« David Bowie m’a sauvé la vie » écrit en postface Reinhard Kleist, l’auteur de cette monumentale bio-dessinée de l’homme qui venait d’ailleurs : David Bowie. Déjà aux manettes de remarquables biographies consacrées à Nick Cave et Johnny Cash, il clôt ainsi une trilogie d’albums dédiés à un triumvirat du rock : le portrait d’artistes qui ont fait de leur musique une religion et de nous, leurs apôtres.

© Casterman – Starman : quand Ziggy éclipsa Bowie
L’histoire, on la connaît : en 1971, Bowie invente le personnage de Ziggy Stardust, créature hybride de Syd Barrett, Iggy Pop et Vince Taylor, et voit sa carrière -enfin- exploser. Il transforme les scènes anglaises en théâtre convoquant le mime, le Kabuki et le glam rock. Au menu : ambivalence sexuelle qui permettra à des générations entières d’assumer leurs différences, look qui préfigurera ni plus ni moins l’esthétique Punk qui surviendra cinq ans plus tard (Sid Vicious, ne s’en remettra jamais), pochette mythique, 12 chansons et autant de classiques, et comme au cinéma, une suite américaine, Aladin Insane, et un film de Pennebaker qui gravera les adieux déchirants d’un public traumatisé par le suicide de cet extraterrestre venu sauver le rock’n’roll.
Bowie marche alors sur l’eau et vit une adolescence prolongée : sexe (beaucoup) drogues (encore plus) et perte de la réalité. Tout devient facile pour lui. En apparence. Cette célébrité qu’il convoitait tant, épaulé par Angela Bowie (plutôt sympathique dans cet album) et le Tony « Truand » Defries (son impresario qui signait des chèques en blanc qui manqua de ruiner la carrière de Bowie après l’avoir propulsée), est devenue un cercueil de verre, où tant d’autres se coucheront sans jamais se relever, notamment son frère ennemi Marc Bolan.
Bowie se rend compte très vite de son darwinisme : il doit évoluer ou mourir. Sa musique ne l’intéresse plus, il ne s’alimente quasiment plus, la coke, les insomnies de plusieurs jours le rendent paranoïaque : il tente de tuer Ziggy pour mieux renaître en Halloween Jack puis en Thomas Jerome Newton, encore un extraterrestre aux cheveux roux, une version dépressive de Ziggy Stardust qu’il importera sur les pochettes de deux albums majeurs « Station to Station » et « Low ».

© Casterman – Starman : quand Ziggy éclipsa Bowie
Voilà ce que raconte Reinhard Kleist dans sa BD à la documentation maniaque : The Fall & The Rise de David Bowie, la renaissance d’un artiste qui transforme sa descente aux enfers de la superficialité pour devenir ce monument désormais indéboulonnable du Art Rock. Avec Iggy Pop dans ses valises (ici décrit comme un clown), il part alors dans une Allemagne en ruines pour synchroniser sa faillite mentale avec un pays emmuré dans la honte de sa liberté perdue.
Bowie devient un résistant underground à ses propres pulsions, il redécouvre son humanité en fréquentant assidument et avec une joie égale, les artisans et les cabarets tout en se passionnant pour le Krautrock. C’est toute cette période, souvent moins visitée que le mythe de Ziggy, que Kleist revisite de son trait nerveux et oblique. Bowie y est restitué dans toute son ambition, sa complexité ses doutes et son intelligence.
Il laisse s’exprimer largement des seconds cruciaux comme son assistante Coco Schwarb qui le protégera souvent contre lui-même et à qui il léguera une partie de sa fortune après lui avoir dédié le poignant « Be My Wife ». Le lecteur découvre aussi les coulisses d’une love story méconnue avec la danseuse Romy Haag et se régale des anecdotes – nombreuses – des enregistrement de « Low » et « Heroes » : conception de la pochette, la session de Robert Fripp ou les détails amusants de sa cohabitation avec Iggy.
Un époustouflant rockumentaire qui évite l’écueil du biopic hollywoodien avec une obsession du détail, de la vérité et de la richesse de la personnalité de Bowie. Quand ses collègues construisaient une carrière, Bowie lui parachevait une trajectoire, avec des poussières d’étoiles pour le suivre. Dans une ultime séquence avec un hommage appliqué à 2001, Odyssée de l’Espace qui sera son alpha et son omega (la carrière de Bowie commence avec « Space Oddity » pour s’achever avec « Blackstar », le Starman voyage à travers le temps et l’espace pour délivrer cette sentence définitive : « Le rock’n’roll transforme la survie en musique« . À lire avec les trois yeux grands ouverts.

© Casterman – Starman : quand Ziggy éclipsa Bowie
Starman : quand Ziggy éclipsa Bowie
- Une bd de Reinhard Kleist
- Casterman
- 340 pages
- 28 €
- Instagram : https://www.instagram.com/reinhardkleist/





