Pinkshift – Earthkeeper

par | 13 Oct 2025 | Chroniques

⏱ Temps de lecture : 6 min

4/5  ⭐️⭐️⭐️⭐️

À quoi ça ressemble, la bande-son d’une génération qui voit le monde partir en vrille ? Pour Pinkshift, ça donne Earthkeeper. Et là, tu te dis sûrement : mais c’est qui Pinkshift ? C’est bien ça le drame. Presque inconnus en France alors qu’ils retournent les scènes US depuis un moment déjà, le trio du Maryland mérite largement nos oreilles. Heureusement, on est là pour t’embarquer avant que le train ne parte sans toi.

 

Pinkshift Band

Pinkshift

Qui est Pinkshift ?

Pinkshift, c’est Ashrita Kumar (chant), Paul Vallejo (guitare) et Myron Houngbedji (batterie). Trois jeunes de Baltimore qui se rencontrent en 2019 sur les bancs de la fac, sans autre ambition que le kiff de gratter quelques riffs entre deux cours. Mais en 2020, le destin frappe : leur deuxième single, « I’m Gonna Tell My Therapist On You », devient viral en plein confinement. Propulsés presque malgré eux, ils enchaînent avec un premier EP acclamé par la critique, puis décident de laisser tomber leurs études pour se lancer à 100 %.

Ensuite, tout s’accélère : deux autres EP, plusieurs tournées américaines aux côtés de The Gaslight Anthem, The Linda Lindas et les Pussy Riot, et un premier album en 2022, Love Me Forever. Rangés du côté de Paramore ou My Chemical Romance pour la surface, la réalité est plus complexe. Leur style ? un mélange de pop-punk avec des éléments de grunge et de rock alternatif, un large spectre d’influences en somme. Résultat : trop lourd pour rester du simple pop-punk, trop accrocheur pour se ranger dans le metal. Et c’est là toute leur force : trois identités, trois histoires — Ashrita d’origine indienne et se revendiquant non binaire, Paul d’origine péruvienne et Myron béninoise — réunies par une même envie de faire une musique sincère, brute, et surtout impossible à enfermer dans une case.

 

Pinkshift earthkeeper

2025, L’étincelle Earthkeeper

Imagine la scène : le trio sur la route, lessivé par les tournées, qui tombe sur un séquoia abattu. Plutôt que de passer leur chemin, ils s’allongent dessus, le regard perdu dans la canopée. Ashrita décrit ce moment comme « psychédélique », une impression que les arbres leur soufflaient de rester là, à leur place. « J’ai entendu des voix me dire que j’étais la bienvenue ici », confie-t-elle, « et que tout ce que je pourrais désirer se trouvait dans cet espace ».

De cette parenthèse hors du temps est né Earthkeeper. Pas juste un titre, mais une présence : un gardien, une conscience universelle, un protecteur invisible. L’album le reflète : une mosaïque d’anxiété et de colère, traversée par le deuil, mais toujours avec une étincelle d’espoir. Un disque qui interroge autant l’intime que le collectif, et qui raconte ce que ça fait de voir s’effriter sous nos yeux l’illusion d’une vie stable.

Un son plus lourd, plus mature

Si tu es de ceux qui ont connu Pinkshift avec Love Me Forever, oublie l’étiquette pop-punk. Sur Earthkeeper, le trio fait un bond en avant. Paul ressort une guitare baryton, les riffs sont plus gras, les breakdowns te secouent les tripes. Knocked Loose, Loathe, Slipknot : les influences metal/hardcore s’assument à fond. Mais ne t’attends pas à une baston du début à la fin. Pinkshift sait aussi lever le pied, laisser respirer la musique. Et c’est là que le miracle de dame maturité fait son œuvre : savoir quand cogner, et quand caresser.

 

Le tremblement de terre

« Love It Here » ouvre l’album comme un coup de semonce. Après quelques secondes de calme trompeur, Ashrita lâche ses hurlements et le ton est donné : on ne va pas s’ennuyer. Le morceau a ce côté punk classique, rapide et tranchant, mais Pinkshift y glisse déjà une charge politique engagée et existentielle. Pas le temps de respirer, « Anita Ride » démarre pied au plancher avec un groove massif balançant un « I feel alive » qui sonne comme une rafale. Le morceau parle du besoin urgent de tout lâcher quand la vie devient trop terne, et ça s’entend : brut, fédérateur, c’est l’un de ces titres qui te donnent envie de hurler les paroles avec eux dans la fosse.

On enchaîne avec « Evil Eye », une des plus grosses baffes de l’album : sombre, puissant, presque flippant. Le riff te tombe dessus comme un poids de dix tonnes, et la voix crache un « Thought I could save the world » qui résume à lui seul la désillusion générationnelle. Un concentré de gros son nu metal qui montre à quel point Pinkshift a durci le ton, une pépite brutale prouvant que le groupe n’a pas fini de nous surprendre. « Don’t Fight » marque un tournant. Le guitariste Paul Vallejo prend ici le lead vocal, avec un chant profond qui contraste avec les hurlements abrasifs d’Ashrita. Le morceau oscille entre rage hardcore et passages plus planants, un équilibre qui rappelle les ambiances lourdes et envoûtantes de Deftones, traversées de respirations quasi hypnotiques.

 

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Pinkshift Live 2025Photo by Coline Beulin

Au cœur des racines

« Patience » joue l’accalmie après ce premier tiers. Presque fragile, la chanson parle du deuil et de cette tension entre avancer et résister. On ralentit, sans perdre en intensité. Arrive l’un des sommets de l’album, « Spiritseeker », directement nourri par l’énergie de « Blood » qui va suivre. Le morceau déploie un crescendo brûlant qui nous embarque dans un tourbillon rappelant le son des 90’s, avant que la tension n’explose. Ashrita ouvre toute son amplitude vocale, entre force et mélancolie hantée. La musique joue avec les dynamiques, une vraie démonstration de maturité et un titre qui capture à merveille la nouvelle dimension prise par le groupe.

Suis donc « Blood », cœur émotionnel d’Earthkeeper. Entre registres vocaux qui s’alternent, batterie écrasante et solo de guitare taillé pour la scène, le titre frappe fort. Mais il va plus loin : Paul y relie ses racines péruviennes au poids du colonialisme, Ashrita en fait une méditation sur la force intérieure, portée par une question qui résonne comme un mantra  « Can you heal me ? Can I heal me ? ». Rage et tendresse s’y mêlent, et tout l’album en porte l’empreinte.

 

L’éclaircie sous la canopée

On passe rapidement sur l’efficace « Freefall », qui redonne du rythme après cette profonde pause spirituelle, pour basculer sur le dernier tiers. «Suspended » est sûrement le morceau le plus inattendu du disque, s’ouvrant sur une ambiance guitare claire, avant de basculer d’un coup dans un refrain énorme. Un vrai jeu de contrastes qui montre à quel point le groupe assume casser les codes dans ce nouvel opus. « Reflection » est la bulle de lumière d’Earthkeeper. Sur des riffs aériens, Ashrita laisse tomber les cris pour un chant habité, presque mélodramatique. Le morceau parle d’amour, mais pas n’importe lequel : un lien avec les disparus, les ancêtres, l’Earthkeeper lui-même. C’est doux, traversé d’espoir, mais toujours porté par la rugosité qui garde Pinkshift du côté de la puissance.

« Vacant » apporte une vraie fraîcheur punk rock groovy et décomplexée, le trio s’amuse ici à mélanger ses racines avec des breaks inspirés du grunge. L’album se clôt sur « Something More », une ode à la résilience qui condense tout ce qu’Earthkeeper a raconté jusque-là. Porté par un riff massif et une batterie explosive, le morceau s’achève sur un cri confiant « I believe I was made for something more », comme un manifeste lumineux. Une fin à la fois puissante et pleine d’espoir, qui te laisse l’impression que Pinkshift n’a fait que commencer.

 

Pinkshift

Pinkshift

Pourquoi il faut écouter Pinkshift maintenant

Soyons clairs : Pinkshift, c’est une voix générationnelle. Leurs textes collent à notre époque, ils parlent du chaos qu’on vit tous les jours — climat qui s’effondre, politique en vrille, avenir en pointillés. Et plutôt que de s’y noyer, ils transforment tout ça en musique brute et sincère. Pas de posture. Pas de plan. Juste trois jeunes qui posent leurs tripes sur la table, hurlent leurs peurs et leurs espoirs avec assez de fraîcheur pour te donner envie de crier avec eux.

Earthkeeper est bien plus qu’un deuxième album : c’est le tournant qui propulse Pinkshift vers la maturité. Plus lourd, plus sombre, mais sans jamais renier ses racines punks, le trio du Maryland signe un disque sincère et viscéral, à la fois brutal et lumineux. Pinkshift a toutes les cartes en main pour exploser, et c’est maintenant qu’il faut les écouter — avant que le train ne parte définitivement sans toi.

Pinkshift sera en première partie de la tournée européenne de Grandson en 2026, dont le 23 février à la Cigale Paris.

Website Pinkshift

YouTube Pinkshift

Instagram @Pinkshiftmd