Il y a des disques qui s’écoutent comme on mate, dans la nuit, les néons défiler derrière la vitre embuée d’une voiture. Ces mêmes lumières crasses qui trahissent la nuit un semblant de chaleur, comme un mirage, un simulacre. Birthmarks rôde dans ce décor, guette et t’attire dans son ombre sans que tu t’en rendes compte. Il s’infiltre sous l’épiderme, percole à travers les nerfs, pour se dissoudre et insidieusement se faire une place dans le trafic de notre circulation sanguine. Et puis, quelque part dans ce même décor, il y a Elena. Toujours là. Silhouette fuyante, fantôme en suspens entre deux refrains.
Bambara, c’est ce trio new-yorkais qui te saisit à la gorge avec ses récits de motels trop éclairés, de cendriers qui débordent et de romances désaxées. Reid Bateh (chant, guitare), Blaze Bateh (batterie) et William Brookshire (basse) forgent un rock spectral, abrasif, qui exhale la poussière brûlée et la déréliction urbaine. Là où leur précédent album flirtait encore avec le post-punk narratif, Birthmarks s’affranchit des balises et s’enfonce dans une noirceur plus dense, plus viscérale.
Produit par Graham Sutton (Jarvis Cocker, British Sea Power), l’album sonne comme une incantation funèbre, une procession tordue où chaque instrument semble lesté de plomb, chaque mesure une marche forcée vers un précipice insondable. Birthmarks n’est pas de ces disques que l’on écoute passivement : il vampirise l’attention, l’accapare et la broie. Il impose son souffle court, ses histoires crasseuses, et cette présence insaisissable qui erre le long de ses 10 morceaux.
« Hiss », et ses réminiscences Depeche Modiennes, pose les briques avec ses percussions cliniques, ses synthés enjôleurs et sa basse gorgée d’une mélancolie vénéneuse. Mais c’est la tension, permanente, qui fait de cet album une menace rampante.
Holy Bones » s’ouvre sur une ligne vocale sépulcrale presque sinistre, avant de muter en une merveille presque pop et lumineuse, tandis que « Letters From Sing Sing » joue les équilibristes entre syncopes hargneuses et montées incandescentes, propulsant son refrain comme une balle traçante, prête à éclater entre les deux oreilles de celui ou celle qui choisit de faire de Birthmarks son compagnon d’infortune.
Et on retrouve Elena. Elena, c’est l’obsession qui hante chaque recoin de Birthmarks. Toujours là, jamais tangible, c’est aussi elle qu’on devine derrière les éclats de voix, c’est son ombre qui danse sur les murs sales de Brooklyn. Son regard fendu en deux, son absence gravée dans chaque riff. Une femme-fantôme, un souvenir qui suinte dans le déluge sonique.

Bambara – Birthmarks
Si Bambara a souvent été comparé à Nick Cave ou aux cavalcades bruitistes d’Early Swans, ici, ils sabordent leurs influences pour mieux s’en extraire. Le basse/batterie bat comme un cœur malade, les guitares fusent comme des arcs électriques, et la voix de Bateh, rauque, éraillée, te saisit par la nuque sans jamais faiblir. Sa voix oscille entre messes murmurées et incantations scandées (« Pray To Me »). Ça gronde, ça vacille, ça s’achève, et ça nous laisse sur les genoux.
Mais là où Birthmarks dépasse la simple somme de ses parties, c’est dans l’ampleur de son ambition sonore. Moins de guitares, plus de textures : synthés-basses inquiétants, cuivres funèbres, harpes et vibraphones disséminés comme des éclats de lumière dans la pénombre. En collaborant avec Graham Sutton, Bambara s’est éloigné de ses automatismes pour explorer un territoire plus cinématographique, où chaque chanson est une scène, chaque mesure une respiration suspendue. On y sent l’influence d’un Springsteen époque Nebraska, mais aussi des visions fiévreuses du Southern Gothic, des fantômes de Flannery O’Connor à la poésie abrasive de Yusef Komunyakaa.
Ce n’est pas une simple collection de morceaux, c’est une errance dans une Amérique livide, un road-movie dont chaque plan suinte la poussière et le désenchantement. Et puis, quand les amplis s’éteignent, il ne reste que le silence. Et l’impression tenace qu’Elena est toujours là, quelque part, à fixer l’horizon.
Le disque est sorti le 14 mars chez Belle Union
Genre : Post Punk / Death Rock
Tracklist :
1. Hiss
2. Letters From Sing Sing
3. Face Of Love
4. Pray To Me
5. Holy Bones
6. Elena’s Dream
7. Because You Asked
8. Dive Shrine
9. Smoke
10. Loretta