La Suède. Le Blues. Un pays. Un genre musical. Vous faites le lien ? Pas forcément et cela s’entend. Ce pays scandinave de 10 millions d’habitants a beau être depuis des années l’un des plus importants acteurs musicaux mondial, avec pendant de longues années cette troisième place au rang des exportations derrière la Grande-Bretagne et les USA, ce n’est pas forcément par le Blues que le lien se fait chez la plupart des auditeurs.
Abba, Roxette, Ace of Base, Zara Larsson, Swedish House Mafia ou Avicii pour le côté pop et électro… Europe, Ghost, Refused, The Hives, Royal Republic, The Cardigans, Entombed, In Flames, The Hellacopters, Sabaton, First Aid Kit, Viagra Boys et -littéralement – des centaines d’autres pour le rock et le métal, les artistes et les groupes qui ont marqué de leurs décibels l’histoire de la musique et plus spécifiquement du rock sont légion au pays de Minecraft (oui, j’ai décidé d’ignorer la célèbre référence à l’ameublement en kit).
Une Interview de Sylvain RUNBERG

Bror Gunnar Jansson
Mais le Blues donc ? On y vient. Il y a un musicien, auteur, chanteur, compositeur, qui depuis son premier opus en 2012, le hanté, sulfureux et possédé album éponyme a immédiatement interpellé en Suède et ailleurs : Bror Gunnar Jansson. Un Suédois né en 1989 à Lerum, petite ville située dans le Västra Götaland, rien qui ne vous rapproche à priori du Mississipi et de Robert Johnson.
Et pourtant, avec maintenant sept albums et quelques autres formats courts à son actif, le toujours impeccablement sapé Bror Gunnar Jansson ravit depuis près de 15 ans tous les amateurs de slide guitare, de chant mélodieusement habité, rugueux parfois et porteur de textes où le diable, la mort et leurs sulfureuses incarnations ne sont jamais loin.
Son album Faceless Evil, Nameless Fear publié en 2021 avait marqué une rupture plus nette avec le Blues en empruntant des sonorités et des constructions à un rock plus lourd façon stoner rock inspiré, le dernier en date – People!, flirte avec la soul et des mélodies que les grands de la Motown ne renieraient pas, où certains rythmes funky prennent le dessus, toujours avec la touche unique qui caractérise ce talentueux Suédois.
L’occasion d’échanger avec lui et d’en savoir plus sur ce qui se cache derrière cet homme au regard glacial et aux chansons chaleureusement captivantes.
Bonjour Bror Gunnar Jansson. Quand on nait et grandit dans une petite ville de Suède, comment en arrive-t-on à choisir le Blues en ce début de XXIe siècle pour s’exprimer artistiquement ?
Bror Gunnar Jansson : Je ne dirais pas que j’ai choisi le blues en particulier, mais plutôt la musique en général. Il y a tellement de bonnes musiques et je ne me suis jamais vraiment intéressé aux genres. Je préfère plutôt explorer et m’exprimer dans tous les types de musique que j’apprécie.
Est-ce que la musique était présente dans votre enfance, votre adolescence ? Sous quelle forme et dans quelle mesure ?
Bror Gunnar Jansson : Oh, oui. Mon père, Kjell, est bassiste professionnel et, pendant mon enfance, il jouait principalement dans des groupes de jazz (parfois avec des grands noms tels que Chet Baker, Toots Thielemanns, James Moody et, bien-sûr, toute une série d’artistes suédois), mais aussi dans des groupes plus blues et funk. Quand j’ai grandi, Kjell jouait souvent dans un théâtre à Göteborg (la grande ville la plus proche de Sävedalen, où j’ai grandi, avant d’habiter à Lerum)
. Il m’emmenait donc avec lui et me déposait au club de jazz local, Nefertiti, avant d’aller au théâtre. Et quand il avait fini de travailler, il venait me chercher ou restait écouter le dernier set avec moi avant de rentrer à la maison. Avoir grandi dans cet environnement a été très enrichissant et c’est la principale raison pour laquelle j’ai commencé à m’exprimer à travers la musique. En fait, le père de Kjell, Bror, était également musicien. Il jouait de l’accordéon. Il a d’ailleurs été nommé meilleur accordéoniste suédois de l’année 1958. Et son père était lui aussi accordéoniste. La musique a donc occupé une place très importante dans ma vie pendant mon enfance
Avez-vous joué d’autres types de musiques que le Blues avant que votre carrière ne débute en 2012 ?
Bror Gunnar Jansson : Comme je le disais, je ne me suis jamais soucié des genres musicaux, mais j’ai joué beaucoup de styles différents. Quand on grandit dans une petite ville, on ne peut pas se permettre d’être trop difficile dans ses choix musicaux. Si on veut trouver d’autres personnes avec qui jouer, on doit s’adapter. J’ai toujours été un peu éclectique.
Et je me lasse assez vite de ma propre musique, donc j’ai besoin d’évoluer, de bouger et d’écrire de la musique tout le temps pour rester satisfait. Je suis constamment à la recherche de musique nouvelle pour m’exprimer. Je pense que cela remonte peut-être à l’époque où j’allais à beaucoup de concerts et de spectacles différents quand j’étais jeune. Découvrir de nouvelles musiques en live est une sensation formidable.
Devenir musicien et faire carrière, c’était un objectif, un rêve d’enfant ou pas du tout ?
Bror Gunnar Jansson : Devenir musicien était un objectif et un rêve que j’avais depuis mon plus jeune âge. Je me souviens que j’avais 12 ans lorsque j’ai annoncé à mes parents que j’avais décidé de devenir musicien. Aujourd’hui, plus de 25 ans plus tard, je suis musicien et artiste à plein temps, depuis plus de dix ans. Ce garçon de 12 ans avait donc vu juste !
Comment se passent vos sessions d’enregistrements ? Êtes-vous accompagnés d’autres musiciens, et si oui, sont-ils toujours les mêmes ?
Bror Gunnar Jansson : Tout dépend de la musique, en réalité. Parfois, il n’y a que moi et ma guitare. Parfois, il y a des cordes, des cuivres, etc., parfois une formation traditionnelle. Tout dépend de ce dont j’estime nécessaire pour les différents types de concerts que je donne. Et de ce que je suis capable de mettre en place en fonction du budget et du temps dont je dispose.
Vous vous produisez sur scène parfois seul ou avec d’autres musiciens. Est-ce que vous avez une préférence ? Quels sont les différences en termes de sensations, d’approches entre les deux formules ?
Bror Gunnar Jansson : Je dois dire que je préfère jouer avec d’autres musiciens. Lorsque vous jouez avec d’autres, la musique peut prendre des tournants auxquels vous ne vous attendiez pas. C’est difficile, voire impossible, à réaliser seul. Jouer seul rend le public et la communication entre l’artiste et les auditeurs d’autant plus importants. Et lorsque cette communication fonctionne bien, c’est très gratifiant pour moi en tant qu’interprète.
Vos textes sont souvent similaires à des récits courts, où il existe une vraie narration. Quelles sont vos sources d’inspirations, est-ce qu’elles différent selon les disques ?
Bror Gunnar Jansson : Merci. Je pense que cela a beaucoup varié d’un album à l’autre. Mes trois premiers albums étaient composés d’histoires inventées, souvent avec des personnages récurrents. Les histoires étaient souvent sombres et violentes et s’inspiraient beaucoup de bandes dessinées, de séries télévisées, de films et du folklore. Après cela, j’ai traversé une période où j’ai écrit beaucoup de chansons basées sur des enquêtes criminelles, une sorte de musique inspirée de crimes réels.
Cela m’a amené à écrire de plus en plus sur les injustices sociales, les crimes de guerre et même des chansons de combat. De nos jours, je ressens de plus en plus le besoin, en tant qu’auteur-compositeur et interprète, d’écrire sur ce qui se passe dans le monde. C’est comme l’a dit un jour Nina Simone : « Le devoir d’un artiste est de refléter son époque ». Ainsi, dans mon dernier album, « People! », la plupart des chansons traitent d’une forme d’injustice sociale.
Vos vidéos sont souvent très travaillées, je pense par exemple à « There’s A Killer On The Loose » qui est la première que j’ai vu de vous et qui a tout du court métrage de fiction. Vous êtes inspiré par l’audiovisuel, le cinéma, la série TV ?
Bror Gunnar Jansson : Les films et la télévision ont toujours eu une grande influence et la musique a toujours été très visuelle pour moi. Je souhaite vraiment trouver un moyen de travailler de manière plus visuelle et d’intégrer des aspects visuels dans la musique. Mais j’aimerais aussi écrire et produire de la musique pour une série télévisée ou un film à un moment donné.
Je crois savoir que la bande dessinée vous intéresse aussi, ce qui n’est pas évident pour un artiste venu de Suède, où ce mode d’expression n’est pas très populaire. Cet intérêt, comment est-ce arrivé de votre côté ?
Bror Gunnar Jansson : Mon intérêt pour la bande dessinée me vient de ma mère. Elle avait une belle collection de BD quand j’étais enfant. Il y avait surtout beaucoup de Tintin, Astérix, Lucky Luke, Le Fantôme et bien sûr Bamse (une bande dessinée très populaire en Suède qui raconte l’histoire de l’ours le plus fort – et le plus gentil – du monde).
Votre nouvel album « People », on sent qu’un angle très différent a été pris par rapport à « Faceless Evil, Nameless ». Vous pouvez nous en dire plus ?
Bror Gunnar Jansson : Oui, bien sûr. Le fait est que, encore une fois, je suis un peu éclectique et je me lasse assez facilement des choses, et de moi-même. J’ai donc besoin de beaucoup varier musicalement. Maintenant, quand j’écris des chansons, je les classe en différentes piles. Et quand une pile est assez grande, j’essaie d’enregistrer ces chansons pour un album. Ainsi, mon dernier album (coproduit par Christopher Cantillo), « People! », que je qualifierais d’album soul, a été enregistré principalement pendant un week-end d’octobre 2024. Le week-end suivant, j’ai enregistré un album stoner (que je n’ai pas encore eu le temps de sortir).
Vous êtes largement reconnu en France chez les amateurs de rock et de blues avertis, comment expliquez-vous ce succès ? Comment voyez-vous la scène musicale suédoise en 2025 ?
Bror Gunnar Jansson : Eh bien, merci. Je pense que c’était plus vrai il y a quelques années, mais j’aimerais que cela redevienne vrai un jour. J’aime beaucoup jouer devant le public français, qui sait à la fois écouter attentivement la musique, même lorsqu’elle est douce et discrète, et applaudir et créer une bonne ambiance dans la salle. Le succès que j’ai connu est comme toujours avec le succès.
J’étais au bon endroit au bon moment pendant un certain temps, ce qui m’a permis de récolter les fruits de mon travail acharné. La seule différence entre un artiste qui travaille dur et qui réussit et un artiste qui travaille dur et qui échoue, c’est d’être au bon endroit au bon moment.
Y-a-t-il des musiciens, des groupes français récents – ou pas – que vous affectionnez particulièrement ?
Bror Gunnar Jansson : Ooough, c’est une question difficile. Je ne sais pas. En ce qui concerne mes récentes découvertes musicales, même si elles ne viennent ni de Suède ni de France, je pense à Derya Yildirim & Grup Simsek. En particulier la chanson « Haydar Haydar »
La question qui va droit au but : être musicien professionnel aujourd’hui en une phrase (ou plus)
Bror Gunnar Jansson : Presque impossible. Malheureusement. Depuis que je suis dans le métier, les choses n’ont fait qu’empirer. Il est impossible de trouver des concerts si l’on n’a pas de nouvel album à sortir. Tous les groupes sortent donc sans cesse de nouveaux albums. On se noie alors dans le flot des nouveautés discographiques. On a donc du mal à trouver des concerts. Et il est impossible de trouver un label ou une agence qui veuille travailler avec vous si vous n’avez pas déjà un nombre considérable de followers sur l’une des grandes plateformes de réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux sont donc inondés de groupes qui ne semblent intéresser personne. Les groupes se plient donc en quatre pour trouver de nouvelles façons « créatives » de se démarquer dans un océan de groupes qui ne cesse de grandir. Et presque plus rien dans l’industrie musicale n’a de rapport avec la musique. Et ne me lancez pas sur le journalisme musical suédois ! C’est une chose qui est certainement meilleure en France. Le journalisme musical et culturel.
Si vous deviez nommer trois albums de rock au sens le plus large possible qui vous ont marqué dans votre vie et pourquoi ?
Bror Gunnar Jansson : Hum. C’est très difficile. Un album qui m’a beaucoup inspiré, en particulier pour ce dernier album, est Fresh de Sly & The Family Stone. Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu « In Time » sur cet album. Je devais avoir environ dix ans, et mon père m’a fait écouter quelques morceaux qu’il devait apprendre pour un concert, sur le lecteur cassette de notre voiture. C’est aussi à cette époque que j’ai entendu « Sexy MF » de Prince pour la première fois, un autre morceau et un autre artiste qui ont beaucoup compté pour moi !
Live Evil de Miles Davis est un autre classique vers lequel je reviens toujours. C’est tellement groovy, tout en restant sauvage et libre.
Electric Ladyland de Jimi Hendrix est un autre de ces albums qui ne cessent de m’étonner. La chanson « Voodoo Child » représente en quelque sorte tout ce que j’aime dans la musique. Elle est groovy et sauvage, et la communication entre les musiciens est tout simplement magnifique.
Est-ce que vous avez des side-projects dans votre carrière ?
Bror Gunnar Jansson : Je suis l’un des trois chanteurs d’un groupe appelé Det Blev Handgemäng. Un groupe parfois bluesy, parfois country, parfois prog suédois et assez souvent politique. Nous avons sorti deux albums et un troisième est en préparation actuellement.
The Groove Extension est un groupe dirigé par mon père. C’est du jazz, mais avec beaucoup d’arrangements, souvent avec des cordes et des cuivres. Souvent assez expérimental, avant-gardiste et politique.
Je pense aussi que ma musique solo est devenue en quelque sorte plusieurs projets parallèles différents. Je leur ai donc donné des noms pour essayer de clarifier le type de musique auquel on peut s’attendre de ma part (comme je l’ai déjà mentionné, je ne m’intéresse pas vraiment aux genres, mais je pense que certaines personnes s’y intéressent) :
Bror Gunnar Jansson…& Nameless Fear est mon trio puissant aux sonorités stoner et psychédéliques.
Bror Gunnar Jansson…& Unknown Ritual est un quatuor avec tuba, violoncelle, batterie, guitares et tout un tas d’autres instruments et trucs qui jouent plutôt ma musique bluesy, southern gothic, à la Tom Waits et circassienne.
Bror Gunnar Jansson…& The Escapism est mon nouveau projet avec le batteur/producteur Christopher Cantillo (Dina Ögon) où nous faisons plus ou moins de la musique soul.
Des dates de concert à venir en France ?
Bror Gunnar Jansson : J’aimerais bien ! Jouer en France me manque vraiment. Avant, je le faisais souvent ! Mais depuis la pandémie, je n’ai donné que quelques concerts en France. Ce qui est triste pour moi, car la France est à mon avis l’un des meilleurs pays pour jouer de la musique live ! De belles salles, un bon équipement, un personnel serviable et un public presque toujours formidable !
Un grand merci à toi !
Bror Gunnar Jansson : Un grand merci à toi Sylvain !
Site web : https://brorgunnar.com/





