Treize albums au compteur et Stereophonics avance à son rythme, sans précipitation ni nostalgie pesante. Chronique d’une promesse de constance dans un monde qui file à toute vitesse.

Stereophonics
Il y a eu le Blanc des Beatles, radical dans sa nudité et dans la façon qu’il a eue de changer le monde, le Noir de Metallica, massif et impénétrable, le Bleu de Weezer, adolescent et nerveux, le Rouge de Taylor Swift, brûlant de passions contrariées. Et maintenant il y a le Rose, celui de Stereophonics.
Doux en apparence, mais chargé de sous-courant, il puise son inspiration dans un tableau de Louise Bourgeois, vu par Kelly Jones à New York. « L’orthographe m’a d’abord interpellé, puis la simplicité des mots », raconte-t-il, «J’ai donc essayé de graver mon titre […] Et j’ai adoré. J’ai aimé la simplicité du rose. L’album rose était né. »
Dans cette pochette rose il y a cette idée de vulnérabilité, elle traverse l’album tout entier, trop douce pour être anodine. D’emblée la vulnérabilité s’installe en fil conducteur, une ligne directrice, une couleur qui berce autant qu’elle déstabilise, fragile mais ancrée, positive mais lucide. L’art dans une forme de catharsis donc, un moyen de transformer les émotions brutes en quelque chose de plus apaisé et serein.
Musicalement, cet album se distingue par sa simplicité apparente. Le son est plus épuré, la production est claire et laisse une place prépondérante aux voix et aux guitares, on aurait mal vu Kelly Jones s’effacer. Les solos, toujours signature du groupe, sont cette fois plus courts, presque méditatifs, comme de brèves incursions dans le paysage des vallées battues du Pays de Galles .
Entre la douceur d’un ciel d’été et les nuages d’un après-midi incertain, l’album semble naviguer à travers les variations subtiles du temps à la manière d’un ciel anglais. Il alterne entre des instants lumineux et d’autres plus sombres, où les guitares se font plus tendres ou plus énervées, comme le vent qui change de direction. Make It On Your Own commence presque comme la brise du matin, légère et caressante, avant de se gonfler de nuances plus profondes.
Point d’orgue de l’album “Seems Like You Don’t Know Me” est une chanson qui incarne parfaitement la beauté brute de ce disque. On retrouve ici la pleine mesure du talent de Kelly Jones où son écriture, poignante, mêle la vulnérabilité aux regrets contenus. « Seems like you don’t know me, and I don’t know you at all », répète-t-il, dans une sorte de prise de conscience douloureuse. La chanson dépeint l’ambiguïté des relations humaines, ce gouffre entre la réalité et les illusions. C’est comme si, après avoir laissé le vent souffler tranquillement à travers les morceaux précédents, Stereophonics nous emmenait dans une zone plus sombre et plus intime. Chaque éclat de lumière a son ombre, et chaque ombre porte une lumière cachée.
“There’s Always Gonna Be Something”, premier single, incarne la légèreté, cette brise qui souffle sans s’imposer et sous cette apparente douceur, on sent que le groupe maîtrise son art avec une économie de moyens qui l’honore. “Eyes Too Big For My Belly” avec sa rythmique plus appuyée et son ambiance plus électrique offre un contraste, mais toujours dans cette même approche minimaliste où la musique ne cherche jamais à en faire trop.
Ces variations révèlent une constante dans le travail du groupe. Une capacité à jouer avec les tonalités sans jamais forcer la main, comme un orchestre qui se régule à chaque mouvement du vent. Peu lui importe le vacarme alentour ou les modes qui passent, le quartet mené par l’inusable Kelly Jones ne cherche plus la démonstration (l’a-t-il déjà cherchée d’ailleurs ?). Maintenant il déroule. Il fait sa ronde mine de rien, comme un facteur sous un crachin gallois, même pas fatigué.
Et puis, au bout de 29 minutes, ça s’arrête. Ça dure le temps de ces instants qu’on n’a pas pris soin de retenir. Furtif comme le passage d’un rayon de soleil sur le cou, comme une fin de matinée, comme un dimanche. Un vent tiède glisse en début de soirée et l’album file presque irréel. On l’observe s’éloigner, sans être tout à fait sûr qu’il était vraiment là.
Make ‘Em Laugh, Make ‘Em Cry, Make ‘Em Wait sorti le 25 avril 2025 chez EMI.
Tracklist :
1. Make It On Your Own
2. There’s Always Gonna Be Something
3. Seems Like You Don’t Know Me
4. Colours Of October
5. Eyes Too Big For My Belly
6. Mary Is A Singer
7. Backroom Boys
8. Feeling Of Falling We Crave
Style : Pop-Rock entre crachins et éclaircies
Site Web Stereophonics : https://www.stereophonics.com/
Instagram Stereophonics : https://www.instagram.com/stereophonicsofficial