Marseille. Ville portuaire où la sueur colle à la peau aussi vite que l’acier à la bouche d’un micro. De là surgissent les premières lignes mélodiques d’Eths, collectif rugueux comme le bitume, apprivoisé par des âmes en quête d’échappatoire auditive. Formé à la fin du XXe siècle, ce groupe a catalysé une frénésie viscérale, un uppercut nu-metal arrosé d’influences plus noires et plus abruptes que les docks derrière la Plaine.
Eths, c’est la symbiose d’une scène alternative en effervescence, une alchimie brute, sans filtre, qui s’inviterait sans prévenir dans le salon d’une génération entière, ballotée entre aspirations métal et explosions sensorielles. Leurs riffs épais, les hurlements d’une chanteuse aimant l’expérimentation, et leurs textes écorchés, traversent l’underground hexagonal avant de s’offrir, parfois à contrecoeur, aux projecteurs d’une scène nationale fébrile. De l’intimité des salles de répétition à la férocité des scènes d’Europe, Eths s’est imposé, s’est dissous, puis s’est reformé, mi-phénix, mi-anachronisme vivant. Impossible de l’étiqueter précisément: Eths mutile les frontières musicales avec une impatience démente.
Le groupe fascine, dérange, attire les collages de la presse rock et laisse un arrière-goût de poudre sur la langue. Pour quiconque s’intéresse à la scène lourde française – de Gojira à Mass Hysteria, d’AqME à Loudblast – Eths occupe une place sombrement intrigante. Un voyage à décortiquer nuances, mutations, éclats et cicatrices laissées sur le plancher d’une scène décidément inaltérable.

ETHS – Crédit photo Eric CANTO
Identité d’Eths : repères essentiels du groupe marseillais
- Origine : Marseille, France
- Années d’activité : 1996 – 2017 / Pause / Réformation partielle annoncée en 2025
- Genre(s) : Nu-metal, metal alternatif, death, expérimental
- Membres fondateurs : Candice Clot, Staif Bihl, Greg Rouvière, Roswell, Guillaume Dupré
- Chansons les plus connues : « Cruciforme », « Bulimiarexia », « Detruis-moi », « Adonaï », « Samantha »
- Labels : Season of Mist, Coriace, Mascot Records
Genèse du groupe Eths : Marseille, ancrage d’une identité sonore
Dans le Marseille de la fin des années 90, les vitrines affichent les mêmes posters de festivals déjà passés, saturés d’air salin et d’ennui adolescent. C’est dans ce contexte que naît Eths, portée par une fascination commune pour les fracas sonores d’outre-Atlantique. Le groupe évolue d’abord sous le nom de What’s The Fuck, se cherchant une voix entre Les Innocents du Nord, les fureurs de No One Is Innocent ou les élans de Mass Hysteria. La rencontre de Candice Clot, voix à la fois animale et éthérée, avec les guitares tranchantes de Staif Bihl, crée un attelage explosif.
L’urgence d’une jeunesse marseillaise s’exprime dans les caves et les squats, où le groupe apprend le mépris sain de la facilité. Bien loin des clichés du rock radiophonique, Eths plonge dans un univers abrasif. Issues de la scène alternative, les premières démos sont échangées comme des manifestes confidentiels. C’est une époque où Marseille ressemble plus à une friche industrielle qu’à une carte postale pour touristes. Les premiers concerts se jouent à la lisière de la légalité, entre petits clubs et festivals underground. Cette scène foisonne, plus perfusée par Loudblast ou Trepalium que par quelconque pop aseptisée.
Leur public est une élite marginale refusant compromis et concession, rêvant à voix haute d’une reconnaissance nationale. La fusion des genres s’opère naturellement, le groupe digérant l’influence de Forbidden Society et s’imprégnant du métissage sonore ambiant. L’ancrage local est essentiel : Marseille, ville multiple et mutante, fournira au groupe son identité fluctuante et sa propension à la réinvention permanente. Prendre racine ici, c’est refuser la tiédeur. Avec l’arrivée progressive de Guillaume Dupré à la batterie et Greg Rouvière à la guitare, Eths solidifie son noyau. Mais déjà, les fondations tremblent sous le tremblement permanent de la scène locale, où chaque membre jongle avec divers projets éphémères, tissant un réseau musical souterrain qui nourrira la scène rock hexagonale pour des années.
Expansion, tournants et secousses : la carrière d’Eths au fil des décennies
L’histoire d’Eths, c’est celle d’un groupe coincé entre son ADN contestataire et la tentation d’une reconnaissance hors-marée. À la charnière des années 2000, le premier EP officiel « Soma » (2000) sort dans une France en pleine mutation musicale, secouée par l’explosion du streaming naissant et la résurgence du metal français incarné par Gojira. Avec « Soma », Eths place ses jalons : alternance de rage brute et de passages plus aériens, textes tortueux qui tranchent dans la psyché collective. L’accueil est immédiat, les fanzines s’emballent, la scène se bouscule aux premières loges. Les tournées s’enchaînent à un rythme punk, du squat local jusqu’aux premières parties de groupes comme Mass Hysteria, avec qui un respect mutuel s’installe.
Rapidement, « Soma » est suivi de « Tératologie » (2007), album-charnière qui assoit Eths comme fer de lance d’une scène metal alternative trop longtemps restée en marge. Les changements de line-up deviennent une constante, rythmes et voix alternant au gré des tensions internes et des soubresauts de l’existence de Candice Clot, figure centrale, icône autant qu’électron libre. Les départs et retours rythment chaque étape de la trajectoire, les reconfigurations sont presque une politique interne : Eths recompose, déconstruit, réassemble. Un art de la mutation permanente qui n’est pas sans rappeler l’épopée punk documentée par Rolling Stone Magazine. Les années passent, les albums s’espacent, mais le souffle du début ne meurt jamais vraiment. La dissolution annoncée, toujours à rebours de la tendance, ne marque qu’une pause provisoire. Les rumeurs de reformation, portées par la nostalgie d’une scène qui n’en finit plus de se régénérer, se concrétisent d’abord timidement, puis explosent à la veille de 2025, à la faveur d’un retour annoncé, mi-événement, mi-revanche sur la destinée.
Cette trajectoire cabossée, constellée d’embardées stylistiques, témoigne d’une époque où le mainstream se nourrit de l’underground et non l’inverse. Eths s’y engouffre avec un sens du timing assez dadaïste, célébrant les accidents et les crises internes. La scène française – de Sneakout à AqME, de Darktribe à Forbidden Society – s’en trouve revigorée, chaque retour du groupe servant de parapet à une génération échaudée par la normalisation de ses idoles.
Paysages sonores, soubresauts et influences : anatomie musicale d’Eths
Définir Eths, c’est essayer de saisir le bruit d’un chaos contenu. Techniquement rangé sous la bannière du nu-metal – ce mot valise aussi flatteur qu’insultant –, le groupe n’a jamais versé dans la facilité. Riffs massifs, contrepoints mélodiques, soubresauts rythmiques et alternance de chant éraillé et passages clairs : Eths se nourrit autant du metal hardcore européen que des expérimentations death et post-metal. Les références assumées flirtent avec l’école américaine – Deftones, Korn, Slipknot – mais l’âme reste farouchement marseillaise, terreau d’une hybridité unique. Les textes, en français pour la plupart, abordent l’intime, le dérangeant. Le contexte local pèse dans la balance : influences méditerranéennes, héritages gothiques et goût prononcé pour la dissonance structurent leur identité.
Les morceaux deviennent des monolithes, parfois labyrinthiques, que les fans dissèquent à la loupe, tandis que la critique oscille entre révérence et scepticisme. Eths n’est cependant pas seul sur ce ring : la scène alternative française, alors en pleine explosion avec l’émergence de Gojira, Loudblast et No One Is Innocent, voit l’arrivée de ce concurrent atypique non comme un rival mais un catalyseur de transgressions. Leurs compositions longent les abîmes où d’autres groupes se sont perdus, mais Eths revient toujours, ravalé par la bête qu’il nourrit. Ainsi, l’ombre portée par la scène marseillaise se prolonge, contaminant jusqu’aux groupes voisins comme Trepalium ou Darktribe.
Entre fulgurances techniques, construction déconstruite et goût du non-dit, Eths s’est bâti une discographie qui refuse le confort du prévisible. Ce sont ces aspérités qui séduisent une audience lassée par les dissipations du mainstream.
Moments de tension, histoires de coulisses et éclats marquants
Le quotidien d’Eths n’a rien d’un roman adolescent bien huilé. Ici, le backstage n’est pas un club anglais où la bière coule à flot, mais un entrelacs de règlements de compte à la dague, à la fois limpides et furieux. Parmi les anecdotes les plus croustillantes, cette légende urbaine affirmant que l’enregistrement de « Tératologie » s’est fait dans un studio hanté où chaque craquement était suspecté d’être le fantôme mal luné d’un musicien oublié – référence évidente aux décors tristes d’un film de série B.
En pleine tournée européenne de 2007, le groupe aurait préféré dormir dans leur van plutôt qu’à l’hôtel, par peur de perdre leur précieux matériel après un concert tumultueux à Prague avec Forbidden Society. Les anecdotes n’en finissent plus : bagarres à l’italienne lors d’un show à Turin, disparition impromptue d’un ampli (rendu par un fan) lors d’un passage à Paris, ou ce remplacement express de Candice Clot par Rachel Aspe, recrutée en dernière minute, pour un festival où Eths devait ouvrir la soirée. Les scènes de répétition ressemblent alors à une psychanalyse collective, chaque tension expliquant les mutations constantes du line-up. Le groupe a aussi été invité à collaborer sur scène avec des membres de Gojira, No One Is Innocent, voire Mass Hysteria, cimentant sa place au sein d’un réseau fraternel du metal français.
Sur disque, la pression ne relâche jamais : chaque session d’enregistrement s’apparente à une opération à cœur ouvert. Il arrive qu’un morceau prenne forme suite à une dispute, comme ce fut le cas pour « Detruit-moi », dont les paroles auraient été écrites dans le feu d’une altercation. Le public cultive ces histoires, transformant chaque live en rite de passage.
Eths n’est pas un groupe, c’est une meute, et comme dans tout clan, les conflits agissent comme révélateurs. C’est ce qui explique, en partie, la capacité du groupe à renaître de ses propres cendres, tel le phénix Ankaa qui donnerait son nom à leur album de 2016. Une fois sur scène, peu importent les escarmouches intérieures, l’énergie brute reprend le dessus – la scène hexagonale aime rappeler ce qui différencie les guerriers des simples faiseurs de notes.
Entre crises, mythes et reconnaissances : palmarès et distinctions d’Eths
Eths n’a jamais eu le goût de l’étiquette « groupe à récompenses », préférant la reconnaissance viscérale des fans à la mise en rangée de statuettes sur une cheminée. Pourtant, le groupe s’est retrouvé cité dans plusieurs classements spécialisés, saluant l’avant-garde de la scène metal hexagonale. En 2004, leur premier album est nommé « Album metal de l’année » par un magazine spécialisé, résonance de ce que commandait l’époque où la presse physique exerçait un réel pouvoir (souvenir amer partagé par la liste des médias rock en 2025). D’autres distinctions incluent une nomination aux French Metal Awards pour l’album « Tératologie », et une conclusion peu banale : un hommage rendu lors d’un rassemblement fans à Marseille en 2018, trois ans après la première séparation du groupe.
En Suède, la presse underground salue « Ankaa » (2016) pour sa production hétérodoxe, injection bienvenue d’expérimentation dans un genre souvent autarcique. Les hommages sont parfois indirects : citation du groupe dans la sélection des 25 plus grands groupes rock du site RockSound.fr, ou choix de plusieurs morceaux pour accompagner des documentaires sur la French Touch ou la place du rock francophone à l’ère numérique. Pas d’entrée au Hall of Fame – Eths évolue hors des lignes, préféré des amateurs exigeants plus que des jurys officiels. Mais ses disques se retrouvent régulièrement classés parmi les albums qui comptent dans la mémoire collective des fans de sons lourds à français revendiqué.
Discographie, albums emblématiques et artefacts sonores de la carrière d’Eths
Catalogue varié, discographie bigarrée, Eths construit une œuvre de strates, plus proche d’un palimpseste que d’un best-of aseptisé. Du premier EP autoproduit aux albums studio salués pour leur radicalité, chaque production est le reflet d’une urgence, d’une mutation ou d’un coup d’arrêt. Les lives, captés sur bandes un soir où l’électricité statique flottait plus qu’à l’ordinaire, immortalisent ce que le studio ne peut saisir : la fureur du geste rock. Voici un aperçu balisé, complémenté de quelques certifications, où chaque album porte dans ses veines la marque du contexte de sa gestation.
Album | Année | Label | Certification | Fait notable |
---|---|---|---|---|
Autoprods/E.P. | 1999 | Autoproduction | – | Première salve, superpositions stylistiques, distribution confidentielle |
Soma | 2004 | Rage/Coriace | – | Niveau production élevé, chansons clés, carton dans la presse spécialisée |
Tératologie | 2007 | Season of Mist | – | Album charnière, exploration des thèmes dérangeants, nominations diverses |
III | 2012 | Season of Mist | – | Changement vocal, invité surprise, album de transition |
Ankaa | 2016 | Season of Mist | – | Dernier album avant séparation, retour d’expérimentation, hommage subtle au passé |
Certains albums marquent plus que d’autres : « Soma » (2004), révéré par la presse indépendante, impose Eths au premier rang de la scène nu-metal française, tandis que « Tératologie » (2007) immortalise le goût du groupe pour la transgression sonore. « III » (2012) pose le problème du remplacement vocal – Rachel Aspe reprenant le flambeau avec une sauvagerie déconcertante – et « Ankaa » (2016) opère comme un chant du cygne, presque testamentaire. Entre-temps, plusieurs EPs jalonnent la discographie, fenêtres sur une période charitablement qualifiée de “recherche stylistique intensive”.
Les albums live témoignent quant à eux de l’intensité d’un groupe qui s’ancre définitivement parmi les incontournables de la scène française atypique, en cela plus proche d’expériences collectives comme celles de Loudblast ou d’instantanés aériens à la Trepalium.