Le 1ᵉʳ avril 2025, Val Kilmer a tiré sa dernière révérence. Ironique clin d’œil du destin : l’homme qui avait merveilleusement prêté son corps et sa fureur à Jim Morrison dans « The Doors » le biopic d’Oliver Stone, disparaît alors que l’on s’apprête à fêter les 60 ans des Doors.
Et si la porte s’est refermée sur Kilmer, celle que Morrison avait ouverte il y a six décennies, entre ciel, enfer et acide lysergique, reste grande ouverte. Car 2025 est l’année où les Doors ressurgissent dans les rues de Paris, sur les platines, dans les librairies, et dans nos veines.

The Doors : Ceux que vous aimez haïr
Un poète en exil
Le 11 avril dernier, Paris a rebaptisé une passerelle en hommage à Jim Morrison. Elle enjambe le canal, comme un pont tendu entre deux mondes : celui des vivants, et celui des fantômes qui continuent de danser sous la lune. La passerelle Jim Morrison relie le boulevard Bourdon au boulevard de la Bastille, mais surtout, elle relie 1971 à aujourd’hui. Car Jim n’est jamais vraiment parti.
Il est encore là, à flâner place des Vosges, à boire des blancs au Rosebud, à rêver devant les vitrines de Shakespeare & Company. Jim Morrison était venu à Paris pour fuir l’Amérique, pour écrire, pour prendre de la distance devant la folie sulfureuse qu’il déchaînait. Il y a trouvé la mort. Officiellement, une crise cardiaque.
Officieusement ? Une overdose dans les chiottes du Rock’n’Roll Circus. Pas d’autopsie. Juste un bain froid et le silence qui enrobe les mythes. Enterré au Père-Lachaise, sa tombe est devenue le pèlerinage ultime des amoureux du rock. « Tu es fidèle à tes démons », signature posthume gravée sur sa pierre tombale.

Jim Morrison on December 21, 1967 in Los Angeles, California. (Photo by Michael Ochs Archives/Getty Images)
1965 – 2025
Pour les 60 ans de The Doors, Rhino Records dégaine l’artillerie lourde. Le coffret The Doors 1967-1971 est sorti le 22 novembre dernier. Il regroupe les six albums studio originaux, remasterisés à partir des bandes analogiques d’origine par Kevin Gray (Cohearant Audio) et pressés chez Optimal Media. Le tout présenté dans une pochette gatefold avec photos rares et notes de David Dutkowski, archiviste du groupe.
Et si tu oses imaginer avoir ça chez toi, alors commence à prier le Lizard King, l’édition était limitée à 3 000 exemplaires numérotés, évidemment épuisée depuis. Quelques jours plus tard le 29 novembre, est sorti le Live in Detroit capté le 8 mai 1970 à la Cobo Arena. 4 vinyles inédits d’un concert furieux et hors normes où Morrison balance « The End » en 17 minutes, et crache son feu sur « Light My Fire » pendant 19 longues minutes de transe. Un truc qu’on n’ose même plus rêver en festival. The Doors y défia le couvre-feu, ce qui accessoirement vaudra au groupe d’être bannis de la salle.

The Doors : Ceux que vous aimez haïr
Une bacchanale pour toute l’année
Ce printemps 2025, The Doors lâchent les chiens de l’enfer. En mars, un guide interactif a vu le jour sur Apple Maps pour retracer 20 lieux clés de leur histoire, des racines californiennes aux souvenirs européens. Ensuite, l’ouverture des Bright Midnight Archives au streaming : des lives rares, dont Live at the Matrix 1967, balancés pour la première fois en ligne.
Lors du Record Store Day, le 12 avril, débarque Strange Days 1967: A Work in Progress : des mixages bruts, sans overdubs, comme un coup de scalpel dans le studio. Enfin, le 13 mai, l’ultime offrande aux fans : le livre anthologique Night Divides the Day. 344 pages, des archives, des photos rares, des paroles manuscrites, un vinyle 7 pouces avec des démos de « Moonlight Drive » et « Hello, I Love You », une préface signée Krist Novoselic (Nirvana) et une postface par Gustavo Dudamel.
Rien que ça. Mais là aussi va falloir se lever tôt, l’édition étant limitée à 2 000 exemplaires, chacun signé à la main par les musiciens du groupe John Densmore (batterie) et Robby Krieger (guitare).
We want the world and we want it, NOW
Le premier album éponyme du groupe sort en janvier 1967, avec des titres cultes comme « Light My Fire », « Back Door Man » ou encore l’ensorcelant « The End », célèbre pour sa diatribe œdipienne. Ils enchaînent avec Strange Days (1967), porté par « People Are Strange » et « Love Me Two Times », puis Waiting for the Sun (1968), leur premier n°1 avec « Hello, I Love You », « Love Street » et « Five to One ».
En 1969, The Soft Parade prend un virage orchestral audacieux avec « Touch Me ». Puis retour aux racines blues avec Morrison Hotel (1970), où brillent « Roadhouse Blues » et « Peace Frog ». Enfin, L.A. Woman (1971), dernier album avec Jim, marque l’apogée du groupe avec l’envoûtant « Riders on the Storm », « Love Her Madly » et la puissante « L.A. Woman ». Rock, blues, psyché, jazz, funk, tout y passe. Mais toujours avec ce même goût de soufre, ce même orgasme de l’esprit. En six albums, The Doors ont embrasé à jamais le rock d’une extase indomptable.
La vie fait beaucoup plus mal que la mort
Mais pourquoi The Doors nous hantent-ils encore ? Parce que le monde a besoin de ses icônes, de se rappeler qu’il a existé un prédicateur qui montait sur scène comme on invoque les esprits païens, qui lisait Artaud, Apollinaire, Verlaine, et les vomissait en vers électriques sur les amplis, entouré de ses apôtres Ray Manzarek, Robby Krieger et John Densmore, assez fous pour le suivre.
Cet homme qui voulait détruire les murs entre les choses, faire tomber les frontières, baiser les conventions. Morrison était un prophète du chaos, un Dieu, un démiurge incandescent. Il n’était pas fait pour durer. Mais il était fait pour marquer. Et soixante ans plus tard, on les écoute encore comme un hurlement qui déchire le silence, et tant qu’on les écoute, ils vivent.
Alors mets le vinyle sur la platine, ferme les yeux et roule vers le désert brûlant. Et si tu veux continuer ton trip dans les stories rock, vas faire un tour ici.