Dandy, un peu maudit – Crénom, Baudelaire !

Par Bruce Tringale
Publié le 10 avril 2025

Crénom et merde à la mort ! On aurait bien voulu savoir ce que l’ami Jean Teulé aurait pensé de ces romans graphiques tirés de son livre éponyme et qui est déjà à Baudelaire ce qu’ Amadeus a été à Mozart : une superbe biographie avec ce qu’il faut de vérité et son lot de fantasmes autour du prince Charles des poètes maudits. Crénom, Baudelaire !

 

Crénom, Baudelaire !

Crénom, Baudelaire !

 

Les deux premiers volumes de Crénom, Baudelaire ! (sur trois attendus) s’étendent sur le début de la vie de Baudelaire en tant qu’humain et du début de sa carrière de poète, de son adoration quasi incestueuse envers sa mère aimante mais mal mariée à la fin (provisoire) de ses amours toxiques avec sa maîtresse noire : Jeanne Duval (volume 1), puis de la rédaction cauchemardesque des Fleurs du Mal, sa genèse perverse, son cauchemar éditorial où Baudelaire persécutera jusqu’aux typographes et son procès retentissant qui interdira six fleurs de ce bouquet fatal à la poésie bourgeoise.

Le lecteur est immédiatement happé par les couleurs fauves de l’album et le regard foudroyé de folie, de mépris et de cynisme d’un Baudelaire à l’agonie. Alors qu’autour de lui, l’homme a fait le vide, celui-ci se rappelle son existence toute entière vouée à la haine avec pour intermittence la poésie, cet art majeur à qui il donnera des relents de charogne pour mieux la pénétrer.

crenom3Crénom, Baudelaire ! ©Futuropolis

Ce qui est fou avec Baudelaire, c’est qu’aucun académisme, même aujourd’hui, ne saurait rendre respectable, sympathique ou excusable cet homme exécrable : un fumiste qui vit aux crochets d’une société qu’il méprise, un cuistre doublé d’un hypocrite qui s’invente Dandy en faisant les poches des autres.

La BD le voit s’adonner à des pratiques que la morale réprouve, insulter les enfants des pauvres tout en vomissant la bourgeoisie qu’il épouvante par ses mœurs dissolues et ses histoires sordides. En gros, il déteste tout et tout le monde, il s’enivre et consomme du laudanum à doses effrayantes.

Et c’est en multipliant les dégueulasseries que ce bon vieux Charles exerce cette étrange fascination aux yeux vairons : pouriture et poète, sadique hypersensible, capable de traîner son entourage dans la fange et d’être bouleversé par la mort d’un albatros en pleine mer ou de sa soubrette. Les bons mots affluent, le trash aussi, entrecoupé du sublime, celui des « Fleurs du mal«  dont les auteurs reproduisent des poèmes entiers recontextualisés.

Baudelaire dilapide son pognon, le jette littéralement dans les airs, il fume du haschich et prend de l’opium, il se balade à poil dans les colonies françaises et se teint les cheveux en bleu, en vert dans le dix-neuvième siècle parisien ; en gros, Baudelaire, c’est un punk, un Charlie le pourri, génial et pathétique dont l’œuvre est indissociable de l’auteur. Un homme seul face à son époque, un voyant aux yeux crottés, un soldat en guerre contre le puritanisme qui le rend d’autant plus actuel.

 

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Crénom, Baudelaire ! ©Futuropolis

 

 

Baudelaire offrira à la poésie des fleurs pourries, le goût infect de la réalichiée sous les vivats de Victor Hugo, Flaubert, Rimbaud ou Verlaine. Entre deux bars à putes, le lecteur le trouvera en compagnie peu glorieuse de Delacroix, Flaubert, les Goncourt, Musset, Nerval et surtout de son grand ami Théophile Gauthier à qui seront dédiées « Les Fleurs du Mal«  après qu’il en ait trouvé le titre. Tout ceci est passionnant même si l’amateur attendra avec impatience que soit abordé la genèse du « Spleen de Paris » que votre serviteur trouve plus abouti que son bouquet maléfique.

Contre toute attente, cette dépravation est souvent très drôle avec un Baudelaire, dessiné en sale gosse, toujours le premier à rire de sa lose urbaine. Il faut admirer le magnétisme animal que les Gelli donnent à Jeanne Duval une muse, une actrice et une prostituée à qui Baudelaire réservera ses poèmes les plus intenses.

Une réussite totale que la transcription de ce parcours immoral, d’un auteur qui sera parvenu, en souffrant et en faisant souffrir, à transformer la laideur en beauté et la puanteur en poésie.

 

Crénom, Baudelaire !

Crénom, Baudelaire ! ©Futoropolis

 

 

Crénom, Baudelaire ! Tome 1 et 2 de Dominique et Tino Gelli
Crénom, Baudelaire !, D’après le roman de Jean Teulé- Ed Futuropolis