Dans un monde gangrené par les inégalités sociales et les tensions politiques, Body Count s’érige depuis plus de trois décennies comme un cri de révolte brut et sans filtre. Ice-T et sa bande n’ont jamais été aussi pertinents qu’en 2024 avec leur huitième album, Merciless. Véritable rouleau compresseur sonore, cet opus est une arme musicale affûtée, mêlant la brutalité du métal à l’urgence du rap pour dénoncer un système gangrené par les injustices. Entre collaborations audacieuses et une énergie toujours plus féroce, Merciless est bien plus qu’un album : c’est une déclaration de guerre à l’apathie.
La rage comme moteur : Une (trés) grosse claque sonore dans un monde en colère
Depuis leurs débuts dans les années 90, Body Count ne s’est jamais contenté de divertir. Chaque note, chaque mot, porte un message. Avec Merciless, cette mission atteint de nouveaux sommets. Né d’une frustration accumulée – celle de la pandémie, des violences sociales, des clivages politiques – cet album dégage une intensité qui dépasse celle de Carnivore, leur précédent opus. Ice-T n’a rien perdu de sa verve acérée, alignant des punchlines aussi brutales qu’efficaces, comme sur “Do or Die” où il s’attaque à la glorification des armes tout en prônant la survie : « I’m not no fucking pro-gun motherfucker/I’m pro-staying alive. » Dès les premières secondes, Merciless vous attrape par le col et ne vous lâche plus.
Des riffs tranchants d’Ernie C et Juan of the Dead à la batterie implacable d’Ill Will, chaque morceau est une déflagration sonore. “The Purge”, inspiré des films du même nom, est sans doute l’un des morceaux les plus violents de leur répertoire, flirtant avec le death metal. La présence de George “Corpsegrinder” Fisher (Cannibal Corpse) y amplifie la sensation de chaos et de colère avec des growls gutturaux qui semblent jaillir des entrailles de la terre.
La violence comme catharsis et comme miroir
Merciless ne fait pas dans la subtilité, et c’est précisément là sa force. À travers des morceaux comme “World War” ou “The Purge”, Body Count utilise la violence – sonore et lyrique – pour dénoncer celle de la société. Les récits de gangsters, les fantasmes post-apocalyptiques et les attaques contre les dirigeants corrompus ne sont pas de simples provocations : ils reflètent un monde en crise, où les fractures sociales ne cessent de s’élargir. Ice-T ne mâche pas ses mots. Ses textes sont crus, directs, souvent brutaux, mais jamais gratuits. Ils visent à réveiller, à secouer une audience parfois anesthésiée par un quotidien trop confortable. La rage exprimée dans Merciless est une catharsis, une invitation à ne pas rester passif face aux injustices.
Des collaborations percutantes au service d’un propos engagé
Body Count ne fait pas les choses à moitié, et Merciless en est la preuve. Ice-T a convoqué une liste d’invités prestigieux pour enrichir son univers sonore et apporter des nuances à l’album. Max Cavalera (ex-Sepultura) rejoint le groupe sur “Drug Lords”, une plongée dans les récits de gangsters, entre riffs écrasants et performances vocales dynamiques. Si la proposition est alléchante, le texte, un peu convenu, peine parfois à atteindre la profondeur espérée. Le morceau “Psychopath”, avec Joe Badolato (Fit For An Autopsy), explore la psyché humaine perturbée. Les hurlements viscéraux de Badolato ajoutent une tension presque cinématographique au dialogue entre un esprit tourmenté et une société indifférente. Howard Jones (Killswitch Engage) brille également sur “Live Forever”, un hymne qui célèbre l’idée que la véritable immortalité réside dans l’impact que l’on laisse sur les autres.
Malgré un refrain un peu stéréotypé, le morceau se démarque par sa puissance émotionnelle et ses riffs accrocheurs. Mais c’est la reprise de “Comfortably Numb” de Pink Floyd qui déroute et fascine le plus. David Gilmour lui-même pose un nouveau solo sur cette relecture audacieuse, où Ice-T revisite les paroles pour dénoncer l’apathie collective face aux injustices. La combinaison de l’univers rugueux de Body Count et de la délicatesse légendaire de Gilmour crée un choc esthétique inattendu, mais parfaitement maîtrisé.
Une production affûtée pour une intensité maximale
L’un des points forts de Merciless réside dans sa production. Ice-T et son groupe n’ont jamais sonné aussi agressifs, et cela se ressent autant dans les compositions que dans les arrangements. Des morceaux comme “Mic Contract” ou “Fuck What You Heard” dénoncent une industrie musicale obsédée par le profit au détriment de l’authenticité artistique. Les riffs sont tranchants, les rythmes implacables, et la voix d’Ice-T est une arme en elle-même, oscillant entre phrasé rap et hurlements rageurs. La production renforce ce sentiment d’urgence. Chaque titre semble conçu pour être joué à plein volume, pour décharger une colère trop longtemps contenue. Les morceaux s’enchaînent comme des coups de massue, alternant moments de pure fureur et instants plus introspectifs, comme sur “Live Forever” ou “Comfortably Numb”.
Body Count : toujours sans pitié, 30 ans plus tard
Plus de trois décennies après leurs débuts, Body Count reste un groupe inébranlable. Ice-T et ses acolytes n’ont rien perdu de leur jeunesse intérieure, cette énergie qui brûle et refuse de s’éteindre. Avec Merciless, ils prouvent qu’il est possible de rester pertinent, audacieux, et engagé, même après des décennies sur le devant de la scène. Comme le disait Francis Bacon : « Avoir pitié de son ennemi, c’est être sans pitié pour soi-même. » Body Count a choisi d’être sans pitié, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs auditeurs. Et franchement, on n’en attendait pas moins. Avec cet album, ils rappellent que la musique, quand elle est portée par une véritable intention, peut encore être une arme contre l’apathie et l’injustice. Et, plus important encore, une arme contre le silence. Tracklist de l’album :
- Interrogation (Interlude)
- Merciless
- Purge (feat. Geroge « Corpsegrinder » Fisher)
- Psychopath (feat. Joe Bad)
- Fuck What You Heard
- Live Forever (feat. Howard Jones)
- Do or Die
- Comfortably Numb
- Lying MF
- Drug Lords (feat. Max Cavalera)
- World War
- Mic Contract