme maladif en chansons qui remplissent des arénas entières.
Enfance à Blackpool, premiers émois musicaux et adolescence rock
Pour comprendre la trajectoire de Robert Smith, il faut remonter à la fin des années 50. Il naît à Blackpool, dans le nord de l’Angleterre, avant que la famille ne s’installe à Crawley, banlieue sans glamour apparent, parfait décor pour former un futur poète de la grisaille. C’est dans les salles de classe et les églises de quartier que se dessinent les premières lignes de ce qui deviendra The Cure: un noyau d’amis qui jouent ensemble sous des noms comme Malice puis Easy Cure, déjà nourris de Bowie, Hendrix et du rock qui sort des années 60 fatiguées mais encore électriques.
Adolescent, Smith est ce mélange de timidité maladive et de détermination étrange. Il s’ennuie, il lit, il écoute des disques, il fume des clopes en regardant la météo anglaise lui confirmer que la vie ne sera pas un clip de plage. La musique arrive comme porte de sortie autant que comme arme. On parle souvent de lui comme d’un goth en puissance, mais au départ, c’est juste un môme qui veut jouer fort, vite, et s’arracher au quotidien. Les premières répétitions, les concerts minables, les petits labels, tout ce folklore du rock britannique de province va forger une chose essentielle: l’idée que le groupe peut être plus important que la vie civile.
Ce qui est déjà frappant, même à cette époque, c’est son obsession du contrôle et de l’ambiance. Là où beaucoup de groupes s’en foutent du son tant que ça hurle, lui commence déjà à penser textures, clarté, espaces entre les notes. Cette obsession deviendra la marque de fabrique de la future cold wave du groupe. Les fondations sont posées: un environnement morne, une culture rock déjà lourde de références, et un gamin qui préfère transformer ses malaises en chansons plutôt qu’en petites catastrophes sociales.

Robert Smith : biographie, discographie, The Cure,…le goth rock incarné
Naissance de The Cure: des débuts punk à la cold wave naissante
Quand The Cure sort Three Imaginary Boys en 1979, la presse colle vite le groupe dans la case post-punk et new wave. On y entend encore l’urgence punk, la sécheresse des guitares, le côté minimaliste d’un trio qui n’a pas les moyens de son ambition mais déjà un ton singulier. Smith chante haut, nerveux, parfois presque détaché, comme s’il filtrait déjà ses émotions pour n’en laisser passer que des éclats.
Très vite, il comprend que la vraie zone de vérité n’est pas dans la pose punk, mais dans un truc plus lent, plus étiré, plus atmosphérique. Seventeen Seconds puis Faith creusent ce sillon: tempo ralenti, basses mélodiques qui prennent le lead, guitares noyées de chorus, claviers fantomatiques. La presse commence à parler de goth rock, même si Smith déteste l’étiquette et répète depuis des décennies qu’il joue juste de la musique de The Cure.
La bascule se fait avec Pornography en 1982, sommet de noirceur où tout semble s’effondrer: la santé mentale du chanteur, les relations internes, le rapport au monde. C’est là que se cristallise la légende: un type qui va au bout de son propre gouffre et en ramène un disque conceptuel oppressant qui influencera tout le goth rock et une bonne partie de la cold wave européenne.
A partir de là, The Cure devient la référence d’une génération de kids habillés en noir qui découvrent qu’on peut danser sur ses traumas.
Ce qui rend cette période fascinante, c’est l’équilibre précaire entre le chaos personnel et la lucidité artistique. Smith boit, doute, pense dissoudre le groupe, mais en studio il dirige, structure, assemble. Il transforme sa crise en architecture sonore. Le gamin de Crawley devient une icône malgré lui, une sorte de prêtre fatigué qui construit des cathédrales de tristesse dans lesquelles des millions de personnes viennent se réfugier.

Robert Smith : biographie, discographie, The Cure,…le goth rock incarné
De frontman fragile à icône goth: construction d’une identité
L’image légendaire ne se met pas en place en une nuit. Les cheveux ébouriffés, le rouge à lèvres débordant, les yeux charbonneux, c’est au départ un mélange d’influences glam et d’envie de brouiller les pistes. Mais à force de concerts, de photos, de clips, la silhouette de Robert Smith devient un logo ambulant. On peut ne jamais avoir écouté un album de The Cure et reconnaître sa gueule instantanément.
Cette identité visuelle sert deux objectifs. D’un côté, elle met une distance: le masque de clown triste, c’est une façon de créer un personnage entre l’homme privé et le chanteur qui hurle ses peurs devant 20 000 personnes. De l’autre, elle incarne l’univers musical: cette mélancolie outrée, ce romantisme noir, ce refus de la banalité. Là où beaucoup de rockers jouent les durs virils, Smith assume la fragilité, le doute, la douleur. Il transforme ces failles en carburant esthétique.
Paradoxalement, plus son image se fige, plus l’homme derrière le maquillage reste insaisissable. Interviews rares, humour sec, auto-dérision constante, refus de se poser en gourou goth. Il passe son temps à se moquer du mot « gothique » pour mieux continuer à écrire la bande-son des nuits blanches de tous ceux qui s’y reconnaissent. Cette dualité – clown triste affiché, artisan discret en coulisses – est au coeur de sa fascination.
En concert, ce contraste explose. Quand tu le vois entrer sur scène, bras ballants, silhouette un peu voûtée, tu as l’impression de croiser un type épuisé qui traverse la scène par accident. Puis le premier accord arrive, la basse démarre, et tout se recadre. Le personnage, l’homme, le mythe se superposent. Ce moment où il arpente la scène lentement avant que le groupe n’envoie la tempête, la preuve qu’une simple présence peut électriser une salle entière.
Le son Robert Smith et The Cure: anatomie d’un univers mélancolique
On peut aimer The Cure sans jamais savoir pourquoi ça te colle autant à la peau. On parle souvent de textes dépressifs, de noirceur, mais le vrai secret du son, c’est un équilibre entre simplicité mélodique, production atmosphérique et une science du contraste entre lumière et ténèbres.
Influences musicales, post-punk, new wave, cold wave: l’alchimie du son
Au départ, le groupe de Robert Smith sort des ruines du punk: peu de moyens, pas de solos interminables, envie d’en découdre. Mais plutôt que de rester dans le mur de bruit, Smith va puiser dans la pop sixties, le glam, un peu de psyché, et surtout cette nouvelle vague de post-punk où Joy Division, Siouxsie and the Banshees ou Bauhaus redéfinissent le malaise en musique. The Cure s’inscrit dans ce mouvement, mais très vite, il en tire sa propre grammaire.
La particularité du son du groupe tient à plusieurs briques. D’abord, la basse. Chez The Cure, la basse est souvent mélodique, presque chantante, occupant un rôle que beaucoup réservent à la guitare. Ensuite, les guitares elles-mêmes, rarement saturées à mort, mais baignées d’effets: chorus, flanger, delay, reverb. Ce traitement crée ces nappes liquides, ces arpèges qui flottent au-dessus des rythmiques, parfaite bande-son de soirée où tu ne sais pas si tu vas danser ou pleurer dans un coin.
Les claviers viennent compléter le tableau: orgues, strings synthétiques, sons un peu datés mais assumés qui servent de brouillard autour de la structure. Ajoute à ça une batterie souvent simple, directe, et tu obtiens une musique qui peut sembler minimale mais qui, en réalité, repose sur un équilibre très précis. C’est là qu’on voit le côté artisan de Smith: chaque instrument a son espace, son rôle émotionnel, son poids dans le mix.
Ce qui fascine, c’est la capacité à changer de registre sans perdre cette identité. The Cure peut sortir un tube pop comme « Friday I’m in Love » et un mur de noirceur comme « One Hundred Years » sans que ça sonne comme deux groupes différents. C’est le même ADN, les mêmes obsessions, simplement éclairées sous un angle différent. Cette versatilité est l’un des ressorts de l’influence immense du groupe sur le rock alternatif, la new wave et même la pop contemporaine.
Guitares, voix, production: le mélange qui crée l’atmosphère
La guitare chez Robert Smith, ce n’est pas de la virtuosité façon shredder, c’est de la narration. Il joue avec un son clair ou légèrement crunch, souvent bardé d’effets modulatoires. Plutôt qu’une avalanche de notes, il privilégie des motifs répétés, des petites mélodies qui s’incrustent dans le cerveau. Les riffs de « Just Like Heaven » ou « Pictures of You » ne sont pas complexes, mais ils sont d’une efficacité émotionnelle redoutable.
Sa voix, elle, est un instrument à part. Aigue, parfois nasillarde, capable de passer du murmure à la plainte quasi enfantine, elle porte des textes où les sentiments sont rarement simples. Il y a chez lui une façon unique d’étirer des syllabes, de glisser sur une note, d’ajouter une micro cassure qui transforme une phrase banale en confession bouleversante. La production met cette voix en avant sans la lisser complètement. On garde les tremblements, les fragilités, les imperfections.
En studio, Smith a toujours cherché à contrôler l’ensemble, surtout à partir de Seventeen Seconds. Il co-produit, intervient sur les arrangements, pousse les morceaux jusqu’à ce qu’ils soient alignés avec la vision qu’il a en tête. Quand on écoute Disintegration, cette architecture se sent: chaque reverb, chaque delay, chaque couche de guitare a une raison d’être. Ce n’est pas un hasard si l’album est considéré comme un sommet absolu, une sorte de manuel du son goth-pop parfaitement maîtrisé.
Cette obsession du détail sonore perdure aujourd’hui. Que ce soit sur les albums plus récents ou sur les projets parallèles auxquels il participe, l’empreinte est la même: guitares atmosphériques, voix à fleur de peau, production qui cherche plus à envelopper qu’à écraser. Même quand il joue invité, comme récemment avec des groupes plus jeunes ou en duo sur scène, sa touche sonore reste immédiatement reconnaissable.
Paroles, émotion, ambiances: la signature textuelle et lyrique
Les textes de Smith tournent autour de quelques obsessions: l’amour, le manque, le temps qui passe, la mémoire, la solitude, la mort. Dit comme ça, ça ressemble à 95 % de la pop mondiale, sauf que chez lui, ce n’est jamais traité en slogan. C’est toujours incarné, concret, parfois cru, parfois d’une simplicité désarmante. Il a cette capacité à aligner trois mots très simples et à te perforer le thorax.
Il y a aussi un talent certain pour la narration impressionniste. Beaucoup de morceaux de The Cure ne racontent pas une histoire linéaire, mais des sensations, des flashes, des images. Tu n’as pas un script, tu as des fragments de rêves, de soirées, de ruptures. C’est précisément ce flou qui permet à des millions de gens d’y projeter leur propre vécu. Il ne t’explique pas ce que tu dois ressentir, il te donne un décor et quelques phrases pour que tu remplisses les trous.
Ambiance oblige, la musique et les paroles sont indissociables. Un texte très sombre peut se poser sur une mélodie presque joyeuse, créant cette sensation bizarre de sourire avec une boule dans la gorge. C’est ce fameux « happy sad » que beaucoup citent à propos de The Cure, cette émotion paradoxale où tu te sens moins seul dans ta tristesse parce qu’elle est mise en forme de manière si belle.
Enfin, il y a un motif récurrent: la peur de la fin, des ruptures, du vieillissement. Les interviews récentes de Smith montrent un type toujours hanté par ces thèmes, mais capable d’en parler avec humour et recul. Cette continuité thématique fait que, même si le contexte change, même si la scène musicale mute, ses chansons restent lisibles et pertinentes, pour un ado Spotify de 16 ans comme pour un fan qui le suit depuis 1989.
Discographie essentielle: les albums qui ont forgé la légende
Tu peux te perdre dans la discographie de The Cure comme dans un vieux grenier: il y a de tout, du trésor absolu, des curiosités, quelques faux pas, mais l’ensemble dessine un parcours unique. Pour comprendre pourquoi Robert Smith est devenu culte, il faut isoler quelques jalons.
Période 1979-1985: des premiers pas à la construction du son Cure
Les débuts, ce sont les fondations brutes. Three Imaginary Boys pose un cadre minimaliste: guitare sèche, basse en avant, batterie sèche. Le groupe se cherche encore, mais « 10:15 Saturday Night » ou « Grinding Halt » annoncent déjà ce mélange d’ennui urbain et de tension sous-jacente. Très vite, Smith prend les rênes et pousse vers plus de cohérence esthétique.
Seventeen Seconds marque la première vraie métamorphose. Tempo ralenti, sons plus froids, production brumeuse. « A Forest » devient le premier hymne majeur, morceau pivot où tout est là: basse obsédante, guitare en écho, voix lointaine. Faith enfonce le clou, plus lent, plus grave, presque funèbre. La trilogie se conclut avec Pornography, marteau-pilon émotionnel où Smith fait exploser toutes les digues. Cette période 79-82 pose le socle du goth rock et de la cold wave à l’échelle mondiale.
La suite immédiate est plus contrastée. Après avoir touché le fond, le groupe revient avec des singles plus pop, plus immédiats: « Let’s Go To Bed », « The Walk », « The Lovecats ». The Top mélange tout ça: expérimentations psyché, pop déglinguée, restes de noirceur. C’est un disque de transition, parfois bancal, mais qui montre que Smith refuse d’être enfermé dans la seule image du prêtre goth.
En cinq ans, The Cure a déjà posé plusieurs chapitres de ce qui deviendra un manuel de survie émotionnelle pour des millions de gens. Ce n’est pas qu’une série d’albums, c’est un parcours intérieur mis en musique: le doute adolescent, la plongée dans la dépression, puis le besoin vital de retrouver une forme de légèreté sans trahir ce qu’on a traversé.
L’âge d’or goth et pop de Robert Smith: de Pornography à Disintegration et Wish
La légende se cristallise vraiment à la fin des années 80. The Head on the Door puis Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me posent un modèle explosif: des tubes pop ultra accrocheurs (« In Between Days », « Just Like Heaven ») cohabitent avec des morceaux plus sombres, plus étranges. Smith trouve la formule magique où il peut envahir la radio sans sacrifier la profondeur.
Disintegration en 1989, c’est le diamant noir. Un album qui condense tout: la grandeur goth, les mélodies dévastatrices, la production immense. « Pictures of You », « Lovesong », « Plainsong » ou « Fascination Street » alignent une suite de climats qui transforment chaque écoute en petit voyage introspectif. C’est aussi la bande-son parfaite d’une époque fin de siècle, entre parano froide et romantisme désespéré. Pas étonnant qu’un documentaire récent lui soit consacré, et qu’on continue de le citer comme un des sommets absolus du rock atmosphérique.
Wish en 1992 prolonge le succès, avec « Friday I’m in Love » en étendard. Le groupe est alors au sommet commercial, remplissant stades et festivals, tout en gardant cette aura de groupe de marginaux pour marginaux. Ce grand écart – star planétaire et héros des introvertis – est rare. La plupart des groupes explosent en vol en essayant de concilier ce genre de tension. The Cure, eux, tiennent la ligne, même si les tensions internes, les changements de line-up et la fatigue psychologique laisseront des traces profondes.
Cette période « âge d’or » devient rapidement mythique. Pour beaucoup, The Cure, c’est d’abord ça: le combo maquillage noir, pluie sur les carreaux, balade en RER avec Disintegration dans le walkman et sentiments trop grands pour ton corps. Mais réduire le groupe à cette époque, ce serait oublier à quel point Smith va continuer à creuser après, même quand l’air du temps se détourne.
Transition, années 90-2000: rock alternatif, modernité et persistance
Après Wish, la vague grunge, puis la britpop et l’explosion du rock US modifient le paysage. Beaucoup de groupes de la génération goth et new wave se cassent les dents. Smith, lui, persiste. Les albums suivants explorent d’autres formes, parfois plus rock, parfois plus introspectives. La fameuse « dark trilogy » que lui-même identifie – Pornography, Disintegration, Bloodflowers – montre qu’il ne renonce pas à aller au bout de ses obsessions sombres quand il le décide.
Les années 2000-2010 sont plus chaotiques pour Robert Smith, avec des disques moins unanimement célébrés, mais l’influence, elle, ne faiblit pas. De nouvelles générations de groupes, du shoegaze à la dreampop en passant par l’emo ou l’indie le citent comme référence majeure. La preuve, ce sont les collaborations multiples, les hommages, les soirées thématiques, les festivals où un seul de leurs concerts vaut manifeste pour toute une scène.
Aujourd’hui, alors que l’on parle de nouveaux projets d’albums, de tournées prolongées, de collaborations avec des groupes plus jeunes, la discographie de The Cure est vue comme un corpus cohérent, traversé par des tensions, des contradictions, mais d’une identité indémontable. Et au centre, tu retrouves toujours la patte de Smith, qui écrit, compose, arrange, dirige, au point d’avoir signé seul certains albums.
Robert Smith hors studio: vie privée, muse, personnalité
Le cliché voudrait que derrière chaque grand artiste maudit, il y ait un champ de ruines relationnelles. Dans le cas de Robert Smith, c’est presque l’inverse. Le type qui a mis la rupture, la perte et le manque au centre de son oeuvre vit depuis des décennies une relation ultra stable avec Mary Poole, son amour d’ado devenu épouse et muse discrète.
Mary Poole: la muse silencieuse et la stabilité improbable
Smith rencontre Mary à l’adolescence, au lycée, bien avant les tournées mondiales, les festivals et les maquillages dégoulinants. Leur histoire dure, loin des projecteurs, au point qu’on fête déjà plus de 35 ans de mariage sans qu’aucun tabloïd ait réussi à transformer ça en feuilleton sordide.
Elle apparaît furtivement dans certains clips, inspire des morceaux comme « Lovesong », chanson d’amour simple, presque naïve, écrite en cadeau de mariage. Dans un univers rock saturé de divorces, de dramas et d’excès, ce couple fait figure d’anomalie. Pas de scandale, pas de dérapage public, juste une permanence tranquille derrière le chaos apparent de la carrière.
Cette stabilité nourrit un paradoxe: comment quelqu’un de « heureux en couple » peut-il produire une musique aussi hantée par l’absence et la solitude. Justement parce que l’art n’est pas un selfie émotionnel au temps T, mais un espace où tu peux creuser tes peurs sans forcément les vivre au quotidien. Mary, dans cette histoire, est autant un refuge qu’un miroir: elle permet à Smith d’aller loin dans ses obsessions sans s’y perdre complètement.
L’homme derrière le maquillage: humour, lucidité et refus du rôle de gourou
Derrière le mythe goth, il y a un Britannique au sens de l’humour bien plus tranchant que ce qu’on imagine. Les interviews le montrent volontiers sarcastique, moqueur envers lui-même, ironique sur la notion de « génie torturé ». Il se décrit parfois comme un type paresseux, toujours en retard, plus intéressé par le fait de faire un bon disque que par l’idée de « changer le monde ».
Il refuse autant qu’il peut la posture de chef de secte. Quand on lui parle de son influence sur la goth subculture, il nuance, rappelle que The Cure est loin de n’être que sombre, insiste sur les chansons joyeuses, sur la dimension pop. Il rechigne à valider les clichés, même si, bien sûr, il sait très bien qu’une partie de son public vient précisément chercher cette dose de noirceur romantique.
En vieillissant, il assume mieux cette ambiguïté. Les récents entretiens montrent un homme qui parle de vieillesse, de deuil, de fatigue, mais aussi de curiosité intacte. Il évoque des projets avortés, des albums en retard, des envies de continuer à jouer tant qu’il y trouve du sens. L’image de vampire éternel laisse place à celle d’un artisan qui a juste plus de rides, mais toujours un besoin presque physique de transformer sa vie en musique.
L’artiste public vs l’homme privé: ce que les fans voient, ce que lui vit
Pour le public, Smith, c’est cette silhouette montée sur scène, guitare au cou, entourée de fumée, qui entonne « Alone » ou « Pictures of You » comme si le temps n’avait aucune prise. Pour lui, ce sont des soirs de travail, de concentration, de gestion d’énergie dans un corps qui n’a plus 25 ans. Tu le vois traverser la scène à pas lents au début d’un concert, presque hagard, puis se transformer progressivement en chef d’orchestre d’un rituel collectif.
L’homme privé reste en grande partie hors-champ. Quelques infos filtrent: ses lectures, ses obsessions pour certaines séries, sa passion pour la musique d’autres artistes qu’il soutient ou invite. Récemment, on l’a vu partager la scène avec une pop star génération Gen Z lors d’un gros festival, prouvant que son aura dépasse largement le cercle des fans historiques.
Ce décalage entre projection fanatique et réalité quotidienne est au fond assez simple: pour beaucoup, Smith est un totem, une figure tutélaire du mal-être assumé. Pour lui, il est juste quelqu’un qui a passé sa vie à faire des morceaux, à se pointer en répétition, à monter sur scène malgré la trouille, à gérer un groupe, des tournées, des deuils, des joies. Cette différence de perspective nourrit une part du mystère. Et le mystère, dans un monde où tout fuit sur les réseaux, vaut de l’or.
Pourquoi Robert Smith parle encore à plusieurs générations
Tu pourrais croire que le combo cheveux en pétard, rouge à lèvres bavé et manteau noir allait mourir avec les années 90. Sauf que non. En 2025, des kids de 16 ans découvrent encore The Cure sur TikTok ou via une reprise dans une série, pendant que leurs parents ressortent les vinyles. La voix de Robert Smith résonne dans des salles où trois générations cohabitent sans se juger.
L’universalité de la mélancolie et de l’introspection
La vraie raison de cette longévité, c’est que la mélancolie ne se démode pas. L’angoisse de ne pas être à la hauteur, la peur de perdre quelqu’un, le sentiment de ne pas appartenir au monde autour de soi, ce sont des constantes humaines. Smith les a formulées avec suffisamment de précision et de poésie pour qu’elles restent audibles, peu importe l’ère technologique.
On pourrait dire que sa musique sert de refuge à chaque nouvelle génération qui se prend de plein fouet la violence du réel. Les ados des années 80 avaient la guerre froide, le chômage, les banlieues grises; ceux d’aujourd’hui ont le climat, les réseaux sociaux, l’angoisse de performance. Dans les deux cas, se mettre un casque sur les oreilles et se perdre dans « Disintegration » ou « Faith » reste une stratégie de survie parfaitement valide.
Smith parle aussi d’introspection sans tomber dans l’auto-complaisance. Ses textes restent ouverts, jamais trop nombrilistes. Il ne t’explique pas qu’il est spécial, il te fait juste sentir que la confusion, la peur, le manque de confiance sont partagés. Ce « nous » silencieux, cette communauté de gens qui se sentent à côté du script dominant, c’est la base de son lien avec le public.
Influence massive sur la scène alternative, goth, rock et au-delà
Impossible de lister tous les groupes qui citent The Cure comme référence: shoegaze, indie, emo, métal alternatif, pop électronique, chacun y a pioché quelque chose. Des artistes contemporains, de l’indie intimiste à la pop de stade, évoquent régulièrement The Cure comme influence majeure, que ce soit pour le son, les harmonies, ou la façon de mêler mélancolie et mélodie.
Plus intéressant encore, Smith ne se contente pas d’être un nom dans les interviews. Il continue de collaborer, de monter sur scène avec des groupes plus jeunes, de prêter sa guitare ou sa voix à des projets qui n’ont rien à voir avec la nostalgie eighties. Sa participation récente à des morceaux d’artistes plus récents, ou son apparition surprise lors de festivals modernes, montre qu’il n’est pas qu’une relique à vénérer, mais un acteur encore actif.
Il y a aussi l’impact symbolique. Le fait qu’un type pas « normé », pas lisse, pas formaté, puisse devenir une immense star mondiale en cultivant sa singularité, reste un message important pour tous les outsiders contemporains. Dans un monde où tout semble calibré, l’existence même de sa carrière est une faille dans le système.
Sons, ambiances, style: pourquoi ça reste unique
Tu peux copier les chorus, acheter la même guitare, peindre tes yeux en noir, tu n’auras jamais exactement ce mélange. Le son de The Cure, c’est un dosage très subtil entre rythmiquement simple, harmoniquement riche, et émotionnellement explosif. Beaucoup de groupes s’y sont brûlé les ailes en essayant de reproduire la recette sans l’histoire qui va avec.
Visuellement, Smith a créé un archétype. Dans n’importe quel festival, tu verras des clones approximatifs: cheveux en bataille, chemise noire, baskets fatiguées. Mais ce qui fait la différence, c’est la cohérence. Chez lui, le look n’est pas un costume, il est l’extension naturelle de ce qu’il met dans ses chansons. C’est ça qui rend l’ensemble crédible.
Enfin, sa capacité à rester fidèle à ce qu’il est tout en refusant d’être coincé dans un musée goth explique en grande partie sa pertinence actuelle. Il continue à tourner, à travailler sur de nouveaux disques, à revisiter le catalogue sans le trahir. On ne sait pas combien de temps encore il tiendra la scène, mais chaque nouvelle apparition rappelle qu’on a affaire à quelqu’un qui n’a jamais arrêté de croire que la musique pouvait encore dire quelque chose de vital.
Guide pratique: entrer dans l’univers de Robert Smith sans se perdre
Tu arrives devant la discographie de The Cure, tu paniques, tu ne sais pas par où commencer. Respire. On va te faire un kit de survie.
Par où commencer selon ton humeur
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Je suis en vrac, j’ai besoin de sombrer proprement
Va sur Disintegration. C’est long, beau, écrasant, mais cathartique. -
Je veux du sombre, mais je veux bouger un peu
The Head on the Door et Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me vont te donner le combo riffs, refrains et ombre portée. -
Je veux la matrice goth, brute, sans filtre
Pornography et Faith sont tes meilleurs ennemis. -
Je veux juste des tubes qui font mal au coeur mais que je peux chanter sous la douche
Une compile de singles suffit pour commencer: « Just Like Heaven », « Lovesong », « In Between Days », « Friday I’m in Love ».
| Année | Album | Line-up principal (musiciens) | Producteur(s) | Studio(x) principal(aux) | Notes clés |
|---|---|---|---|---|---|
| 1979 | Three Imaginary Boys | Robert Smith (chant, guitare, harmonica) · Michael Dempsey (basse, chœurs) · Lol Tolhurst (batterie) | Chris Parry | Morgan Studios, Londres | Premier album post-punk/new wave, production imposée par le label. |
| 1980 | Seventeen Seconds | Robert Smith (chant, guitare) · Simon Gallup (basse) · Matthieu Hartley (claviers) · Lol Tolhurst (batterie) | The Cure, Mike Hedges | Morgan Studios, Londres | Début de la « trilogie sombre », virage cold wave minimaliste. |
| 1981 | Faith | Robert Smith (chant, guitare, claviers, basse VI) · Simon Gallup (basse) · Lol Tolhurst (batterie) | The Cure, Mike Hedges | Morgan Studios, Londres | Album plus lent et introspectif, tons religieux et funèbres. |
| 1982 | Pornography | Robert Smith (chant, guitare) · Simon Gallup (basse) · Lol Tolhurst (batterie, claviers) | Phil Thornalley, The Cure | RAK Studios, Londres | Chef-d’œuvre dark et désespéré, sommet gothique absolu. |
| 1984 | The Top | Robert Smith (tous instruments sauf batterie) · Lol Tolhurst (claviers) · Andy Anderson (batterie) | Robert Smith, Dave Allen, Chris Parry | Genetic Studios, The Garden & Trident Studios, Londres | Album psyché et chaotique, transition vers le son 80s. |
| 1985 | The Head on the Door | Robert Smith (chant, guitare, claviers) · Simon Gallup (basse) · Porl Thompson (guitare, claviers) · Lol Tolhurst (claviers) · Boris Williams (batterie) | Robert Smith, David M. Allen | Angel Recording Studios, Londres | Premier grand succès pop, équilibre entre noirceur et immédiateté. |
| 1987 | Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me | Robert Smith · Simon Gallup · Porl Thompson · Lol Tolhurst · Boris Williams | David M. Allen, Robert Smith | Studio Miraval (France), Compass Point (Bahamas) | Double album éclectique, flamboyant, « Just Like Heaven » en hymne. |
| 1989 | Disintegration | Robert Smith · Simon Gallup · Porl Thompson · Boris Williams · Roger O’Donnell · (Lol Tolhurst crédit symbolique) | Robert Smith, David M. Allen | Hookend Recording Studios, Oxfordshire | Monument goth/dream-pop, production immersive, succès mondial. |
| 1992 | Wish | Robert Smith · Simon Gallup · Porl Thompson · Perry Bamonte · Boris Williams | Robert Smith, David M. Allen | The Manor Studio, Oxfordshire | N°1 UK / N°2 US, « Friday I’m in Love », sommet pop-goth. |
| 1996 | Wild Mood Swings | Robert Smith · Simon Gallup · Perry Bamonte · Roger O’Donnell · Jason Cooper (+ batteurs invités) | Robert Smith, Steve Lyon | St Catherine’s Court (Bath), Haremere Hall (Sussex) | Album éclectique, réception contrastée, premiers signes d’essoufflement. |
| 2000 | Bloodflowers | Robert Smith · Simon Gallup · Perry Bamonte · Jason Cooper · Roger O’Donnell | Robert Smith, Paul Corkett | St Catherine’s Court, RAK Studios | Fin de la « trilogie » (avec Pornography et Disintegration), introspectif et dense. |
| 2004 | The Cure | Robert Smith · Simon Gallup · Perry Bamonte · Roger O’Donnell · Jason Cooper | Ross Robinson, Robert Smith | Olympic Studios, Londres | Son plus brut et organique, énergie post-hardcore. |
| 2008 | 4:13 Dream | Robert Smith · Simon Gallup · Porl Thompson · Jason Cooper | Robert Smith, Keith Uddin | Multiples sessions (2006–08) | Dernier album studio avant longue pause, rock lumineux, projet initialement double. |
| 2024 | Songs of a Lost World | Robert Smith · Simon Gallup · Roger O’Donnell · Jason Cooper · Reeves Gabrels | Robert Smith, David M. Allen | Studios non précisés (UK & Europe) | Album sombre et orchestral, après 16 ans… |
Morceaux indispensables pour comprendre le personnage
Deuxième kit de survie, version morceaux. Si tu devais expliquer Robert Smith à quelqu’un en 10 titres, tu pourrais viser:
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« A Forest »
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« One Hundred Years »
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« The Figurehead »
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« In Between Days »
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« Just Like Heaven »
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« Lovesong »
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« Pictures of You »
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« Plainsong »
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« Alone »
Chacun de ces morceaux représente une facette: la peur, la transe, le romantisme, la joie contrariée, la mélancolie assumée, le vieillissement. Tu les écoutes dans le désordre, tu lis les paroles, tu observes comment la guitare et la voix se répondent, et tu as déjà un portrait plus précis que n’importe quelle biographie officielle.
Conclusion
On pourrait résumer Robert Smith à une silhouette en noir et à quelques hits passés en boucle sur les radios rock, mais ce serait passer à côté du principal: ce type a construit, sur plusieurs décennies, un refuge sonore pour tous ceux qui se sentent de travers dans un monde trop droit. Il a transformé ses doutes, ses peurs, ses obsessions en un langage musical qui parle à la fois aux marginaux, aux romantiques, aux anxieux chroniques et aux simples amateurs de belles mélodies.
L’héritage de robert Smith, ce n’est pas seulement une suite d’albums cultes et de concerts marathons, c’est la preuve qu’on peut rester soi-même, bancal et excessif, et trouver malgré tout une place centrale dans la culture populaire. Tant qu’il montera sur scène, guitare au cou, à traîner sa silhouette fatiguée sous les projecteurs, on saura que quelque part, la mélancolie a encore droit de cité. Et quand il finira par s’arrêter, la légende continuera de tourner sur platines, playlists et souvenirs, comme une nuit qui refuse obstinément de se terminer.
FAQ sur Robert Smith
1. Pourquoi Robert Smith est-il considéré comme une icône du goth rock alors qu’il rejette cette étiquette ?
On colle souvent à Robert Smith l’étiquette d’icône du goth rock parce que tout, chez lui, semble cocher les cases: look sombre, maquillage, univers mélancolique, albums comme Pornography ou Disintegration érigés en bibles par des générations de fans en noir. Pourtant, lui répète depuis des années qu’il n’a jamais voulu être « le chef d’un mouvement goth ». Il rappelle que The Cure a aussi signé des tubes pop lumineux, presque naïfs, et que cette simplification le fait doucement rire. En réalité, l’étiquette vient moins de ses intentions que de l’usage qu’en ont fait les fans et la presse: dans les années 80, la culture avait besoin d’un visage pour symboliser tout un pan de la subculture sombre, il est devenu ce visage presque malgré lui. Ce paradoxe alimente la fascination: un homme qui a façonné une esthétique majeure tout en refusant le rôle de gourou.
2. Comment expliquer la longévité de The Cure et de Robert Smith sur scène et en studio ?
Si Robert Smith et The Cure tiennent encore la route après plusieurs décennies, ce n’est pas un miracle, c’est une combinaison d’obstination, d’exigence et de capacité à se réinventer sans perdre leur identité. Smith a toujours su quand il fallait simplifier, quand il fallait replonger dans la noirceur, quand il fallait laisser entrer un peu de lumière.Robert Smith ne s’est jamais contenté d’aligner des best-of nostalgiques: il a continué à écrire, à enregistrer, à tester de nouveaux morceaux sur scène, à collaborer avec des artistes plus jeunes. Ajoute à ça une base de fans fidèles mais constamment renouvelée, nourrie par les reprises, les samples, les citations dans la culture pop, et tu obtiens un groupe qui ne vit pas uniquement sur son passé. Et puis, il y a cette dimension très simple: tant qu’il a quelque chose à ressentir, Smith aura quelque chose à écrire.
3. Quel est l’album le plus représentatif de l’univers de Robert Smith pour un nouveau venu ?
La réponse honnête, c’est qu’il n’y en a pas qu’un, mais si tu devais en choisir un, Disintegration reste probablement le portail le plus complet vers l’univers de Robert Smith. Tu y trouves tout: la grandeur goth, les climats étirés, les textes hantés par l’amour et la peur de la perte, mais aussi des mélodies évidentes qui t’embarquent sans effort. C’est un disque long, dense, presque cérémoniel, qui demande du temps mais rend énormément. Il a aussi l’avantage d’être un carrefour dans la discographie: il synthétise la noirceur des débuts et la maîtrise pop acquise au milieu des années 80. Une fois que tu es passé par là, tu peux remonter vers Faith et Pornography pour le côté plus radical, ou bifurquer vers The Head on the Door et Wish pour le versant plus accessible. C’est un peu la porte d’entrée principale d’une maison aux pièces multiples.
4. En quoi la relation de Robert Smith avec Mary Poole influence-t-elle sa musique ?
La relation entre Robert Smith et Mary Poole est l’une des anomalies les plus touchantes de l’histoire du rock: une histoire d’amour commencée au lycée, qui traverse les décennies, les tournées, les excès, sans devenir un feuilleton médiatique douteux. Elle influence sa musique de façon directe, comme avec « Lovesong » écrit pour leur mariage, mais aussi de manière plus diffuse. Mary incarne un ancrage dans le réel, un contrepoint au chaos existentiel que Smith explore dans ses paroles. Elle prouve que l’on peut chanter le manque, la peur de perdre, la fragilité des liens, tout en vivant une relation stable. Cette tension entre la stabilité réelle et l’instabilité émotionnelle fantasmée est un des moteurs de sa créativité: il peut se permettre d’explorer les abysses parce qu’il sait qu’il y a, quelque part, un point fixe qui l’attend.
5. Pourquoi les concerts de The Cure sont-ils souvent décrits comme des expériences quasi cathartiques ?
Les concerts de The Cure ne ressemblent pas à une promotion d’album standard où l’on enchaîne les singles sous pyrotechnique. Avec Robert Smith, tu te tapes souvent deux heures et demie, parfois trois heures de set, qui fonctionnent comme un voyage émotionnel complet. La setlist brasse toutes les époques, des morceaux ultra sombres aux tubes pop fédérateurs, dans un ordre pensé pour te faire passer par plusieurs états. Sur scène, Robert Smith ne joue pas le frontman démonstratif, il marche, il observe, il chante comme s’il revisitait chaque souvenir attaché aux chansons. Quand tu te retrouves dans une aréna plongée dans le noir, à écouter « Alone » ouvrir le bal ou « Pictures of You » résonner sur des milliers de voix, tu comprends que le concert est moins un show qu’un rituel collectif de mise à nu. Tu en sors rincé, mais paradoxalement allégé.
6. Comment la perception de Robert Smith a-t-elle évolué au fil des décennies dans les médias et auprès du public ?
Au début, Robert Smith est perçu comme un outsider un peu étrange, chanteur d’un groupe post-punk parmi d’autres. Avec la montée du goth et des albums comme Pornography, il devient la figure de proue d’une jeunesse en noir, souvent caricaturée en « ado dépressif ». Les médias le traitent parfois comme curiosité morbide, parfois comme génie torturé. Dans les années 90, avec le succès massif de Wish et des singles radios, il se transforme en star planétaire, tout en gardant son image de marginal. Aujourd’hui, le regard a changé: il est vu comme un monument de l’alternative rock, un artisan respecté, un modèle de sincérité artistique. Des documentaires, des classements d’albums, des hommages d’artistes plus jeunes construisent une image de patriarche bienveillant plus que de freak. La presse qui le moquait hier le célèbre maintenant pour sa constance et son intégrité.
7. Robert Smith est-il encore créativement pertinent ou simplement porté par la nostalgie ?
La question hante tous les artistes installés: est-ce que tu produis encore quelque chose qui compte, ou est-ce que tu vends seulement des souvenirs. Dans le cas de Robert Smith, la nostalgie est évidemment présente: les tournées anniversaires, les célébrations de Disintegration ou d’autres albums y participent. Mais réduire son activité à ça serait malhonnête. Il continue d’écrire, d’enregistrer, d’évoquer de nouveaux disques en gestation, de tester des morceaux inédits sur scène. Surtout, il reste connecté à la scène actuelle, via des collaborations, des apparitions surprises avec des artistes plus jeunes. Le fait que son style reste immédiatement identifiable ne signifie pas qu’il tourne en rond: au contraire, il explore comment ce langage peut résonner dans un monde saturé de sons numériques et d’images instantanées. Il n’est plus dans la rupture, mais dans l’approfondissement.
8. En quoi le refus de la virtuosité technique fait-il partie de l’ADN artistique de Robert Smith ?
Dans un univers rock souvent obsédé par le « niveau » et la démonstration, Robert Smith fait figure d’hérétique. Il n’est pas un guitar hero au sens classique, il ne te balance pas des solos à 200 km/h ou des plans pour impressionner YouTube. Ce qui l’intéresse, c’est l’impact émotionnel, pas la prouesse. Ses parties de guitare sont souvent simples, reposant sur des motifs répétés, des accords ouverts, des arpèges baignés d’effets. Sa voix aussi refuse la perfection lisse: elle tremble, se casse, se tend, mais c’est précisément cette fragilité qui la rend touchante. Ce refus de la démonstration technique est un statement esthétique: la musique doit toucher avant de briller. C’est cette philosophie qui rend ses morceaux accessibles à des musiciens amateurs, et explique pourquoi tant de gens ont appris la guitare sur des chansons de The Cure plutôt que sur des solos injouables.
9. Comment la figure de Robert Smith a-t-elle façonné la culture goth et alternative au-delà de la musique ?
La silhouette de Robert Smith a débordé du cadre strictement musical pour devenir un symbole culturel. Ses cheveux en bataille, son maquillage, ses silhouettes amples ont inspiré toute une esthétique goth, des fringues aux affiches, en passant par la façon de se tenir, de danser, de poser sur les photos. Des générations entières ont trouvé dans son image la permission d’être excessives, vulnérables, théâtrales. Au delà du look, sa façon d’assumer la tristesse, l’hypersensibilité, l’angoisse a ouvert un espace où ces émotions n’étaient plus des faiblesses honteuses, mais des matières premières pour créer. Dans les films, les séries, la littérature, on retrouve des références directes ou indirectes à lui et à The Cure, preuve que son influence dépasse largement les platines. Il a contribué à faire de la marginalité émotionnelle un territoire partagé, presque une communauté esthétique à part entière.
10. Que restera-t-il de Robert Smith dans 50 ans si les guitares ne sont plus à la mode ?
Même si, dans 50 ans, la guitare est devenue un objet vintage réservé aux musées, l’empreinte de Robert Smith ne se résumera pas à un instrument. Ce qui restera, ce sont des chansons, des structures mélodiques, une certaine façon de dire la douleur, le manque, l’amour et le temps qui passe. Les albums les plus forts de Robert Smith continueront d’être redécouverts comme on redécouvre aujourd’hui certains classiques du jazz ou de la chanson: pas parce qu’ils sont « à la mode », mais parce qu’ils contiennent quelque chose de profondément humain. La silhouette de robert Smith deviendra peut-être un archétype dans les livres d’histoire de la musique, la preuve qu’on pouvait être bizarre, vulnérable et pourtant fédérer des stades. Quant à la culture goth et alternative, elle portera encore, sous d’autres formes, cette idée qu’on peut se mettre à part tout en parlant à tout le monde. En ce sens, il appartient déjà plus à l’histoire qu’à l’actualité, et c’est précisément ce qui garantit sa survie.





