The blues Brothers

THE BLUES BROTHERS : COMMENT CONFONDRE DROIT À LA DIFFÉRENCE ET FASCINATION POUR LES VOYOUS ?

par | 31 Mai 2025 | FILMS / DOCS / SERIES

⏱ Temps de lecture : 9 min

Réalisée par John Landis en 1979 et projetée sur les écrans en 1980, la comédie musicale The Blues Brothers est rapidement devenue un film culte. Mais son vrai sous-texte, qui mitraille tous les représentants d’une Amérique raciste, conservatrice et ségrégationniste a-t-il été bien compris ?

 

The blues Brothers

The blues Brothers

 

Avant toute chose, les Blues Brothers, les vrais, les originaux, ce sont Jake & Elwood Blues, interprétés par John Belushi & Dan Aykroyd. Ce sont eux les héros du film, épaulés par une salve de seconds rôles plus ou moins prestigieux (John Candy, Twiggy, Kathleen Freeman, Charles Napier, ainsi que Carrie Fisher qui, au faite de sa gloire de princesse (Leïa), joue un rôle quasi-muet digne d’une figurante !) et de quelques caméos de luxe (John Landis himself, Frank Oz et Steven Spielberg !).

D’un point de vue musical, pourtant, d’autres héros leur tiennent la dragée haute puisque le film déroule un casting musical (qui chante les chansons dans la diégèse du récit) composé de certaines des plus grandes figures du blues et de la soul, parmi lesquelles Aretha Franklin, James Brown, Ray Charles, Cab Calloway et John Lee Hooker !

 

Contexte et genèse de The Blues Brothers : tout commence à la télévision

Il faut se remettre dans le contexte et voyager dans le temps et dans l’espace pour retourner aux États-Unis dans la deuxième moitié des années 70. Là-bas, deux humoristes, Dan Aykroyd & John Bellushi, sont les stars de l’une des plus populaires émissions TV américaines : le Saturday Night Live. Leur show favori, qui consiste à interpréter deux frères fous de blues (en vérité de soul, on en reparle un peu plus bas) qui chantent et dansent en reprenant les standards du genre, est devenu un passage obligé, totalement culte pour les fans de l’émission.

Alors qu’ils étaient déguisés au départ en tout et n’importe quoi (une première apparition en costume d’abeille !), ils peaufinent rapidement un look définitif nettement plus classe, efficace et iconique (costume, chapeau et lunettes noires, chemises et chaussettes blanches), immédiatement identifiable sous la forme d’un logo en noir et blanc.

The blues Brothers

The blues Brothers

 

S’ils sont dans un premier temps réduits à animer les premières parties d’autres grandes pointures du Saturday Night Live comme Steve Martin, les deux compères, de plus en plus populaires, commencent doucement à intégrer les plateaux de cinéma, notamment John Bellushi qui marque les esprits dans l’un des premiers films de John Landis : American College.

L’idée d’un long métrage mettant en scène les Blues Brothers devient rapidement une évidence et le studio Universal avance la coquette somme de douze millions de dollars sans qu’une ligne de scénario n’ait été imaginée ! C’est à Dan Aykroyd de s’y coller alors qu’il est totalement novice en la matière et le jeune homme livre d’ailleurs un script de 324 pages en vers libres que John Landis doit mettre deux semaines à réécrire et à mettre en forme !

 

Les Blues Brothers dans leur show parfaitement rodé du Saturday Night Live.

The Blues Brothers : Frères de la Soul

Comme évoqué plus haut, le fameux penchant de Jake & Elwood pour le blues est en vérité clairement porté sur la soul. Et la bande-son du film, ainsi que son casting musical, joue principalement dans cette seconde catégorie.

 

The blues Brothers

The blues Brothers

 

Tout ça c’est parce que, en fait, l’orchestre des Blues Brothers, c’est-à-dire celui du Saturday Night Live, contient les restes du légendaire groupe Booker T. & the MG’s, à savoir le mythique orchestre du studio Stax, celui-là même que l’on retrouvait derrière Otis Redding dans les années 60 !
Les concerts du Saturday Night Live, avec ou sans les Blues Brothers du coup, sont donc l’œuvre de musiciens rodés au groove : Steve Cropper (guitare), Donald Dunn (basse), Steve Jordan (batterie) forment l’armature rythmique ; Birch Johnson (trombone), Tom Malone & Alan Rubin (trompette), Lou Marini & Tom Scott (Saxo) constituent la fantastique section cuivre, tandis que le groupe est complété de Paul Shaffer au piano et de l’excellent Matt Murphy à la guitare solo.

Dans le film comme dans sa bande-son, on retrouve quasiment le même orchestre, exception faite de deux ou trois membres supplantés à l’écran par des musiciens probablement choisis parce que ce sont de meilleurs acteurs (Murphy Dunne à la place de Paul Shaffer, ou encore Willie Hall – le batteur des Bar-Kays d’Isaac Hayes – à la place de Steve Jordan).

Ainsi, toujours dans le film, mis à part John Lee Hooker qui joue son “Boom-Boom” dans la rue le temps d’une courte séquence de transition (et Cab Calloway qui, de son côté, apparait comme un illustre représentant du jazz old-school), ce sont bien les stars de la soul qui chantent tout au long du film, avec notamment deux extraordinaires séquences respectivement interprétées par Aretha Franklin (qui nous offre une version de “Think” survoltée) et Ray Charles (qui reprend “Shake a Tail Feather), ce dernier s’en donnant à cœur-joie sur la basse absolument démente de Donald “Duck” Dunn !

 

La vache ! cette ligne de basse !!!

Un script doit sortir de tout ce succès…

Mais revenons sur le script définitif : Il met donc en scène les frères Jake & Elwood Blues dans la ville de Chicago. Ils ont été élevés à l’orphelinat par la sœur Marie Stigmata (Kathleen Freeman, une spécialiste des comédies américaines 50’s, notamment des films de Jerry Lewis) qu’ils surnomment “la Pingouine” eu-égard à son costume de nonne, et par Curtis (Cab Calloway), le vieux concierge des lieux qui leur a manifestement légué son amour pour la musique afro-américaine et son look si particulier datant des années 30…

Lorsque le film débute, Elwood vient récupérer Jake à sa sortie de prison dans une voiture de police rachetée à la casse. Ils apprennent que l’orphelinat où ils ont été élevés va être rasé car personne n’est en mesure de payer les arriérés de taxe foncière. Les deux frères partent donc en mission pour le seigneur avec l’idée de remonter leur groupe afin d’organiser une série de concerts et de réunir “honnêtement” la somme nécessaire à la survie de leur orphelinat.

Débute alors une quête semée d’embuches qui finira en un road-movie effréné, les deux frangins s’étant mis à dos, tout au long de leur périple, la police de l’Illinois, une ancienne amoureuse éperdue, un orchestre de country et les membres du parti nazi américain !

 

La révélation par la lumière divine, featuring Jaaaames Brown !

Mais de quoi parle en réalité The Blues Brothers ?

Pour comprendre le sous-texte du film, il faut justement chercher du côté de l’orchestre des Blues Brothers et, par extension, fouiller dans ses origines et remonter à celui de Booker T. & the MG’s (tout le monde connait leur tube “Green Onions”, non ?). Initialement composé de Booker T. Jones (piano), Al Jackson Jr (percussions), Steve Cropper (guitare) et Donald Dunn (basse), soit deux noirs et deux blancs, le groupe phare du studio Stax incarnait pleinement la volonté des afro-américains de s’émanciper du marasme de la ségrégation dans les années 60 et de conquérir la planète sous le même ciel que les artistes blancs.

Avec cette information en tête, on peut ainsi clairement lire le sous-texte du film, où les Blues Brothers, dans leur quête divine pour reformer leur orchestre interracial, vont rapidement se mettre à dos tous les représentants d’une Amérique raciste, conservatrice et ségrégationniste, à savoir les représentants de l’ordre (la police de l’Illinois),

les adeptes du mariage bien sous tout-rapport  (on devine l’ex amoureuse revancharde incarnée par Carrie Fisher fille d’une grande famille mafieuse), les rednecks fans de country music (le groupe des Good Old Boys et les tenanciers du bar le Bob’s Country Bunker), et bien évidemment le parti nazi américain dont ils vont humilier les représentants au dernier degré lors d’une des plus grandes poursuites automobiles de toute l’histoire du cinéma (en tout cas à l’époque) !

 

The blues Brothers

The blues Brothers


The Blues Brothers : une ode aux voyous ? Sérieusement ?

Pour le reste, le film de John Landis est léger comme une bulle de savon, met la patate au spectateur deux heures-durant et s’articule clairement selon les codes d’un cartoon, lorgnant du côté de Tex Avery lors de ses séquences d’action, avec ces personnages qui ressortent des diverses explosions en s’époussetant. On écarte dès lors la lecture premier-degré qui pourrait faire passer l’ensemble pour une ode aux voyous. Enfin c’est quand même ballot de ne voir que la surface des choses en passant à côté de l’essentiel, un peu comme tous ceux qui ont vu derrière The Big Lebowsky une ode aux losers ou derrière Forest Gump une ode aux imbéciles.

C’est dommage car à chaque fois le propos n’est vraiment pas là et le barnum de surface n’est juste qu’un gimmick, une farce derrière laquelle se tisse le véritable discours. Ainsi, tandis que les frères Coen dynamitaient les codes du polar pour égratigner les travers de la société des angelins avec The Big Lebowsky, Forrest Gump démontrait qu’il fallait vraiment être un imbécile pour ne pas voir trente années d’une civilisation en train de se ratatiner, tout en continuant de faire comme si de rien n’était…

Les Blues Brothers ont donc l’air de parfaits voyous, mal élevés et mal torchés. Ils sont habillés comme des truands de la pègre des années 30, ne respectent pas le code de la route ni les règles de bienséance (voir la scène hilarante du restaurant), mais ils sont les héros du petit peuple, de la veuve et de(s) l’orphelin(s). Ils sont les chantres du droit à la différence et ne transmettent aucun autre message que celui de contester tout ce qui s’élève contre ce droit ! Idem pour la toile de fond catholique, utilisée de manière totalement inoffensive et humoristique, sans le moindre prêchi-prêcha.

 

Rencontre choc avec les bouseux de l’Amérique profonde : Notez le clin d’œil aux esclavagistes avec le coup du fouet !

Trois albums. Pis c’est tout.

Au moment de la sortie du film, les Blues Brothers – le groupe – avait déjà enregistré un album tiré de ses prestations au Saturday Night Live : Briefcase Full Of Blues (en réalité un concert capté en première partie d’un show de Steve Martin). La BO du film sera donc leur deuxième opus et deviendra un immense succès. Viendra ensuite un troisième album, Made In America, avant que John Belushi ne décède d’une overdose en 1982…

Le Bues Brothers Band continuera de tourner sans John Belushi & Dan Aykroyd, un temps remplacés par James Belushi (frère de John et également acteur célèbre (remember Double Détente avec Schwarzy) et Eddie Floyd, puis avec des invités interchangeables. Votre serviteur les a vus en concert dans les années 90, avec Eddie Floyd. C’était génial. Côté cinéma, une suite intitulée Blues Brothers 2000 sortira en 1998, avec John Goodman à la place de John Belushi. Pas vraiment une réussite.

 

The blues Brothers

The blues Brothers

 

Une panoplie, un bolide : la formule des (super) héros

Pour le reste, les Blues Brothers sont également cultes parce qu’ils paient leur tribut aux geeks : panoplie, héroïsme, origines secrètes, véhicule iconique (la blues-mobile, une voiture de police obsolète et non-homologuée !), anticonformisme… Bref, tout ce qu’il faut pour en faire des super-héros comme on les aime.

Bien que ce ne soit pas officiel, on peut par exemple déduire que le comic-book Marvel Men In Black, et la série de films et de dessins animés qui ont suivi, doivent beaucoup au look des Blues Brothers. Un peu comme si leur allure était entrée depuis dans l’inconscient collectif (voir également le Meninblack des Stranglers, datant de bien avant les comics de Lowell Cunningham, et parfaitement contemporain du film de John Landis !).

 

 

Sweet home, Chicago…

Un dernier mot sur l’articulation du film avec la ville de Chicago, ville d’Al Capone autant que du blues, du jazz et de la soul dans leur genèse respective. Le clin d’œil à la “grande époque” de la prohibition se joue évidemment dans le look des Blues Brothers, qui arborent les mêmes costumes que le Scarface originel.

Il s’agit bien sûr d’une caricature, de même que l’anthologique poursuite de voitures est une parodie éclatante de celle du film French Connection, réalisé par William Friedkin huit ans plus tôt. Comme nous l’avons relevé plus haut, il n’est pas question de voir ici une glorification des gangsters et autres délinquants mais bel et bien un gimmick humoristique et une farce pure et simple.

Mais Chicago, troisième plus grande ville des États-Unis, est également l’un des berceaux de la musique américaine. Dès le début du 20ème siècle, la Grande Migration d’ouvriers pauvres afro-américains y a apporté les racines du blues et du jazz (on y trouve déjà Cab Calloway). Entre les années 60 et les années 70, Chicago est enfin l’un des principaux bastions de la soul music, à égalité avec Memphis (siège des studios Stax et HI Records) et de Détroit (citadelle de la Motown), sauf qu’il n’alignait pas moins de neuf labels ! C’est là qu’ont émergé Curtis Mayfield, Donny Hathaway ou encore Etta James et Mavis Staple.

Ainsi s’achève notre article. Il y aurait sans doute bien d’autres choses à dire sur le film et notamment sur ses acteurs principaux, sur les projets avortés de John Belushi qui rêvait de marcher sur les traces de son idole Marlon Brando ou sur la belle carrière de Dan Aykroyd. On aurait également pu développer la place du rock’n roll qui n’est pas oubliée, notamment lors de l’épilogue en prison où les Blues Brothers jouent un remake du Jailhouse Rock d’Elvis. Nous n’avons fait qu’effleurer le sujet. Pour le moment…