Et si Mozart avait écrit le premier hymne Punk ? Et si Platon avant lui, en avait défini les contours ? Comme Daredevil, le super héros vigilant la nuit et avocat le jour, Bertrand Pavlik explique l’on peut intellectualiser le punk, être avocat à la cour et auteur d’un essai brillant sur la spiritualité destroy, préfacé par Bertrand Burgalat !
Bertrand, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bertrand Pavlik : Après avoir suivi des études de droit, de commerce, de philosophie et d’histoire de l’Art, je suis devenu avocat, enseignant en droit à l’Université de Paris I, conseiller d’arrondissement du 6ème à Paris pendant 19 ans et chroniqueur « juridique » sur Sud Radio pendant quatre ans. Je suis également un passionné de littérature, de philosophie, d’histoire, d’art et de sport… et multi-champion de France de football américain.
Tu travailles en tant qu’avocat. N’est-ce pas dichotomique avec l’idéologie punk qui prône le chaos ?
Bertrand Pavlik : Non. En étant provocateur, l’avocat, comme le punk, dénonce le chaos. Et le chaos n’est pas une fin en soi. En faisant court, notre monde est né du chaos, le Bing Bang. Il s’est ordonné petit à petit. Les alchimistes en ont tiré une devise « Ordo Ab Chaos ». Il existe un ordre naturel, qui n’a jamais été contesté par les punks. Ce qui pose problème pour le punk, c’est la société. Beaucoup de punks étaient ou sont végan, écologistes.
L’avocat intervient dans les cas où la société est « malade » pour aider à son rétablissement, demandant l’application de la loi, via son argumentation, pour tenter de la guérir. Le punk dénonce un état sociétal qui est chaotique au sens premier du terme. Par exemple, Stiff Little Fingers dénonce la situation en Irlande avec leur chanson « Alternative Ulster », les Sex Pistols dénoncent le tourisme de masse avec « Holidays In The sun », etc. L’erreur vient du fait que le punk serait anarchiste et nous avons tendance à penser que l’anarchie est synonyme de chaos. C’est faux, l’anarchie prône un système très organisé avec une société plus juste.
Pourquoi ce livre en 2024 ?
Bertrand Pavlik : C’est en voyant des punks à chien mendier dans la rue que je me suis interrogé : « Tout cela pour ça ? ». Il y a aussi un grand ras-le-bol : j’en ai marre d’entendre ou de lire la doxa de certains sur le punk, lors d’émissions de Radio France ou dans la presse ou dans des livres. C’est très faible alors que les acteurs du punk d’origine pensaient « très fort » et vivaient intensément. Bref, j’en ai marre que les punks soient présentés comme des simplets illettrés ne pensant qu’à picoler et à foutre le boxon. Le punk ne se résume pas en la personne de ce pauvre Sid Vicious ou dans les paroles d’un groupe comme SHAM 69 du style « si les gosses sont unis, ben ils sont unis » ou dans le manque d’inventivité de cette horreur que sont The Exploited. Les premiers punks ont une poésie, une inventivité, certes violentes mais dont on ne retrouve rien dans les post-punks ou dans le mouvement Punk Is Not Dead. J’ai voulu expliquer autrement le Punk. Se posait alors la question de savoir comment le faire ? J’ai été grandement aidé par le PIND de l’Université de Tours et un ouvrage collectif de philosophie aux PUF, « Penser par le Punk » sous la direction de Catherine Guesde.
Après les avoir lus, je savais dans quelle direction je souhaitais aller : essayer de comprendre ce que nous avons pu croire ou penser à l’époque du punk de 76 à 79. J’ai donc attaqué ce mouvement par la spiritualité, c’est-à-dire par la volonté qu’ont les hommes de vouloir transcender leur condition matérielle par la création artistique et la culture. La culture est ce qui permet à l’homme de quitter l’immanence pour la spiritualité. Cela permet de démontrer également que la spiritualité peut exister sans la religion mais que la religion ne peut exister sans spiritualité.
Ton essai bénéficie d’une préface brillante de Bertrand Burgalat
Je remercie Bertrand Burgalat d’avoir accepté de préfacer mon livre et de manière aussi brillante. Je suis un fan absolu de ce que fait Bertrand, notamment de son rapport à la musique mais aussi à l’écriture. Je désirais que mon livre soit préfacé par quelqu’un que j’admirais et je ne suis pas déçu : Bertrand est mon roi Midas. Il transforme en or tout ce qu’il touche. Et il comprend l’importance de la musique dans la société et comment l’exprimer. La musique qu’il a composé pour la série « Ça c’est Paris ! » sur France 2 et ses Clubs JAZZAFIP sur FIP, c’est génial.
Tu remontes à Platon pour expliquer la nature du punk !
Bertrand Pavlik : Comme je tente de l’expliquer, Platon n’aime pas le désordre mais l’ordre. Or, pour lui, la musique peut être source de désordre et engendrer un désordre dans la Cité. C’est un peu sommaire mais c’est l’idée. Ce qui est amusant, c’est que j’ai des amis qui lisent Platon en ce moment et ils trouvent que ses idées sont un peu fachos.
Tu associes beaucoup l’Apocalypse au punk.
Bertrand Pavlik : On a dévoyé le sens de ce mot. Apocalypsis en latin vient de apokalupsis du grec ancien, qui signifiait révélation, dévoilement. En fait, l’Apocalypse de Saint Jean, c’est la révélation finale, qui entrainera la fin des temps. Il est facile de le relier au « No Future ». La question est que se passe-t-il après ce No Future ? La fin des temps ? La fin d’un monde et un renouveau ? On retrouve aussi ce raisonnement à titre individuel, avec notre mort. Quel est notre sort après notre mort ? Je n’ai pas la réponse, s’il, en existe une ! Cela reste une question cool, car on peut répondre n’importe quoi sur la mort. Personne n’en revient pour vous contredire !
Tu parles aussi beaucoup d’épiphanie ….
Bertrand Pavlik : Elle est liée à la question précédente. La première écoute d’un disque, assister à un concert, lire ou écouter l’interview d’un groupe peuvent être sources d’épiphanie. L’épiphanie, « epiphania » en grec, c’est la manifestation, une chose qui apparaît. C’est d’abord, une notion religieuse puisque qu’elle signifie la manifestation d’une divinité ou d’une présence divine à l’humanité. Prise dans un sens plus large, plus profane, c’est l’apparition d’une musique, d’un groupe qui va être la source d’une révélation. Cette révélation va changer votre vie, faire de Joe Strummer le chanteur du Clash, Peter Hooks un musicien, bassiste, tout cela après avoir vu un concert des Sex Pistols. Ce qui fait l’originalité du punk, c’est ce « No Future ». J’ai la révélation de qui je suis, quelle est ma place dans ce monde, mais comment la trouver dans ce monde en phase terminale ?
Tu traduis le Dies Irae de Mozart pour prouver qu’il s’agit sans doute du premier hymne punk ! Le nihilisme est souvent associé au punk alors qu’il s’agit surtout d’un mouvement assez fédérateur et progressiste !
Bertrand Pavlik : Le punk, c’est une révolte qui va engendrer un immense élan créatif et rassembler tous les marginaux qui n’en peuvent plus de suffoquer dans la société du début des seventies. Des groupes aussi divers que les Damned, le Clash, les Sex Pistols, les Jam, les Cure, les Buzzcocks, les Ramones, Television, Patti Smith, Métal Urbain, Stinky Toys, les Dogs, même Motorhead… vont se retrouver dans ce mouvement qui ira jusque dans les pays de l’Est communistes, en Asie et même en Océanie.
Le big bang culturel punk va toucher la musique, la mode, la manière de vivre, le cinéma, la littérature, les opinions politiques. Puis, la diversité reprendra ses droits vers 1978, 1979, avec la New Wave, la Cold Wave, le mouvement Mod, le Ska, les Gothiques, les Nouveaux Romantiques… Cette rébellion on la retrouve dans Mozart qui ne veut pas voir son art rester cantonné à Salzbourg, qui le premier fait chanter en langue nationale et non plus en italien, des opéras… Où est la rébellion aujourd’hui ? Où sont les Mozart, les Sex Pistols, les Ramones contemporains ? Où se cachent-ils ?
Les mantras du punk forment un cycle de mort de et de renaissance éternel : nous passons du « No Future » à « Punk is Not Dead » …
Bertrand Pavlik : Le punk est mort en 1979. Après, c’est autre chose. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas aussi bien. C’est juste différent. C’est une question de cycle et le cycle, dans le rock, il est très court. Certains cycles sont plus puissants que d’autres aussi. Pensez à ce principe de Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Le punk d’origine n’a rien à voir avec celui de nos jours, qui va jusqu’à vivre dans des communautés qui ne dénoteraient pas avec celles des hippies d’autrefois. En revanche, l’étincelle punk reste toujours présente mais elle s’exprime différemment, peut-être, pour répondre par un mantra, celui de Jim Morrison : « Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ».
Avec un groupe comme Amyl and the Sniffers, le punk connaît encore quelques soubresauts, non ?
Bertrand Pavlik : J’adore ce groupe mais ce n’est pas du punk. C’est du rock. Je me posais déjà la question avec Wendy O. Williams et les Plasmatics, qui datent pourtant de 1977. Peu importe au fond, c’est juste un très bon groupe rock et vous pouvez les qualifier de punks, personne n’a le monopole de cette appellation non contrôlée. En revanche, j’irai beaucoup plus loin et je dirai que le rock connaît encore quelques soubresauts. Je suis optimiste, Il y a toute une scène alternative d’où viennent Amyl and The Sniffers, ce n’est pas perdu.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Bertrand Pavlik : Johnny Rotten l’a dit et bien dit « Etre punk, c’est penser par soi-même ». Tous les punks d’origine, comme Joe Strummer, critiquaient l’uniformisation des punks venus après eux. Aujourd’hui, que ce soit dans le punk, comme dans le rock en général, tout le monde porte un uniforme. Sortez de ce carcan. Visez haut. Prenez de l’altitude !