Larkin Poe, c’est la voix de Rebecca qui gronde, caresse et s’élève comme une confession électrique, et la guitare de Megan qui glisse, mord et murmure avec une intensité viscérale. L’une fait vibrer les mots, l’autre fait parler les cordes. Ensemble, les sœurs Lovell tracent une route sinueuse entre les racines du blues, les éclats du rock sudiste et les battements d’un cœur résolument moderne. Depuis l’enfance, elles jouent, cherchent, improvisent… et aujourd’hui, elles s’épanouissent. Bloom, leur nouvel album, est une ode à l’authenticité, à la vulnérabilité assumée, à la beauté des détours… une quête de soi au milieu du bruit du monde. Une floraison tardive, peut-être, mais éclatante. Dans cette interview, elles racontent leur parcours, leur lien indéfectible, et cette musique qui les traverse comme une vérité à partager.

Larkin Poe : vibrations intimes et confession à fleur de cordes
Larkin Poe, c’est un duo de sœurs qui électrise les racines du blues avec une énergie rock viscérale et une sincérité brûlante. Leur musique, entre riffs rugueux et harmonies profondes, raconte des histoires de vérité, de révolte douce et de quête de soi… comme une confession amplifiée venue du Sud. À l’occasion de leur passage à Paris il y a quelques temps, j’avais eu le plaisir de rencontrer Megan et Rebecca Lovell, les deux parties de l’âme de Larkin Poe, pour parler de leur parcours, leur évolution, leurs envies… et leur dernier album, Bloom. Elles joueront le 24 octobre à guichets fermés Salle Pleyel à Paris. Si vous ne les connaissez pas encore, voici un aperçu de leur univers… vibrant et authentique.
Rock Sound Je vous suis depuis quelques années, et je suis vraiment heureuse de voir la belle évolution que vous vivez. Vous jouez de la musique depuis votre plus jeune âge. Est-ce vrai que vous avez commencé vers cinq ou six ans ?
Megan (Larkin Poe) : C‘était même encore plus tôt ! On a commencé à jouer du violon classique quand elle avait trois ans et moi quatre. On en a fait pendant quelques années, puis du piano classique. Et quand on était adolescentes, on est allées à un festival de musique roots américaine, et c’est là qu’on a entendu du bluegrass pour la première fois. On a été complètement soufflées par l’idée de jam, par l’improvisation. Ça nous a tellement marquées qu’on a arrêté nos cours classiques.
Rock Sound : C’est ce moment-là qui vous a fait basculer vers le rock et le blues ?
Rebecca (Larkin Poe) : Oui, je pense que ça a été le tournant où on a commencé à se considérer comme des autrices-compositrices, capables de créer notre propre style musical. On a eu la chance de grandir dans une maison où nos parents nous faisaient écouter toutes sortes de musiques. Quand on était petites, on entendait du Bach, du Beethoven, mais aussi les Allman Brothers, Black Sabbath, les Carpenters, Fleetwood Mac, des artistes blues, de la musique du monde, du bluegrass, du gospel… Ils avaient vraiment une palette très large. Donc on a été exposées à une grande diversité d’influences, mais on a toujours été attirées par les genres issus des racines américaines traditionnelles. Le blues, le bluegrass, le gospel, le country ancien, le rock’n’roll des débuts… Les Stones, Led Zeppelin… On a toujours eu une affinité avec ces sons, et en particulier avec le rock qui vient de la tradition blues. Il nous a fallu quelques années pour faire la transition du bluegrass vers le blues. Pour moi, ça a impliqué de passer de la mandoline et du banjo à la guitare électrique, et Megan est passée du dobro à la lap steel. Et c’est là qu’a commencé l’évolution du son Larkin Poe.
Rock Sound : Y a-t-il eu une chanson ou un album qui a provoqué une révélation rock chez vous, ou est-ce plutôt un mélange de tout ce que vous avez évoqué ?
Megan (Larkin Poe) : Tu en as un, toi ? Non, je pense que ça a toujours été là. Je me souviens d’avoir écouté tellement de grands disques en grandissant… C’est dans notre sang, je crois.
Rebecca (Larkin Poe) : Mais on pourrait dire qu’il y a eu un moment marquant pour nous deux, en tant que sœurs. On a de la chance de partager les mêmes goûts musicaux, puisqu’on a grandi dans la même maison. Les disques de Son House et Skip James, du blues du début du XXe siècle — juste une voix et une guitare — ont eu un impact profond sur nous. Le style du hill country blues, qui intègre certaines mélodies de montagne proches du bluegrass, nous a vraiment touchées. Ces deux artistes, leur catalogue en général, ont eu une influence indélébile sur nous. Ils nous ont plongées plus profondément dans les traditions du blues, qui ont ensuite nourri le rock qu’on a commencé à créer.

Larkin Poe : vibrations intimes et confession à fleur de cordes
Rock Sound Saviez-vous très tôt que vous vouliez faire de la musique votre métier ? Est-ce que c’était clair dès le départ ?
Megan (Larkin Poe) : Je ne pense pas qu’on ait jamais envisagé de vivre de la musique. C’était juste un hobby, une passion… qui s’est transformée en mode de vie. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver sur ce chemin. On pensait plutôt suivre les traces de nos parents, dans le domaine médical. Mais on s’est engagées dans cette voie à la fin de l’adolescence, au début de la vingtaine, quand on a compris qu’on faisait un vrai choix. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de s’y consacrer pleinement et de dire : « OK, on fait ça pour de bon. »
Rock Sound : Et quand vous avez commencé à trouver votre identité musicale, vous vous attendiez à ce genre de succès ? Vous tournez aujourd’hui aux États-Unis, en Europe… Vous pensiez que ça irait aussi vite et aussi loin ?
Rebecca (Larkin Poe) : Pas vraiment. Je crois que c’est lié à l’expérience, et peut-être au fait qu’on était très jeunes à l’époque. On ne pensait pas à ce qui pourrait arriver, ni à ce qu’il faudrait faire pour en vivre, pour survivre. C’est ça, la beauté de l’idéalisme qu’on a à la fin de l’adolescence, au début de la vingtaine. On tournait énormément et on n n’a jamais eu de tour bus. On tournait en minivan, en sprinter. Alors on a appris à apprécier chaque petite amélioration dans notre quotidien de musiciennes. Une salle un peu plus belle, une sono un peu meilleure, une loge un peu plus propre, un repas un peu plus consistant, un jeu de lumières plus pro… On était présentes à chaque étape, et cette progression organique nous a permis de nous adapter au rythme de la vie en tournée. Et puis, un jour, il y a ce moment irréel où tu te retrouves à jouer à l’Olympia. Tu te dis : « Mais qu’est-ce qui se passe ? » C’est très déroutant. Vraiment.

Larkin Poe : vibrations intimes et confession à fleur de cordes
Rock Sound : Oui, parce que c’est un vrai parcours, une aventure musicale et passionnée. Et comment c’est, de jouer et d’enregistrer avec quelqu’un qu’on connaît aussi bien que sa sœur ? Et maintenant, vous avez enregistré votre dernier album avec Tyler Bryant, qui est ton compagnon. Est-ce que ça apporte plus de liberté, ou est-ce plus exigeant ?
Megan (Larkin Poe) : Pour moi, c’est un cadeau. Avoir un tel vécu commun, une telle expérience partagée, c’est une base solide. Et on peut construire dessus. C’est très spécial. Il y a beaucoup de communication non verbale entre nous. Ça nous permet de travailler vite, efficacement. Je ressens où elle veut aller, musicalement. Et ça nous permet de poursuivre les idées de façon très libre. C’est assez fluide, en fait. Il a fallu beaucoup de travail pour que ça devienne aussi naturel.
Rebecca (Larkin Poe) : Et je pense que notre capacité, en tant que groupe de sœurs, à continuer à se respecter et à rester en paix l’une avec l’autre est précieuse. Je pense à tous ces groupes familiaux qui ont du mal, et je comprends pourquoi. C’est une relation très forte, très intime. Et plus le groupe dure, plus le poids sur cette relation augmente. Je crois que ce qui nous a permis de préserver ça, c’est qu’il y a moi, il y a elle, et il y a notre relation. Et Larkin Poe est en quelque sorte la manifestation physique de cette relation dans le monde. Ça laisse de la place pour l’évolution. Et je pense que c’est aussi pour ça que ça fonctionne si bien avec Tyler. Il nous voit telles que nous sommes, et on le voit lui. Il y a une vraie passion musicale partagée. On a grandi avec les mêmes disques, les mêmes références sur ce qu’un album doit être, pourquoi on fait des disques, pourquoi on part en tournée. On est tous un peu des “lifers” dans cette industrie. Et donc il y a cette compréhension, cet espace. Avec Bloom, ça a marché parce qu’on est entrés en studio en se disant : « On n’a aucune idée de ce qu’on va créer, et c’est OK. On va se laisser tomber dans le vide. Et tout ce qu’on va faire, c’est être honnêtes. » C’était notre seul objectif : être honnêtes. Et comme on se connaît, qu’on s’aime et qu’on se respecte profondément, je pense qu’on a réussi à atteindre ce but. Et c’était vraiment rafraîchissant.
Rock Sound : On l’entend dans votre musique, elle est authentique. Ce que vous chantez, ce que vous écrivez, a du sens. Il y a tellement de chanteurs qui se disent : « Je vais chanter fort, comme ça on se souviendra de moi. » Mais si on ne touche pas les gens, s’il n’y a pas d’émotion dans la voix ou dans la musique, on peut chanter aussi fort qu’on veut… On ne laissera pas de trace, on ne créera rien. Dans votre musique, il y a cette âme, cette authenticité. C’est vraiment touchant. Ta voix est puissante, mais elle porte aussi des failles, des doutes, et une vraie force
Rebecca (Larkin Poe) : J’espère que c’est vrai. C’est tout ce qu’on souhaite. Et ce que tu dis sur la voix me fait penser à la façon dont Megan joue de la guitare. C’est génial de pouvoir être deux leaders dans un groupe — l’une au chant, l’autre à la guitare. C’est une relation très forte. Je pense à Freddie Mercury et Brian May, ce duo emblématique. Et avoir cette même âme dans notre guitariste principale, c’est précieux. Tu n’es pas une “shredder”. Tu peux le faire, mais tu choisis de ne pas être une guitariste technique. Ce qui compte, c’est ce que les notes font ressentir. Ce n’est pas une démonstration, ce n’est pas du machisme. Et je crois qu’on est beaucoup plus à l’aise aujourd’hui, dans la trentaine, avec moins de choses à prouver. On n’est pas des super-héros. On est juste des êtres humains. Personne n’est un super-héros. Ce qui compte, c’est qu’on se rencontre, qu’on se reconnaisse, et qu’on réalise tout ce qu’on partage. L’expérience humaine est universelle.
Rock Sound : Donc Blooming, c’est aussi vous qui vous épanouissez, qui devenez la version la plus complète et la plus récente de vous-mêmes.
Rebecca (Larkin Poe) : Oui, c’est exactement ce qu’on ressent. On n’est clairement pas vieilles — on est dans la trentaine — mais on a été des figures publiques très jeunes, sans vraiment savoir ce que ça impliquait. Quand on est enfant dans un groupe, on ne pense pas au fait que les gens vont nous percevoir comme des personnalités publiques. Qu’ils vont être curieux de nous. Et notre évolution se retrouve exposée. Il y a des archives de nous à 15 ou 16 ans, en train de donner des interviews. Quand on regarde en arrière, on se dit : « C’est une manière très étrange de vivre sa vie. » Et je crois que faire la paix avec tout ça aujourd’hui, dans la trentaine, comprendre l’impact que notre carrière a eu sur notre développement personnel, ça nous a apporté beaucoup plus d’empathie, de pardon envers nous-mêmes. Et ça nous permet d’avoir ces conversations, celles qui inspirent nos chansons.
Rock Sound : Et en tant que femmes, avez-vous vu une évolution dans le milieu musical ? Il y a ce mouvement pour plus de présence féminine sur scène et en coulisses. Est-ce que vous sentez que les choses changent ?
Megan (Larkin Poe) : Oui, clairement. Je repense à certains festivals rock où on était le seul groupe avec une femme en tête d’affiche. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On croise de plus en plus de musiciennes, d’ingénieures du son, de techniciennes. Avant, c’était rare de voir une femme gérer la façade ou faire partie de l’équipe technique. Maintenant, c’est beaucoup plus courant. Et c’est génial de voir cette représentation progresser.
Rebecca (Larkin Poe) : Ça rend les choses tellement plus intéressantes. Quand il y a une vraie parité, les récits sont plus riches, plus variés. C’est 50 % d’histoires en plus, tout simplement.

Larkin Poe : vibrations intimes et confession à fleur de cordes
Rock Sound : Votre nouvel album Bloom marque une nouvelle étape dans votre parcours. Comment est né ce disque ?
Rebecca (Larkin Poe) : Tous les morceaux ont été écrits en collaboration avec Megan et Tyler Bryant, qui a aussi co-produit l’album. Il y a une vraie synergie entre nous, qui dépasse le cadre musical. Bloom, c’est une quête de soi au milieu du bruit du monde. C’est apprendre à embrasser pleinement ses failles, ses bizarreries, tout ce qui nous rend humains. Cette idée d’acceptation de soi est vraiment au cœur de l’album.
Megan (Larkin Poe) : D’une manière ou d’une autre, presque toutes les chansons parlent de ça : se trouver, se connaître, faire la part entre ce qu’on est vraiment et ce que la société attend de nous. C’est un fil rouge qui traverse tout le disque.
Rock Sound : Le morceau “Mockingbird” ouvre l’album avec beaucoup de douceur. Quelle est son histoire ?
Rebecca (Larkin Poe) : C’est une réflexion tendre sur le fait de devenir soi. Si on regarde nos erreurs avec trop de sévérité, on peut vite se décourager. Mais passer trop de temps à regarder dans le rétroviseur, c’est dangereux pour l’avenir. Apprendre à voir le sens caché dans les détours et les arrêts forcés que la vie impose parfois, ça a été un vrai changement de perspective pour moi.
Rock Sound : On sent que l’écriture occupe une place centrale sur cet album…
Rebecca (Larkin Poe) : Oui, clairement. Le songwriting est au cœur de ce disque. Les paroles touchent juste, elles vont droit au cœur. Chaque morceau est comme un chapitre, et les textes nous emmènent de plus en plus profondément vers ce qu’on est.
Rock Sound : “Bluephoria”, le premier single, est un vrai tourbillon. Comment l’avez-vous imaginé ?
Rebecca (Larkin Poe) : C’est une méditation rock’n’roll sur la dualité de l’expérience humaine — là où la souffrance et la joie s’entrelacent pour donner du sens. Les paroles sont inspirées par Furry Lewis, une légende du blues. Ce morceau incarne bien notre manière de mêler récit personnel et thèmes universels. Et musicalement, avec ses riffs psychédéliques, il est taillé pour décoller sur scène.
Rock Sound : Parlez-moi de “If God Is A Woman” et “Pearls”, deux titres très forts…
Megan (Larkin Poe) : “If God Is A Woman” mêle des paysages sonores très riches à des paroles qui posent des questions contemporaines, tout en s’ancrant dans les sonorités blues du Mississippi hill country. “Pearls”, c’est plus brut, plus punk. Ça parle de ce que ça coûte de rester authentique dans un monde numérique où tout est scruté. On voulait confronter certaines réalités modernes tout en restant fidèles à nos racines musicales.
Rock Sound : Et “Bloom Again”, qui clôt l’album, est une vraie pépite harmonique…
Megan (Larkin Poe) : Oui, c’est une chanson d’amour très personnelle, dans l’esprit des Everly Brothers. Mike Campbell, un ami et mentor, nous a suggéré d’écrire un morceau dans leur style, pour mettre en valeur nos harmonies de sœurs. On a suivi son conseil, et “Bloom Again” est née. C’est une belle façon de refermer le disque.
Rock Sound : Avec Bloom, vous semblez plus libres, plus affirmées que jamais…
Rebecca (Larkin Poe) : On voulait que cet album soit honnête. C’était notre seule règle. Être honnêtes entre nous, avec les chansons, avec les paroles. Et comme on se connaît et qu’on se respecte profondément, je crois qu’on a réussi à atteindre ça. Bloom, c’est aussi une invitation à grandir ensemble, à s’épanouir, à célébrer ce qu’on est vraiment.
L’album Bloom de Larkin Poe est déjà disponible.
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