Il y a dans ce titre, Saving Grace, de Robert Plant, quelque chose d’à la fois humble et immense. Deux mots presque bibliques, qui évoquent la rédemption sans jamais l’imposer. À 77 ans, Robert Plant semble encore chercher ce fil invisible entre la terre et le ciel — non pas pour le rompre, mais pour mieux y marcher, en funambule tranquille. Saving Grace n’est pas seulement un nom d’album : c’est une profession de foi discrète à la musique, celle d’un homme qui n’a jamais cessé de renaître.

Robert Plant – Saving Grace
On a souvent dit que Plant refusait de vieillir et c’est sûrement complètement faux. Il a simplement trouvé le moyen d’habiter le temps. Tandis que tant d’autres s’y accrochent, lui l’enlace et l’embrasse. Il ne court plus après sa zeppelinnienne jeunesse, il s’y promène à pas lents, comme dans un jardin d’été.
Depuis vingt ans, Robert Plant s’emploie à déconstruire sa propre légende. L’icône du rock s’est effacée au profit d’un conteur nomade, tissant d’autres mythes : ceux des collines galloises, des folk songs, des rivières du Sud. Sa grâce, c’est d’avoir compris qu’on ne sauve rien en le figeant ; on se sauve seulement en continuant à bouger. Son nouvel et douzième album Saving Grace sonne alors comme une halte dans notre monde, un souffle, un endroit où déposer ce qu’il reste de feu — pas celui du rock des stades, mais celui du cœur.
Ce qui frappe d’abord, c’est cette lumière calme qui traverse le disque. On pourrait croire à un album de reprises comme un autre, mais c’est tout l’inverse. Chaque chanson semble réinventée à la lueur d’un feu de camp, avec une ferveur discrète, presque artisanale. On y entend les doigts sur les cordes, les frottements, le bois qui travaille, les errances. Plant et Suzi Dian se répondent comme deux âmes qui se seraient trouvées dans la délicatesse — elle, claire et solaire ; lui, fauve apaisé, donne désormais plus dans le murmure que dans le rugissement. Ce duo, c’est le cœur battant du disque, il fonctionne comme un dialogue amoureux où la sagesse et la douceur se lient.
L’année 2025 est décidément pleine de surprises car aujourd’hui, Robert Plant, en producteur instinctif, retrouve ce qu’il avait toujours cherché, une forme de présence certaine, vraie et palpable. Loin du clinquant des studios, Saving Grace a été façonné dans la simplicité du réel. On sent une liberté rare, celle qui naît quand la technique s’efface et que la musique retrouve son souffle premier. On entend dans ce disque la respiration du lieu : un souffle de bois, de terre, de lumière filtrée. Rien d’artificiel, juste la vie qui passe dans les interstices du son. C’est un disque d’air libre, de poussière et de rosée, où la production s’efface pour ne laisser place qu’à la vérité du moment.

Robert Plant – Saving Grace
L’audace tranquille du projet tient aussi à son répertoire. Des blues du Delta aux folk songs anglaises, des spirituals oubliés jusqu’à « Everybody’s Song » de Low, Robert Plant tisse un fil invisible entre les continents et les époques. Sa voix, marquée mais souple, navigue entre les temps avec une aisance bouleversante. Tout semble naturel, comme si ces chansons l’avaient attendu pour respirer à nouveau. Loin de toute nostalgie, il s’agit ici d’un geste d’amour : prolonger le souffle de morceaux toujours menacés d’oubli, les faire résonner dans un présent apaisé.
Et peut-être que Saving Grace parle, au fond, de cette peur-là : la peur de la disparition. Comme chacun de nous, Plant sait que tout finit par s’éteindre, même les mythes. Alors il chante pour retarder l’effacement, pour redonner chair à ce qui s’effrite. Ce n’est pas ressusciter le passé, c’est le maintenir en vie. C’est refuser qu’il meure, le temps d’un souffle, au détour d’une mélodie. Et derrière cette quête de grâce, il y a sans doute un aveu plus intime : la peur de sa propre absence, la volonté d’habiter encore le monde par la musique, d’y laisser une trace sensible. Chercher à durer autrement, à transformer la fin en lumière. Parce qu’au bout du compte, chanter, c’est peut-être simplement demander au temps de nous laisser encore un peu.
Si on nous avait dit que le disque serait aussi réussi, nous n’aurions pas imaginé qu’il le soit à ce point — pas qu’il soit aussi vivant, ni aussi frais dans son approche. Saving Grace n’a rien d’un album patrimonial, ni d’un simple exercice de style d’un vieux lion apprivoisé. Il respire, il palpite, il regarde devant lui. Cette fraîcheur, c’est sans doute sa plus belle insolence. Plant n’imite personne, pas même lui-même. Il avance avec cette curiosité presque juvénile, cette envie d’explorer sans démontrer. Tout ici semble à la fois minimal et profond, épuré mais jamais sec, habité d’un calme qui n’a rien de tiède. Comme si, au bout de la route, la grâce n’était pas à sauver, mais à partager — dans le geste même de créer encore, d’aimer encore, de donner encore.
À 77 ans, il ne chante plus pour brûler le monde, mais pour en caresser les braises. Sa voix, toujours souple, parfois voilée, flotte au-dessus des années, portée par une sagesse qui n’a rien de résigné. Il n’y a pas de nostalgie chez lui, seulement de la tendresse pour tout ce qui passe. Et dans ce regard clair, encore traversé de malice, il y a cette vérité simple et bouleversante : Robert Plant ne vieillit pas, il se transforme, et dans sa métamorphose, il nous entraîne.
Robert Plant – Saving Grace est sorti le 26 Septembre sur Nonesuch / Wea Music
Style : Folk Americana contemplative
Tracklist :
1 – Chevrolet
2 – As I Roved Out
3 – It’s A Beautiful Day Today
4 – Soul Of A Man
5 – Ticket Taker
6 – I Will Never Marry
7 – Higher Rock
8 – Too Far From You
9 – Everybody’s Song
10 – Gospel Plough
Site Officiel : robertplant.com
Youtube : Robert Plant
Instagram : robertplantofficial