« J’étais un demi-dieu, aujourd’hui je suis un chômeur. » Paul McCartney fait ce constat amer après la séparation des Beatles. Tandis que John Lennon fait la couverture du Time, Paul devient le méchant de l’histoire. Sans groupe, sans argent, détesté de tous, il trouve néanmoins la force de se reconstruire grâce à l’amour de sa femme Linda, de ses filles et de ses amis fidèles.

Hervé Bourhis – Paul ©Casterman
Très bonne idée de la part d’Hervé Bourhis (une cinquantaine de BD au compteur) de ressusciter en art séquentiel le chemin de Damas de St Paul après la séparation des Beatles dont il fut injustement tenu pour responsable et avec lesquels il dût couper le cordon affectif (les quatre ne peuvent plus se voir en musique en 1969) et financier (il les attaque en justice pour retrouver son indépendance et échapper à Klein, le requin).
Ce récit d’un dieu chassé du jardin d’Eden, avec la marque de Cain gravé sur le front (« traître », « pourri », « guimauve », « comment tu dors, la nuit? »), tous les fans des Beatles le connaissent ; Bourhis le met désormais en images et il est possible de visualiser Paul, hirsute, sale, déprimé au dernier degré, alcoolique et malheureux tel un oiseau à qui on aurait brisé les ailes.

Hervé Bourhis – Paul – You never give me your money
©Casterman
En situation de K.O debout, il envisage les décisions les plus irrationnelles : fusionner avec les Stones ou remplacer Lennon qui va bientôt triompher en solo lorsque ses premiers efforts vont être raillés par la critique rock. En gros, Paul c’est Rocky III, l’histoire d’un champion de la pop terrassé par son propre groupe, qui en s’exilant en Ecosse va progressivement retrouver le chemin du ring avec Linda en guise d’Adrian pour le faire renaître à lui-même.
Le récit est mené de main de maître par Bourhis en moins de 80 pages qui trouve ici du matériel dramatique à la résonnance universelle : l’histoire d’un homme dépossédé de tout qui repart à la conquête de son génie qu’il pensait tari, des salles de spectacles en commençant par les pubs enfumés et les universités dans des cars pourris, et de son groupe en jouant avec des musiciens inconnus du grand public.

Paul a t-il fait partie de Rainbow ?
Hervé Bourhis – Paul ©Casterman
Paul est un récit sur l’instinct, sur la résilience, sur notre voix intérieure qui nous pousse, même au plus bas, à ne jamais abandonner, cette fameuse maxime nietzschéenne sur ce qui ne nous tue pas et nous rend plus fort. Une renaissance presque mystique accompagnant la fausse rumeur sur sa mort supposée et symbolique.
Et puis, il y a bien sûr l’érudition rock : la formation des Wings, les retrouvailles avec Ringo puis Lennon en 1974 et l’apocalyptique maintenant enregistrement de « Band on the Run » au Nigeria avec Fela Kuti en lieu et place du Colonel Kurtz. Chaque épisode raconté de manière fluide et directe par Bourhis est un échelon de plus pour Paulo qui aura finalement eu raison contre tout le monde.
Une grande BD sur un grand bonhomme qui, comme la musique des Beatles, apporte son lot d’optimisme et d’espoir en l’art, en l’humain et en nous-mêmes.

C’est au tour de Yoko de demander à Paul de sauver John.
Hervé Bourhis – Paul ©Casterman
Paul par Hervé Bourhis
Casterman – 88 pages – 20€