5/5 ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ Trente ans plus tard, les frères Robinson rallument la mèche. Et elle brûle toujours sale, belle et dangereuse. The Black Crowes Amorica Deluxe remet sur la platine ce disque mythique de 1994, entre extase et overdose, cette odyssée sudiste où la soul embrasse le psychédélisme, le funk flirte avec la décadence, et le rock saigne de sincérité.

The Black Crowes Amorica
L’Amérique derrière la braguette
À sa sortie, Amorica avait tout du suicide commercial. Une pochette censurée, un son trop libre pour la FM, trop sale pour MTV. Là où d’autres auraient choisi le confort, Chris Robinson et sa bande ont préféré le vertige. On se souvient du croisement improbable entre Sticky Fingers et There’s a Riot Goin’ On, où le gospel se vautre dans la boue et la rédemption.
Cette réédition Amorica Deluxe réveille tout ce foutoir glorieux avec un remaster massif, mais surtout des strates inédites : Tall, le fameux album avorté, et les sessions de Marie Laveau, enregistrées à la Nouvelle-Orléans. C’est un voyage complet dans la tête d’un groupe au bord de la décomposition — et donc au sommet de sa créativité.
Funk, drogue et rédemption
Dès Gone, le décor est planté : cowbell, riff incandescent, voix arrachée. Chris Robinson éructe, implore, prêche. Marc Ford, lui, balance un solo qui semble se dissoudre dans l’éther. Sur High Head Blues, le groove évoque War et Sly Stone ; Wiser Time reste cette montée mystique, parfaite pour rouler vers nulle part, cigarette au bec et âme en cavale.
Mais le vrai miracle d’Amorica — et que The Black Crowes Amorica Deluxe remet en lumière —, c’est cette impression d’album-concept déguisé. Chaque titre y est une scène du même trip : sexe, dope, dérive, épiphanie. She Gave Good Sunflower pourrait être une prière païenne. Cursed Diamond, une confession sous acide. Même Descending, l’ultime morceau, résonne comme une descente de trip lucide et douloureuse.

The Black Crowes Amorica
Nouvelle-Orléans : les saints et les damnés
Les Marie Laveau Sessions enregistrées à Kingsway Studios en 1992 ajoutent une couche d’humanité crue. Le groupe y improvise comme une bande de vauriens habités : Exit groove comme un jam vaudou ; Girl from the Pawnshop anticipe les élans gospel de Three Snakes and One Charm ; Nonfiction (acoustic) respire la poussière et le chagrin.
On y sent la chaleur moite, les démons du delta, les premiers signes de la chute. La drogue commence à grignoter le collectif. Marc Ford, génie tragique, est déjà dans l’œil du cyclone. Et pourtant, le son, lui, reste incandescent. Ce contraste — entre spiritualité et autodestruction — est au cœur de The Black Crowes Amorica Deluxe.
1994 : la dernière utopie rock
En revisitant ces bandes, on mesure à quel point Amorica fut un baroud d’honneur. En 1994, le rock américain se rangeait : Nirvana était mort, Pearl Jam tournait en rond, le punk californien s’industrialisait. Les Crowes, eux, refusaient de choisir entre les anges et les diables. Ils embrassaient les deux.
On entend dans cette réédition une foi désespérée dans le pouvoir du groove et du riff, quelque chose d’aussi physique que spirituel. Les Robinson chantaient la chute comme d’autres prient pour le salut. Et c’est ce qui rend Amorica intemporel : il transpire la vérité, même sale.
Le verdict
Cette Amorica Deluxe est bien plus qu’un coffret collector : c’est une leçon de rock organique, une archive vivante d’un moment où le danger faisait partie de la musique. Pas de nostalgie ici, juste la confirmation qu’un groupe peut être à la fois perdu et lumineux, que la défonce peut accoucher de beauté pure.
Les remasters sont puissants sans trahir l’âme analogique. Les inédits, eux, enrichissent la légende sans l’abîmer. Et l’ensemble rappelle que, sous la crasse, les Crowes cherchaient la grâce.
★★★★★ — Magnifiquement dépravé, mystique et viscéral.
Souvent accusés d’avoir été les derniers hippies du Sud, les Black Crowes prouvent ici qu’ils étaient surtout les derniers à croire que la musique pouvait encore sauver quelque chose. The Black Crowes Amorica Deluxe n’est pas une réédition. C’est une réincarnation.
Fiche
| Artiste | The Black Crowes |
|---|---|
| Album | Amorica Deluxe |
| Label | UMe |
| Sortie | 14 novembre 2025 |
| Style | Southern rock psyché / Funk mystique |
| Durée | 5 LP (remasters + inédits) |
| Pour fans de | The Rolling Stones, Faces, The Allman Brothers Band, The Black Keys |
| Note Rock Sound | ★★★★★ (5/5) |
| Verdict express | L’un des plus beaux dérapages contrôlés du rock américain. |





