Interview, Moonya : « J’ai le sentiment d’un chemin parcouru. »

Par Bruce Tringale
Publié le 12 décembre 2024

Qu’elle soit internationale ou française, cette nouvelle scène féminine reste la plus belle épopée musicale de ces trente dernières années. Impossible de savoir où donner de la tête, mais tentons quand même avec la dream-pop d’Amandine Fontaine-Rebière aka Moonya qui, avec son album Faces, opère une mise à jour passionnante de la nouvelle chanson française alternative.  

 

thumbnail Pochette FACES bords blancs

©Killuria

 

Bonjour Moonya, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?


MOONYA : Je fais de la musique depuis plus de 20 ans. J’ai commencé ce projet MOONYA il y a aujourd’hui 10 ans. J’avoue, je n’ai pas vu toutes ces années passer. Je me suis véritablement construite avec la musique, qui est pour moi une nécessité. Depuis 2003, je suis une des entités du duo AÑA, cher à mon coeur. En 2014, j’ai crée ce projet solo, non pour le remplacer, mais pour y trouver une part complémentaire, explorer des espaces nouveaux. J’y ai en effet trouvé de belles choses, des sensations inconnues, des envies qui m’ont portée. Jusqu’à ce jour où mon premier album Faces est sorti. J’ai le sentiment d’un chemin parcouru. Je me retourne et je suis heureuse.

 

Faces tourne en boucle sur ma platine depuis sa sortie. Comment définirais-tu ta musique ?

MOONYA : J’ai jusque-là parlé de dream pop, je pense que ça représente assez bien ce que je fais. Ma musique est lancinante, joue sur les répétitions, notamment sur scène par le live looping. À la fois électro, rock, pop, ma musique est un mélange de textures sonores et un jeu d’expérimentation. J’aime cette liberté d’utiliser l’anglais et le français, ainsi que jouer sur les différents timbres de ma voix. Je crois que ma musique est libre et instinctive.

 

Quels sont les artistes qui ont façonné ta culture musicale ?

MOONYA : Des groupes tels que Cocteau Twins, Blonde Redhead, Shannon Wright, Bjork, The Cure, New Order, Nirvana, PJ Harvey, Cat Power, m’ont beaucoup inspirée… mais aussi Dominique A, Olivier Depardon, Miossec, Autour de Lucie ou encore Keren Ann. Une multitude de groupes. Et j’ai plaisir à voir que la plupart de ces groupes précédemment cités ont une longévité, un parcours musical unique, une oeuvre singulière qui s’étend sur de nombreuses années. Ils ont évolué en gardant toujours une identité qui leur était propre.

 

 

Tu ne te sens pas seule ? Personne ne fait ce genre de musique en France.

MOONYA : Non pas du tout ! S’il y a une certaine singularité dans ma musique, je l’assume pleinement, je la défends même… Même si je pense que personne n’invente jamais vraiment quelque chose, mais plutôt rebâtit, recrée quelque chose de nouveau à partir de ce dont il s’est nourri, j’ai en effet mis de moi dans chacun de mes titres ! Et ça me va très bien, car, personnellement, je ne vois pas l’intérêt de recopier quelque chose. Et je ne me sens pas seule, non, parce que je ne suis pas seule sur ce projet… je suis même bien entourée ! Et tous ces gens me portent, me poussent à aller de l’avant.

 

Tes paroles collent remarquablement sur ta musique aussi bien en français qu’en anglais. Il y a cette belle montée d’émotion sur Le Cercle

MOONYA : Je suis très attachée à l’écriture des textes. Au sens des mots et à leur musicalité. Ce sont des morceaux de vies, des petits bouts d’histoires, qui peuvent appartenir à tout le monde. « Le cercle » parle de deuil, de reconstruction, de résilience. Il n’est pas vraiment triste, mais plutôt réaliste et tourné vers l’avenir. Je n’aurais pas pu me mettre à nu de cette manière il y a encore quelques années. Ecrire et chanter en français est une redécouverte, peut-être parce que j’en ai besoin aujourd’hui. J’aime cette liberté de chanter dans la langue qui m’inspire, selon les morceaux.

 

Un mot sur la pochette ? Elle est magnifique.

MOONYA : Merci ! Je la dois à mon cher ami photographe Killkuria avec qui je travaille depuis des années. Il est à la fois l’auteur de ce body painting et du cliché. C’est un véritable choix que de me dissimuler sous cette peinture. Le noir et blanc également, pour la dimension clair-obscur. Le fait d’orienter ma silhouette à l’horizontale, c’est l’idée de mon ami Cyro, qui rend cette cover encore plus énigmatique. C’est un travail d’équipe, à l’image de ce disque…

 

Il est beaucoup question de masques, de fuites, de dissimulation dans tes paroles.

MOONYA : Sans doute à l’image de ce monde… trop porté sur les apparences… marqué par l’indifférence d’autrui, le manque de solidarité, l’individualisme. L’écriture et la composition m’aident à exprimer toutes ces idées qui me traversent, m’habitent. Clairement, c’est une manière d’extérioriser. J’ai une façon souvent métaphorique d’écrire. Je dépeints des images qui me parlent.

 

 

« Ma nuit » a de jolis arpèges à la Radiohead, première période.

MOONYA : J’ai beaucoup écouté Radiohead. Qui n’a pas pleuré sur « Creep » ? Leur musique est viscérale comme l’était celle de Nirvana. Justement, « Ma nuit » est un cri du coeur, une pensée pour les gens qui souffrent. Ce titre évoque le refuge dans la nuit, le sommeil, la fuite de la réalité. Le basculement dans le rêve, comme des retrouvailles dans un monde meilleur, ce monde où les frontières n’existent plus, où les gens sont unis et solidaires.

 

« I’Am Somewhere Else« rappelle les ambiances des premiers Cure.

MOONYA : Je ne suis pas surprise. The Cure est une référence pour moi, mais aussi pour David Fontaine qui a arrangé et mixé l’album, qui est un véritable fan de ce groupe. Dans « I Am Somewhere Else », on est dans un univers cinématographique avec un mélange de sons organiques et de sons électroniques. Ce titre se veut épuré et répétitif, transcendantal.

 

« Pensées » est à l’image de ta musique : minimaliste. Est-ce un avantage ou une pression sur scène ?

MOONYA : Sur scène, ça n’est pas toujours minimaliste. J’apprends justement à le faire pour retrouver une certaine pureté dans le son et dans le propos. Bien sûr, le fait d’être seule sur scène met une certaine pression. Mais ça fait partie du jeu. C’est un sentiment particulier, mais qui me plaît.

 

« Save Me »est un titre magnifique…

MOONYA : Il a été écrit pendant le covid… d’où cette idée d’enfermement, ce puits sans fond ! Et ce besoin d’être sauvée. La musique aussi donne une sensation d’urgence. J’ai aimé créer ce sample de trompette qui donne une couleur particulière au morceau. Ayant appris la trompette pendant quelques années, c’était une opportunité de réaliser ce son acoustique. Il y a une volonté d’intégrer des sons acoustiques, organiques dans ma musique, et notamment sur ce disque. Je suis très heureuse par exemple d’avoir la batterie de Mathieu Pigné sur 3 titres (« Le cercle », « Emergency », « Shining »).

 

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

MOONYA : Beaucoup de personnes ont permis la réalisation de ce disque et je tiens à les remercier.. Ma famille, mes amis, et particulièrement, David Fontaine, EKenne Caylou, Mathieu Pigné, Killkuria, Christophe Feray, Antoine Charpentier, François Valsemey, Cyro… Pour citer « La face du jour », dernier titre de cet album : « Ça n’a l’air de rien et pourtant , il m’aura fallu le temps… » J’ai mis le temps à sortir ce disque mais aussi toute mon énergie, ma force, tout ce qui m’anime, l’écriture, la composition, la scène…


Aujourd’hui, ça a encore plus de sens parce que je le partage. Partager, c’est la continuité. Et c’est aussi figer ce que j’ai pris du temps à construire…avec eux, toutes ces belles personnes que j’ai précédemment citées, et maintenant avec toi, avec vous.

 

Killkuria2

©Killkuria