Tu imagines les Stones conseillant de « trier les déchets », les Sex Pistols de « manger cinq fruits et légumes par jour » ou Black Sabbath parler de « l’extinction des baleines » ?! Pourtant, dans ce livre audacieux, Antoine Bonnet taille dans l’irréfutable : le rock n’a jamais cessé de chanter l’écologie, la terre, l’animal, le capitalisme, le nucléaire et… la fin du monde.
Comment est né ce projet d’écrire un livre sur l’écologisme et le rock
Antoine Bonnet : Le lien entre Rock et écologie n’est pas évident. Le monde du rock, c’est des tournées polluantes, de l’électricité, la liberté, des millionnaires… C’est pas très écolo. Mais si on lit les textes et on s’intéresse à ce qu’ils ou elles racontent, on découvre des préoccupations, voire des angoisses environnementales. Le rock parle de la planète qui meurt, de l’animal, des loups, des chevaux, des oiseaux ! Il parle de la fin du monde, du nucléaire, du capitalisme… En traduisant ses textes, j’ai découvert une autre histoire du rock, loin des clichés misogynes et adolescents qu’on lui prête.
Sexe, Drogue & Quinoa : la fachosphère en PLS. Un titre volontairement provocateur ?
Antoine Bonnet : Ah ça ! Je sais que ça énerve certains ! J’aurais du écrire Sexe, Quinoa et Rock’n Roll mais ça sonnait moins bien. Oui, la fachosphère actuelle panique quand on parle d’écologie. C’est tout de suite Sandrine Rousseau, Woke, bobo, gaucho ! Tout le monde subit les pics de canicules, des catastrophes climatiques, la pollution partout et des espèces animales qui disparaissent, des cancers qui se multiplient…Mais le problème, c’est les « Autres » et l’écologie, c’est les bobos… On pense ce que l’on veut des partis écologistes mais la question du comportement de l’humain face à son environnement est fondamental. Que ça énerve les médias dominants et Pascal Praud, tant mieux ! On voit maintenant ce que ça donne l’extrême droite au pouvoir dans le monde.
Tu égrènes un fait d’arme notable de célèbres rockers pour l’écologie avant de les rattacher à un courant de ce mouvement. Ca a dû être un cauchemar logistique à écrire, non ?
Antoine Bonnet : Pas tant que ça… L’idée a été de montrer que dans les textes, dans leurs engagements, leurs modes de vie ou de création, y’a un monde du rock qui défend la planète. Y’a 400 groupes ou musiciens dans ce livre et des centaines de morceaux ! Un livre à écouter aussi donc…
Notre terre brûle et nous regardons ailleurs
Tu sembles en avoir particulièrement contre Mötley Crüe qui incarne à tes yeux le crétinisme rock. Pourquoi ne pas mettre AC/DC dans le même panier ?
Antoine Bonnet : Mötley Crüe, le Glam Rock, est assez pauvre musicalement, à mon sens, et balance des clichés misogynes. J’avoue que, comme Eddie Vedder, je déteste ça ! Mais oui, AC/DC a aussi une mentalité de connards, anar de droite sans cervelle… mais j’adore leur musique ! Angus Young est aussi L’ANTI- guitare héros génial.
Et puisque tu parle de crétinisme rock, il me semble que tu en oublies un monumental : Ted Nugent, grand chasseur devant l’éternel !
Antoine Bonnet : Ah oui, il doit y en avoir des tonnes. Trop. J’ai plutôt essayé de parler des gens vertueux que des écocidaires. Je ne savais pas Ted aussi crétin. Les photos de milliardaires en safari est surement l’image la plus ridicule du siècle. La chasse est millénaire, je peux comprendre, mais il est temps de mettre fin à ce massacre. Prenez des photos des animaux au lieu de les buter !
J’ai été agréablement surpris de voir Metallica figurer parmi les groupes soucieux de l’environnement. Peux-tu en parler à nos lecteurs ?
Antoine Bonnet : Oui Metallica et ses deux « énervés » Ulrich et Hetfield ont des textes qui parlent de la terre- mère, de la fin du monde, du nucléaire. C’est tout le paradoxe. Metallica participe au concert Live Earth en 2007 mais Hetflied se revendique libertarien comme Elon Musk. L’écologie est bourrée de contradiction, qu’il faut assumer. Les artistes sont des grands sensibles, en lien avec les éléments, qui se cachent parfois derrière une carapace de bourrins.
La peur du nucléaire, de la guerre et tout le bordel entre les deux.
Pourtant, dans le même temps James Hetfield est connu pour sa pratique de la chasse à l’ours. Roger Waters que tu encenses également a défendu la chasse au renard avec Roger Daltrey, Bryan Ferry et l’inévitable Eric Clapton !
Antoine Bonnet : On connait la connerie raciste crasse de Clapton. Waters est aussi contradictoire souvent… Sa défense de la chasse aux renards était plus contre la politique de Tony Blair, il me semble. « Je n’ai pas l’intention de continuer. » a- t- il confié mais pour Daltrey et Ferry, tu me l’apprends ! La chasse n’a aucun sens, tout comme la corrida ou les zoos. Notre rapport aux animaux est très délicat et stopper des pratiques traditionnelles est difficile…mais indispensable moralement.
Et donc, le plus grand album écolo serait Harvest de Neil Young ?
Antoine Bonnet : Oui, sans contestation possible. Le rock vient de la country, de la musique folk contestataire, du blues qui sont des musiques du voyage, des grands espaces sauvages (désert, forêt, océans…). Le rock est écolo. Neil est sont grand père !
Merci de citer également le merveilleux Village Green des Kinks ! Sans oublier le « Nuclear Device » des Stranglers !
Antoine Bonnet : J’adore les Kinks. Ray Davies est hyper créatif, malin, en avance sur son temps et…maudit quelque part. Les frères Davies ont tout inventé, de véritables génies au sens dramatique du terme. Oui, la période 1975- 1985 est vraiment anti- nucléaire de la pop au punk, un grand nombre de tubes hyper célèbres parlent de cette angoisse de la guerre nucléaire, de la fin du monde. On comprend bien ça, aujourd’hui, malheureusement.
Extension du domaine du génie
Tu rends également justice à l’incroyable discographie de Midnight Oil, malheureusement sous-estimée !
Antoine Bonnet : Au delà du fait que Peter Garrett est devenu ministre de l’écologie en Australie et qu’il s’est confronté à la réalité politique, Midnight Oil est un super groupe de musique qu’il faut réécouter.
J’aime beaucoup cette théorie que tu évoques à propos de Serj Tankian de System of a Down: le viol de la Terre prépare à celui des femmes !
Antoine Bonnet : C’est la théorie éco- féministe. La terre étant, de tout temps, féminisée, Tankian explique qu’exploiter la terre, le charbon, les minerais est un viol… qui autorise celui des femmes. L’homme se croit tout permis au nom de sa puissance. Le système capitaliste fait de nous des consommateurs sans entrave, ni morale. Oui, la question est donc morale et c’est pour cela que l’on reproche souvent aux écologistes de « faire la morale ». D’entraver le capitalisme donc…
Johnny, Cabrel, Shaka Ponk : tu cites très peu d’auteurs français dans ton palmarès. Il en manque quand même des géants : Balavoine (« Les Oiseaux »), Goldman (« Il y a »), Nino Ferrer (« La maison près de la fontaine ») qui faisait dans le Neil Young Français. Citons aussi Emily Loizeau qui fait des tournées éco-responsables.
Antoine Bonnet : Oui, je me suis restreint au monde du rock, avec un peu de hip- hop, d’électro… mais la chanson regorge de morceaux écolo, c’est vrai ! Malgré ses textes magnifiques, l’humain n’arrive pas à se révolutionner et à changer de mode de vie.
L’apocalypse selon Reznor
Ton livre est postfacé par Frah de Shaka Ponk. Comment s’est opérée la prise de contact ?
Antoine Bonnet : La dernière tournée de Shaka Ponk a été déterminante dans l’écriture de ce livre. J’ai rencontré Frah, un peu par hasard, à la fête de l’Humanité. Il a accepté tout de suite d’écrire quelque chose sur la question. C’était hyper cool de sa part car on ne se connaissait pas.
L’arrêt de Shaka Ponk, top ou flop ? Alors que Trump et Poutine menacent de faire sauter la planète, ne vaudrait-il pas mieux rester dans l’arène pour les combattre en musique ?
Antoine Bonnet : C’est toute la question. La résistance doit- elle se faire à l’intérieur ou l’extérieur du système dominant actuel ? Malgré leur pollution, leur participation au capitalisme de la culture, l’argent omniprésent, les artistes diffusent un message important. La culture populaire brasse du monde, pollue, multiplie mais, quand elle est pertinente, c’est une arme puissante contre le capitalisme contemporain. Clément Sénéchal, dans son dernier livre ‘Pourquoi l’écologie perd- elle toujours » critique cette écologie « du spectacle ». Je la défends comme outil de résistance. Evidemment qu’il ne faut pas se contenter d’image et de spectacle mais ce sont des armes pour lutter contre l’imaginaire capitaliste. Globalement, je trouve, qu’on ne prend pas assez au sérieux les artistes. Ecoutons- les, regardons- les, lisons- les mieux. Les artistes doivent- ils se corrompre pour diffuser leurs idées ? Doivent- ils sortir du système ? Le punk est au cœur de ces questions… Mais oui, comme les Bérus ont stoppé leur carrière en plein succès, Shaka Ponk est une parabole, de chacun de nous, qui essaient d’être cohérent avec lui- même.
N’assistons-nous pas depuis 20 ans à un inversement des valeurs : les politiques font dans l’outrance et l’obscénité rock tandis que rockers et rockeuses se montrent responsables ?
Antoine Bonnet : Exactement. Les politiques sont sans limite pour exister. Leur parole est violente, ils n’hésitent pas à piocher dans les caisses, ne pas payer d’impôts comme nous devons le faire tous. Le problème est que nos politiques sont des bourgeois millionnaires et le peuple est encore fasciné par la réussite financière sans morale. Pourtant, leur obscénité nous invite, nous, à la sagesse. Oui, le rock est donc plus « mature » mais sa musique est tout aussi puissante.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Antoine Bonnet : Oui, j’espère que l’on pourra dépasser les clichés sur les écologistes, « Sandrine Rousseau », les « bobos » et tout le reste… S’il y a bien des choses sur lesquelles, on peut être d’accord, c’est que l’on doit pas buter des animaux, que l’on doit pas dégueulasser la planète, que l’on doit se méfier des pesticides… Et que le rock ne mourra jamais !

Sexe, Drogue Et Quinoa
Sexe, Drogue et Quinoa : quand le rock devient écolo par Antoine Bonnet
Camion Blanc – 286 pages – 26€