Lorde – Virgin

par | 23 Juil 2025 | CHRONIQUES

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Dans un monde où la pop privilégie souvent le vernis au vécu, Lorde choisit la radicalité de la transparence. Avec Virgin, elle bouscule les codes et redéfinit ce que signifie être une rockstar en 2025

Être une rock star en 2025, c’est peut-être déjà, quand on est une femme, sortir un disque seule, sous son nom. Énoncer : je suis là.

Cette image bleutée et glacée n’est pas une simple évocation sexuelle, mais une transparence radicale. Une radiographie du bassin, avec fermeture éclair, boucles de ceinture et stérilet visibles. Autant pour choquer que pour ne rien cacher, ni désir, ni angoisse. Tout est là, le dehors, le dedans, comme une confession anatomique, presque documentaireVirgin, c’est se mettre à poil, littéralement.

Lorde Virgin album transparent cd

Lorde, elle, continue sa mue perpétuelle et nous propose l’aboutissement d’un chemin entamé avec Solar Power (2021) : une quête de soi-même en pleine lumière. Elle fouille, elle dépouille, elle exhibe, au risque de frôler l’indigestion à force de tomber perpétuellement de révélation en révélation. Comme une fuite en avant, Lorde court vers une réinvention continue.

On sent parfois que ça l’épuise, mais l’élan est sincère. Virgin est un autoportrait à vif, composé après le fracas : ruptures, thérapies assistées, troubles alimentaires, dégoût du corps puis lente reconquête. Ce n’est pas un album qui veut plaire, c’est un album qui veut survivre.

 

 

Chez nos confrères de Rolling Stone, elle confiait avoir retrouvé « foi en l’humanité » en regardant la sextape de Pamela Anderson et Tommy Lee — non pas pour le voyeurisme, mais pour la vérité crue du geste. C’est ce qu’elle appelle « rock » : remettre en question, briser les silences et les pudeurs, pour faire avancer les mentalités, comme la radiographie révèle le vrai.

Cette idée de vérité brute et sans concession traverse tout l’album. Dès l’ouverture, Hammer, Lorde murmure qu’elle pourrait renaître, et tout le disque semble vouloir prendre cette promesse au pied de la lettre. Elle chante comme on délie les sutures d’une plaie, parfois lentement, parfois brutalement. Les morceaux oscillent entre ballades électroniques abrasives, a cappella dévêtus, piano nu et grondements de basses qui semblent naître sous la peau.

What Was That, Broken Glass, Favourite Daughter, autant de chapitres où les souvenirs d’une mère exigeante, d’un corps trop encombrant ou d’amours mal digérés, reviennent sous forme d’aveux tranchants. Lorde ne cherche plus à décorer ses douleurs : elle les expose, comme la boîte noire d’un crash qu’on aurait décidé d’écouter jusqu’au bout.

 

 

Sur Man of the Year, elle s’émancipe frontalement puis dans Clearblue, a cappella glaçant, elle revit l’angoisse d’un test de grossesse dans un silence cru, presque sacré, avant d’exploser sur Broken Glass.
La production est à l’os, pensée par Jim-E Stack (compagnon d’armes de Bon Iver ou Charli XCX). La pop ici est une charpente et Lorde y marche pieds nus. Comme Bowie avant elle, qui utilisait le son comme une extension de son identité en perpétuelle évolution, Lorde façonne ses textures musicales pour porter sa transformation intérieure. Sur Virgin, les expérimentations sonores ne sont pas là pour surprendre gratuitement, mais pour creuser, dénuder et mettre en lumière ses contradictions et ses fragilités.

Son art ne cherche pas à impressionner, mais à creuser des espaces où les contradictions humaines peuvent s’exprimer pleinement. Dans un univers musical saturé de productions lisse et standardisée, Lorde impose une présence fragile et troublante, à la fois moderne et profondément personnelle, qui redéfinit ce que peut être la pop d’aujourd’hui.

 

 

Mais, quand l’art devient miroir, encore faut-il savoir ce qu’on y reflète. Dans une récente prise de parole, Christine and the Queens l’a dit avec douleur : ce ruban noir noué sur la peau, c’était le sien. Et voilà que Lorde s’en empare, sans un mot, sans clin d’œil, comme si les symboles naissaient dans le vide. Ce silence-là, plus que le geste, dérange car l’élégance, ce n’est pas que le style. C’est aussi la mémoire, c’est reconnaître les voix qui ont parlé avant soi. C’est peut-être là aussi la force trouble de la pop : reprendre, détourner, faire vibrer autrement. Elle vit dans l’entre-deux, entre hommage et oubli, instinct et réinvention.

 

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Lorde au festival Glastonbury 2025. Photo Aaron Parsons

 

Être une rock star en 2025, ce n’est plus sniffer une ligne sur une table en verre dans un hôtel de luxe qu’on aura retourné dans la minute. C’est oser ne pas être d’accord avec ce qu’on attend de vous, quitte à déplaire à son propre public. Lorde choisit la radicalité d’une transparence nue. Elle brise le masque et refuse les rôles imposés, préférant se dévoiler dans sa complexité, dans ses fragilités.

Dans un monde qui vend des rêves aseptisés, dégoulinant de faux-semblants et de publicités fallacieuses, Lorde préfère l’âpreté, la vérité crue et cette posture exige du courage. Le courage d’être une Rock star en 2025 c’est choisir l’intensité au lieu du flux. Énoncer : je ne suis pas un produit.

Virgin est sorti chez Universal Music le 27 Juin 2025

 

LORDE – Virgin – Tracklist :

01 – HAMMER
02 – WHAT WAS THAT
03 – SHAPESHIFTER
04 – MAN OF THE YEAR
05 – FAVORITE DAUGHTER
06 – CURRENT AFFAIRS
07 – CLEARBLUE
08 – GRWM
09 – BROKEN GLASS
10 – IF SHE COULD SEE ME NOW
11 – DAVID

Style : Nude Pop

Site Web : https://www.lorde.co.nz/      //      Instagram : https://www.instagram.com/lorde/