Depuis plus de trois décennies, Faith No More se balade entre les styles, explose les cases, se fout royalement des tendances, et continue de fasciner autant les fans que les musiciens eux-mêmes. Derrière ce parcours hors-norme : un groupe imprévisible, provocant, parfois insaisissable, toujours brillant. Entre anecdotes borderline, influence tentaculaire et relations passionnées avec Rock Sound, petit hommage en cinq chapitres à un groupe qui n’a jamais fait les choses à moitié.

Faith No More : San Francisco, furie et fish story
1. Mike Patton a écrit les paroles et composé les lignes vocales de The Real Thing (1989) en moins de deux semaines.
Nous sommes en 1988 et le chanteur d’alors Chuck Mosley commence à devenir un peu trop instable. Sur scène, il débarque parfois bien entamé, et il lui arrive même de s’endormir entre deux morceaux — un combo pas franchement optimal d’alcool et d’anxiolytiques, qu’il prend pour gérer sa phobie de l’avion. Le clou de la tournée ? Une jolie baston avec Mike Bordin, leur batteur, en plein milieu d’un déplacement.
Le comportement ingérable de Mosley lors de la tournée européenne du groupe en 1988 ajouté à des envies musicales de plus en plus éloignées de la direction prise par le reste du groupe ont fini par provoquer la rupture. Mosley, de son côté, poussait pour des morceaux à la direction plus acoustique ce à quoi les autres membres opposaient une fin de non recevoir. C’est ainsi que la décision est prise de remercier Mosley.
Pour lui succéder, le groupe mise sur un ovni vocal nommé Mike Patton, connu alors pour ses performances déjantées au sein de Mr. Bungle, groupe de death/thrash metal expérimental. Contacté, auditionné et recruté en dernière minute, Patton est balancé direct en studio et n’a que quelques jours pour écrire l’intégralité des paroles du prochain album et pour composer les lignes de chant, les morceaux étant déjà en boîte. Il relève le défi en une semaine à peine, livrant des textes aussi barrés qu’énigmatiques.
Lui-même admet qu’il a surtout laissé parler son instinct, sans chercher à construire un récit ou une signification précise. Mais avec Mike Patton, tout prend une autre dimension. Son charisme et son aura artistique font que même ses idées les plus insaisissables sont accueillies comme autant de fulgurances. Chez lui, le bizarre devient brillant, et le chaos liberté.
Pourquoi c’est hors normes ?
Parce que c’est le point de bascule. Sans cette entrée express de Patton dans le groupe, il n’y aurait peut-être jamais eu Epic, Midlife Crisis, ni toutes les bizarreries brillantes qui suivront. C’est là que Faith No More devient ce qu’il est : un groupe aussi imprévisible que génial. Et voir un chanteur écrire un chef-d’œuvre en une semaine, c’est du jamais vu. The Real Thing est un album culte, résultat d’un coup de poker génial où un jeune groupe laisse carte blanche à un tout jeune chanteur qui se révèlera être un diamant brut.

Faith No More : San Francisco, furie et fish story
2. Blessure de guerre et chairs à vif
1989. Première tournée avec Faith No More , et déjà un incident qui va aider Mike Patton à construire une forme de légende. Bien que les détails précis de l’accident soient peu documentés (ce qui, il faut le dire, n’aide que très peu quand on cherche à reconstituer l’histoire), on sait qu’il est tombé sur une bouteille brisée qui lui a tranchée la main droite et sectionné chairs, nerfs et tendons. Bon appétit !
Patton racontera plus tard qu’il ne ressentait presque aucune douleur sur le moment, l’adrénaline prenant totalement le dessus. Fidèle à sa réputation naissante de bête de scène incontrôlable, il a simplement continué le concert la main bandelée avant de se rendre à l’hôpital une fois le concert terminé. Une opération chirurgicale suit, avec un pronostic peu encourageant. Les médecins lui annoncent qu’il ne retrouvera probablement jamais l’usage de sa main. Contre toute attente, Patton récupère toute sa mobilité, mais perd à jamais toute sensation tactile dans cette main.
Cet épisode n’a fait que renforcer l’image de performer extrême, intense, jusqu’au-boutiste qu’il allait incarner pour des décennies. Il devient ce frontman un peu kamikaze, capable de se jeter tête la première sur la batterie de Puff, ou de grimper sans prévenir sur les structures d’un plateau télé (cf. Leur live du 1er décembre 1990 au Saturday Night Live, malheureusement striké sur Youtube), quitte à risquer son intégrité physique à chaque apparition. Une attitude où l’instinct prime toujours sur la prudence et où la scène passe avant tout, même la douleur.
Patton, c’est aussi ce type qui apprécie se faire copieusement cracher dessus par le public chilien alors qu’il reprend du Portishead sur scène. Littéralement. Un crachat de masse, assumé, organisé (Attention : dans la culture chilienne, il s’agit d’un véritable geste d’amour. Plus on crache, plus on aime.). Un hommage humide. Là où d’autres auraient quitté la scène, lui s’amuse, goguenard, quitte à chopper une hépatite ou deux. Rock’n’roll jusqu’au foie.
Pourquoi c’est hors normes ?
Parce qu’il transforme la douleur en décor de scène, les crachats en preuve d’amour, et les risques physiques en carburant artistique. Ce mélange unique de bravoure borderline, de second degré et d’abandon total au public, c’est exactement ce qui fait de Patton un performer à part.
3. Faith No More est (sûrement) le groupe préféré de ton groupe préféré
Faith No More a laissé une empreinte profonde, parfois sous-estimée, mais toujours présente. Véritable groupe-pivot, pionnier bien avant l’heure, ils ont réussi là où beaucoup se sont cassé les dents : fusionner sans complexe le métal, la funk, le hip-hop, et tout ce qui leur passait sous la semelle. À une époque où ce genre d’approche était encore classée sous le vague label de « fusion », eux en faisaient déjà un art à part entière.
Bien avant que le terme « néo metal » ne devienne bankable à la fin des années 90, Faith No More avait déjà dessiné les contours de ce qui allait devenir un genre à part entière. Des formations comme Korn, Incubus ou Limp Bizkit ne s’en sont jamais cachées : sans Faith No More, leur son n’existerait probablement pas sous cette forme. Et bien sûr, ces groupes-là influenceront à leur tour toute une génération, dans un effet boule de neige qu’on pourrait remonter loin… mais pas la peine d’aller chercher du côté des Beatles, hein.
Ce qui rend l’influence de Faith No More si particulière, c’est qu’elle dépasse les époques et les genres prédéfinis. Ce n’est pas seulement un groupe qu’on cite comme référence, c’est le groupe que beaucoup de musiciens plébiscitent. Leur musique, complexe sans être prétentieuse, inventive sans tomber dans l’élitisme, a toujours offert une profondeur rare qui encore aujourd’hui est pertinente.
C’est peut-être ça, le secret de leurs compositions : elles ressemblent à leur ville d’origine, San Francisco. Un terrain tout en reliefs, fait de montées, de descentes, de ruelles sinueuses. Comme si chaque morceau était pensé comme un parcours dans un paysage mouvant, une construction en étages, où chaque détour révèle un angle inattendu. Une écriture architecturale, presque cinématographique, où rien n’est jamais tout à fait ce qu’il semble être au premier abord.

Faith No More : San Francisco, furie et fish story
Pourquoi c’est hors normes ?
Parce qu’ils ont ouvert une brèche avant tout le monde, sans faire de plan de carrière, juste en jouant la musique qui leur ressemblait. Parce que sans eux, une partie entière du paysage musical des années 90 et 2000 aurait peut-être sonné autrement, ou n’aurait même jamais vu le jour. Parce que leur influence est tentaculaire, souvent plus ressentie que reconnue. Comme un effet Papillon discret à l’œil nu, mais massif dans ses conséquences.
4. The Fish Lives !
Tout part d’un riff, rien de plus banal. En pleine répétition, Billy Gould, Roddy Bottum et Mike Bordin laissent traîner une idée musicale qui, sans crier gare, finit par devenir Epic. Un morceau devenu culte presque par accident. « C’est né naturellement, comme un riff en studio », se souvient Gould, comme si l’un des plus gros singles du groupe n’était qu’un heureux hasard.
Et pourtant, à l’époque, personne ne s’attendait à ce que cette chanson cartonne. Après l’accueil tiède réservé au précédent single From Out of Nowhere, leur label avait quasiment lâché l’affaire et, de guerre lasse, ont laissé le groupe choisir le prochain single. Foutus pour foutus Faith No More choisit Epic, parce que, selon Gould, « c’était la chanson la plus naturelle à l’époque. On n’avait pas vraiment d’espoir qu’elle devienne un succès commercial. » Tu parles.
Ralph Ziman, réalisateur sud-africain, est appelé pour mettre tout ça en image. Il balance un clip hallucinant, croisement entre performance sous pluie artificielle, montage surréaliste et final explosif où Roddy Bottum, impassible au piano, laisse l’instrument exploser derrière lui après la dernière note.
Ajoutez à ça Jim Martin qui porte fièrement un t-shirt hommage à son pote Cliff Burton (bassiste mythique de Metallica), et Mike Patton qui arbore un autre shirt estampillé Mr. Bungle avec l’inscription « There’s A Tractor In My Balls Again »… et vous obtenez un clip aussi dingo qu’iconique.
Et puis il y a ce poisson erratique qui s’agite au ralenti, haletant sur le sol, devenant malgré lui la star d’un scandale animalier. Les défenseurs des droits des animaux crient au sacrilège, et tenteront de faire retirer le clip (alors en rotation lourde) de MTV. Le groupe s’amuse de la situation en déclarant en interview que le poisson appartenait à Björk (alors chanteuse des Sugarcubes), et qu’ils l’avaient « volé lors d’une fête ».
Plus tard, Björk elle-même confirmera que oui, le poisson lui avait été offert après une lecture de poésie à San Francisco, et oui, elle le leur avait bien donné. « Je connais ces types, je sais qu’ils ne lui feraient aucun mal » ironise-t-elle pour jouer le jeu.
Le réalisateur clarifiera en 2010 : plusieurs poissons ont été utilisés, tous ont été brièvement filmés et relâchés sains et saufs. Mais la légende était déjà lancée et le groupe poussera même jusqu’au bout le filon du poisson en vendant sur son stand de Merch’ en concert un tee-shirt inspiré de la polémique.
Epic explose tout. Classé parmi les meilleurs singles de 1990, salué par la presse, repris dans des dizaines de classements (de VH1 à Triple J en passant par Kerrang!), le titre devient la porte d’entrée de Faith No More dans les charts et dans l’histoire. Même Lady Gaga a confié l’utiliser comme musique d’entrée à l’époque où elle bossait comme danseuse burlesque. On fait difficilement plus épique que ça.
Pourquoi c’est hors normes ?
Parce qu’un morceau lancé sans pression, sans ambition particulière, est devenu un hymne générationnel. Parce qu’un poisson agonisant, un piano qui explose et un t-shirt horrible ont suffi à marquer l’imaginaire collectif avec plus d’efficacité que mille stratégies marketing. Parce qu’aucun autre groupe n’aurait pu aligner autant de chaos, de second degré et de génie musical dans un clip et en faire un tube mondial. Epic, c’est le coup de génie d’un groupe qui ne joue pas dans les règles et qui, en misant sur l’instinct, décroche le jackpot.
5. Faith No More et Rock Sound, une histoire d’amour (Celle-là, c’est pour se faire plaisir)
Dans le numéro 4 de Rock Sound (mars/avril 1993, à l’époque bimensuel), on vous parlait déjà de Faith No More dans une splendide interview en double page recueillie par Vampi, réalisée à Londres lors de la tournée européenne d’Angel Dust. Une tournée charnière pour le groupe, qui posait alors les bases de sa réputation scénique explosive et imprévisible. L’album, à la fois sombre, expérimental et ultra inventif, prenait une envergure de titan en live, confirmant la capacité du groupe à se réinventer et à transcender les formats studio.

Faith No More : San Francisco, furie et fish story
Deux ans plus tard, Faith No More fait même la une du numéro 25 (mai 1995) ! Cette fois-ci, ce sont huit pages d’interview menées par Yves Bongarçon (figure angulaire et incontournable de Rock Sound), juste avant leur passage au Transbordeur de Lyon, pour la tournée de leur troisième album King for a Day… Fool for a Lifetime. Un disque radical et infiniment vivant où le groupe explore des territoires encore plus éclectiques — du hardcore au jazz, en passant par la soul. Une prise de risque artistique saluée dans nos colonnes, et incarnée en France par un live mémorable sur le plateau de Nulle Part Ailleurs.
Pourquoi c’est hors normes ?
Parce que cette relation entre Rock Sound et Faith No More raconte aussi quelque chose d’une époque : celle où les magazines jouaient un vrai rôle de passeur. Parce que cette relation raconte aussi l’histoire d’une passion commune. Celle de nous lecteurs qui courions dans les kiosques pour se ruer sur nos magazines favoris et qui lisions tout, absolument tout, parce qu’on était passionnés, viscéralement.
Avoir pu raconter leur parcours, leurs prises de risques, leur folie scénique et leur liberté artistique, c’était un privilège. Des années où presse et musique avançaient main dans la main, portées par la même urgence, la même soif de sons nouveaux. C’était la force de Faith No More et aussi celle de Rock Sound, avoir été là au bon endroit, au bon moment.
Et même si on ne croit plus trop aux histoires d’amour éternelles — surtout depuis que Mike Patton a révélé ses troubles mentaux, son agoraphobie, les annulations de tournée, et le fait qu’il ne souhaitait plus remonter sur scène avec FNM — celle-là, on y croit encore un peu. Parce que si un groupe a toujours su renaître là où on ne l’attendait pas, c’est bien celui-là.
Site Web : https://www.fnm.com/
FAQ – Faith No More
Qui est Faith No More ?
Faith No More est un groupe de rock alternatif américain formé en 1979 à San Francisco. Le groupe est connu pour son mélange unique de genres : rock, metal, funk, rap et pop expérimentale.
Quels sont les membres les plus célèbres de Faith No More ?
- Mike Patton – Chant
- Roddy Bottum – Claviers
- Billy Gould – Basse
- Mike Bordin – Batterie
- Jim Martin – Guitare (période classique)
Quel est leur style musical ?
Faith No More est connu pour mélanger différents styles, notamment :
- Rock alternatif
- Funk metal
- Rap rock
- Expérimental
- Pop atmosphérique
Quels sont les plus grands succès de Faith No More ?
- Epic
- Midlife Crisis
- Easy (reprise des Commodores)
- Falling to Pieces
- Evidence
Combien d’albums Faith No More a-t-il sortis ?
Faith No More a sorti sept albums studio :
Album | Année | Remarques |
---|---|---|
We Care a Lot | 1985 | Premier album, chanté par Chuck Mosley |
Introduce Yourself | 1987 | Dernier album avec Chuck Mosley |
The Real Thing | 1989 | Premier album avec Mike Patton, succès mondial (« Epic ») |
Angel Dust | 1992 | Album culte, audacieux, considéré comme un chef-d’œuvre |
King for a Day… Fool for a Lifetime | 1995 | Exploration de styles très variés |
Album of the Year | 1997 | Dernier album avant séparation temporaire |
Sol Invictus | 2015 | Album du grand retour après 18 ans d’absence |