Deux ans après le quasi inécoutable Que Dios Te Maldiga, disque acoustique flirtant entre le génie et le médiocre, The Mars Volta poursuit sa quête d’expérimentations et de radicalité, loin des formats et des certitudes.
Sur la pochette, devant, derrière : rien. Aucune information. Rien à quoi on pourrait s’accrocher. Les disques de The Mars Volta étant toujours de grands voyages, on glisse le long du format pour mieux s’abandonner dans l’œuvre. Ou peut-être faut-il y voir une forme de pudeur, peut-être est-ce simplement de la discrétion qui frôlerait l’effacement au service de la musique. Peut-être encore est-ce l’objet lui-même qui voudrait se soustraire à la musique, mais dans ce cas, pourquoi faire le choix de sortir ce disque en format physique ? Pour les thunes, me direz-vous ? C’est très mal connaître l’industrie musicale de nos jours, voyons !
Dévoilé en janvier par surprise et dans son entièreté devant un public plutôt médusé lors d’un concert en première partie de Deftones, Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio ne fait pas dans l’apparence. C’était pourtant bien là un effet d’annonce encore jamais tenté dans le music business. Qui d’autre que Mars Volta, qui excelle dans l’expérimentation et l’audace, pour se lancer dans cette démarche rare et radicale, à leur image, qui interroge autant qu’elle intrigue ?
Là où d’autres orchestrent des campagnes millimétrées à grand renfort de teasing, de clips, de visualizers et autres singles en playlist, The Mars Volta choisit le vertige — ou plutôt choisit de ne pas choisir. Ça sera sur scène, balancé d’un coup, sans promo et en pleine figure. Une façon comme une autre de prendre l’époque à rebours et de tout de même faire parler de soi. Ironique, n’est-ce pas ?

The Mars Volta – Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio
Malgré l’apparente nudité de sa forme, il y a dans Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio des instants où la lumière perce, où l’intention devient limpide, vibrante même. Comme si des éléments se révélaient sous la lumière d’une lampe torche. « The Iron Rose », déchirante, touche juste avec son gimmick étonnant où Cédric Bixler Zavala, pourtant très loin d’un John Travolta, nous déclame « You’re the One That I Want ». On est touché, ça vise dans le mille.
Juste après, il y a « Cue the Sun », qui bouillonne, s’agite comme un organisme vivant, groove et fourmille jusqu’à « Poseedora de mi sombra » et ses élucubrations électronico-expérimentales bien senties, où l’on retrouve l’ADN du groupe : curieux, aventureux et joueurs. Ces trois titres font figure de véritables instants de grâce. Et puis…
Et puis je ne sais pas trop ce qu’il s’est passé, ou plutôt ce qu’il ne s’est pas passé. On sent pourtant ici une œuvre complexe, travaillée et habitée, mais peut-être l’est-elle moins que les autres. On cherche une accroche, une faille dans laquelle s’engouffrer, mais rien ; nos doigts rippent et ne trouvent pas la force de monter tout en haut de ce qui ressemble à un grand tas de sable où les enfants ont fini de jouer.
Je n’ai pas ce souvenir-là concernant les premiers bijoux de Mars Volta que sont De-Loused In The Comatorium et Frances The Mute. Je me souviens de claques énormes et de plusieurs dizaines d’écoutes, sûrement une centaine pour le premier album, inlassables, qui encore aujourd’hui me procurent d’intenses émotions. The Mars Volta proposait des voyages dont on ne revenait pas, dont on ne sortait pas indemne. Je ne suis pas sûr qu’on puisse encore en dire autant aujourd’hui.

The Mars Volta – Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio
La déception résidait déjà cachée sur la pochette, comme un indice. Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio est très transparent à ce propos. Comme je le disais plus haut : dans ce visuel, il n’y a rien qui nous accroche vraiment. Juste une texture, celle du boîtier digipack cartonné couleur carton. Comme un vide, juste un nom sur la tranche, pour s’en rappeler dans quelques temps, quand on l’aura rangé et qu’on le retrouvera au milieu d’autres de ses confrères.
Malgré tout, il est en revanche toujours réjouissant de voir que The Mars Volta est un groupe qui s’affranchit d’absolument tout. Libres, ils ne cherchent même plus à plaire à un public qui ne ferait pas l’effort de venir à sa rencontre. C’est sûrement ça l’essence du rock, la résistance et l’indépendance, refuser les compromis et tracer sa route, qu’on soit suivi ou non.
Au fond, tout est là. J’espère pourtant me tromper, j’espère ne rien avoir compris et être passé totalement à côté. J’espère même écrire bientôt un mea culpa qui, de long en large, reviendra sur cette chronique. J’imagine, et j’espère même, les deux musiciens étant très prolifiques, que bientôt un nouvel album de The Mars Volta verra le jour, et que ça me permettra de le voir sous un nouvel angle. Un nouvel album sur lequel je me jetterai à la seconde, tout comme je l’ai fait pour celui-là et les précédents, tant mon amour pour ce groupe demeure inchangé.
Ne serait-ce que pour ses fulgurances citées plus haut, Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio a le mérite d’exister, alors on l’écoute, on le remise et on se dit qu’on y reviendra. Et finalement, le disque glisse encore, inexorablement, derrière d’autres.
Tracklist – The Mars Volta – Lucro Sucio; Los Ojos Del Vacio :
1. Fin
2. Reina tormenta
3. Enlazan las tinieblas
4. Mictlán
5. The Iron Rose
6. Cue the sun
7. Alba del orate
8. Voice in my knives
9. Poseedora de mi sombra
10. Celaje
11. Vociferó
12. Mito de los trece cielos
13. Un disparo al vacío
14. Detrás de la puerta dorada
15. Maullidos
16. Morgana
17. Cue the sun (reprise)
18. Lucro sucio
Paru le 11 avril 2025 chez Cloud Hills (leur propre label).
Style : Rock Progressif From El Paso
Site web : https://www.themarsvoltaofficial.com/
Instagram : https://www.instagram.com/themarsvolta/