Avec The Darkest Place I’ve Ever Been, LANDMVRKS nous plonge au cœur de ses (et de nos) ténèbres intérieures et signe un album aussi viscéral qu’introspectif. Des cris du cœur et des mélodies déchirantes rappées, screamées et growlées, le groupe marseillais explore la douleur, l’angoisee, la perte et la reconstruction avec une intensité rare où chaque titre résonne comme un combat contre soi-même. Cette œuvre puissante et sincère n’est pas uniquement musicale, c’est un tout marqué par la vague visuelle et puissante de la pochette de ce nouvel l’album conçue en aquarelle par l’artiste Guy Mishima.

interview de Guy Mishima
À l’heure de l’hyper-consommation musicale et de sa dématérialisation, les pochettes ne sont plus le premier contact visuel et émotionnel avec un album. Elles expriment pourtant l’ambiance, les thèmes, ou l’histoire que l’album veut raconter et donnent un aspect matériel, presque sacré, qui permet de retrouver une certaine magie et un rituel autour de l’écoute, notamment avec les vinyles.
Empreinte de références artistiques, culturelles, littéraires et historiques, une pochette définit l’âme de l’album. Un travail essentiel mais rarement valorisé de nos jours. De l’ombre à la lumière et de la toile au vinyle, Guy Mishima artiste peintre et musicien nous raconte comment il a réalisé la pochette du nouvel album de Landmvks The Darkest Place I’ve Ever Been.
Salut Guillaume, je suis ravie que tu aies accepté de me parler de la pochette de l’album que tu as réalisée pour Landmvrks. Tu es l’artiste de l’ombre, alors que ton travail est la première chose que les gens voient avant d’écouter l’album.
Guy Mishima : Salut Audrey. Oui, l’artwork donne le ton de l’album et invite à l’exploration. Il ne fallait pas trop en dévoiler, mais plutôt créer un monde en accord avec la musique et les paroles. The Darkest Place I’ve Ever Been évoque des sentiments forts, et même si la pochette est lumineuse, elle reflète cette immersion dans l’univers du groupe.
Tu es peintre, mais aussi tatoueur à la base. Comment ton expérience dans le tatouage influence-t-elle ton travail d’illustration ?
Guy Mishima : Le tatouage a été mon premier vrai métier, et il m’a appris à capter l’essence d’une idée pour la traduire en image. C’est un art exigeant : tu travailles directement sur la peau, ce qui impose des contraintes techniques. Il faut penser à la longévité du tatouage, éviter qu’il ne s’efface ou bave avec le temps. Tout doit être conçu pour durer. Dans le tatouage, tu dois être précis, méthodique, mais aussi à l’écoute du client. Il y a une véritable collaboration pour créer un visuel qui a du sens pour celui qui le porte.
Pour une pochette d’album, c’est pareil : tu dois comprendre l’univers musical et visuel du groupe pour retranscrire leur identité à travers l’image. Cependant, le tatouage a aussi ses limites : certaines idées ne peuvent pas être adaptées sur la peau. J’avais envie de dépasser ces contraintes, d’aller vers une approche plus libre, notamment en illustration et peinture, où je peux explorer des styles plus abstraits. La pochette d’album m’offre cette possibilité, et avec Landmvrks, on a créé un visuel qui pousse à l’immersion.
Tu as aussi une forte connexion avec la musique. Comment interagit-elle avec ton travail visuel ?
Guy Mishima : La musique est essentielle dans mon processus créatif. Quand j’écoute un morceau, des images et des couleurs apparaissent dans mon esprit. Je ne peux pas garder ça pour moi, il faut que je les matérialise. La Valse du Temps a joué un rôle clé dans la conception de la pochette. Elle a inspiré beaucoup d’idées qui se sont transposées visuellement.
Tu connaissais déjà les membres de Landmvrks ou cette collaboration s’est faite par hasard ?
Guy Mishima : Je connais bien Nico et Flo, on partage des affinités artistiques. Ils aiment travailler avec des proches, comme Faustine Martin, une photographe talentueuse. Quand Nico m’a proposé de créer la pochette, j’ai voulu écouter l’album en studio avec eux. La Valse du Temps m’a marqué : elle a lancé toute l’inspiration visuelle.
Dans ton processus de création, as-tu ressenti une pression particulière ?
Guy Mishima : Oui, forcément. J’admire leur travail et voulais être à la hauteur. Mais en discutant avec eux et en me laissant guider par la musique, tout s’est imbriqué naturellement.
Et tu as eu carte blanche ou un cahier des charges à respecter ? Comment ça s’est passé après ?
Guy Mishima : Eux avaient quelques idées de base. mais ils m’ont laissé une grande liberté. C’est vrai que l’artwork final est très éloigné de l’idée première qu’ils pouvaient avoir. Ou de certaines de leurs attentes. Mais ils ont quand même accepté. J’ai pu bénéficier d’une certaine forme de liberté d’interprétation du sujet.
Justement, par rapport à la composition de la pochette, est-ce que les idées, les inspirations sont venues tout de suite après l’écoute de l’album ?
Guy Mishima : Les couleurs me sont venues tout de suite, le sentiment principal aussi. Mais pour tout ce qui est de la composition… je voulais vraiment représenter un monde divisé, sans trop savoir comment l’exprimer au départ. J’avais cette idée de base, cette volonté d’évoquer une traversée et c’est une idée sur laquelle le groupe a beaucoup rebondi. À partir de là, je ne savais pas encore précisément comment avancer. Et puis en commençant à dessiner les personnages, je me suis dit que ce serait intéressant que les vagues soient composées de gens, de donner une vie aux éléments, une vie perceptible pour nous.
La mer grouille déjà de vie, bien sûr, mais là je voulais la personnifier. C’est ensuite que j’ai dessiné deux passeurs, avec ce « V » au milieu. J’aimais l’idée de dualité. D’ailleurs, il y a beaucoup de ça dans l’album : on passe d’un état à un autre. C’est vraiment comme une vague, tu peux être submergé par l’émotion, pleurer, ou au contraire ressentir une forme de libération. Tout s’est enchaîné assez naturellement. J’ai rempli les cases, une à une, jusqu’à leur porter ce visuel final.
Peux-tu nous raconter l’histoire autour de cette image, notamment les références culturelles que tu y as intégrées ?
Guy Mishima : Mes inspirations viennent de mon bagage personnel et de mon environnement. Hokusai, notamment La Vague de Kanagawa, m’a influencé par sa manière de représenter la mer avec puissance. Marseille, ma ville natale, m’a aussi inspiré, avec son histoire méditerranéenne et ses mythes gréco-romains, comme celui du Styx, le fleuve des morts. Certaines postures de mes personnages évoquent des statues antiques, notamment celles de Poséidon.
J’ai également puisé dans l’univers de Gustave Moreau, dont les œuvres étaient en perpétuelle évolution, enrichies de détails successifs. Son approche m’a marqué. Rodin, lui, m’a influencé par la force dramatique de ses sculptures, qui privilégient l’émotion brute plutôt que la perfection formelle. Enfin, William Blake, poète et illustrateur, m’a inspiré par ses aquarelles immersives et vibrantes, qui cherchent à provoquer une émotion immédiate. L’objectif était de créer une image qui résonne, qui prolonge l’univers de l’album et lui rende hommage.

Hokusai – La grande vague de Kanagawa – 1831
A-t-il été compliqué de mettre en image le sujet de la santé mentale, de l’anxiété ? Ou bien est-ce un sujet qui te parle ?
Guy Mishima : J’étais justement en train de sortir d’un burn out quand ils m’ont demandé de faire la pochette. Flo aussi traversait une période difficile, et sans trop en parler, on s’est compris. Leur musique, surtout les paroles et la voix de Flo, ont résonné en moi immédiatement. L’album reflète cet état d’esprit, et en le dessinant, j’étais dans la même dynamique qu’eux en le composant. Beaucoup de gens vivent ces moments, et cet album peut être autant un refuge qu’un soutien. Il accompagne ceux qui traversent des périodes compliquées.
La mer, la traversée, tout cela est symbolique : avancer malgré les difficultés. J’ai voulu un décor intemporel, sans repères géographiques précis, pour que chacun puisse s’y projeter et y trouver une forme d’évasion.
Concernant leurs clips, l’ambiance y est complètement différente, très Stranger Things, avec des codes pop culture, etc. Et là, on est sur une pochette antique, iconographique, pleine de métaphores. Ça fonctionne…
Guy Mishima : Oui, ce contraste marche bien. Il faut retrouver cette profondeur dans notre façon d’écouter la musique. Sur Spotify, on passe d’un titre à l’autre sans continuité, alors qu’un album entier raconte une histoire. L’expérience devient immersive, comme avec la pochette de Landmvrks. Beaucoup sont esthétiques mais manquent de profondeur. Je pense à Eiko Ishioka, qui a donné une âme unique à son travail graphique, notamment pour Dracula et The Cell. Une pochette d’album doit capturer cette intensité.
Aujourd’hui, tout est dématérialisé. Avant, l’achat d’un vinyle impliquait une vraie découverte, une immersion dans un univers musical. Est-ce pour cela que les vinyles reviennent, au-delà de la nostalgie ?
Guy Mishima : Exactement. Les vinyles séduisent parce qu’ils sont des objets beaux et précieux. La pochette de Landmvrks a été un vrai travail, avec Jules, le graphiste, qui a pensé l’embaussage et les détails. Ouvrir le vinyle et voir son reflet était une idée symbolique forte.
La musique ne devrait pas être consommée comme un produit jetable. Les artistes mettent leurs tripes dans leurs créations, c’est une part d’eux-mêmes.
Guy Mishima : Oui, il faut ressentir cette sincérité, que l’image et le son forment un tout. L’album devait refléter cet investissement.
As-tu des regrets sur la pochette, des choses que tu aurais faites autrement ?
Guy Mishima : On pourrait toujours vouloir améliorer, mais trop retoucher enlèverait son intention première. J’y ai consacré beaucoup de temps, aller au-delà aurait été contre-productif.
Quelle chanson t’a le plus inspiré dans l’album ?
Guy Mishima : La première, celle qui porte le nom de l’album, donne le ton au reste. Mais La Valse du Temps m’a particulièrement marqué. Elle a généré beaucoup d’images et a influencé mon travail.
Je les ai découverts en concert il y a quatre ans, et depuis, je les suis attentivement. Leur identité marseillaise est subtile mais bien présente.
Guy Mishima : Ils sont sincères et authentiques. Leur musique leur ressemble, et leur humilité est remarquable. Ils se remettent constamment en question sans jamais perdre leur essence.
Instagram Guillaume Mishima : @itsguyguy_ Instagram Jules : @hambletorian_pictures