Bearings – Comfort Company

par | 16 Déc 2025 | Chroniques

Temps de lecture : 5 min

Pour leur quatrième album, Bearings confirme sa place avec Comfort Company, un disque qui allie guitares lumineuses, rythmes accrocheurs et refrains instantanément mémorables. Le quatuor d’Ottawa y distille une énergie sincère, qui fait remonter des souvenirs et donne envie de secouer la tête, casque sur les oreilles, comme si l’on retrouvait le gout d’un mois de juillet de début de millénaire.

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Parfois, ça prend juste une seconde. Comfort Company démarre, et d’un coup ça rouvre des placards où dorment des sentiments qu’on avait laissés là. Comme une vidéo, un .mpeg retrouvé par accident, celui de nos étés d’adolescence, surexposés, imparfaits et pourtant précieux. C’est retrouver des parfums, des textures, des morceaux entiers d’insouciance rangés quelque part sous la peau.

Dès les premières mesures, c’est l’odeur de la gomme chaude des roues de skate qui nous revient, celle qui se mêlait à l’asphalte tiède des étés trop courts. Ça sent le goudron qui colle aux semelles, les genoux éraflés qu’on ne pensait jamais à désinfecter — surtout pas, ça fait plus rock. Il y a dans l’air la liberté doucereuse des débuts d’après-midi passés à tenter le même trick, encore et encore, parce qu’on avait le temps et qu’on n’avait peur de rien, surtout pas d’une jolie entorse, ça fait rock on t’a déjà dit.

Et puis il y a ce rituel immuable : rentrer à 19 h 30 parce qu’il fallait dîner, puis s’enfermer dans sa chambre pour jouer à Tony Hawk jusqu’à ce que les yeux brûlent, en rêvant que demain serait exactement pareil. Cette insouciance totale, cette façon de croire qu’on serait jeunes pour toujours. Bearings convoque tout ça sans jamais forcer, comme si leurs mélodies avaient gardé les clés d’une époque qu’on n’arrive pas complètement à quitter.

Bearings 2025 Option 1 Credit Wyatt Clough scaled

Photo Wyatt Clough

Comfort Company, c’est une drôle de machine à remonter le temps. Pas celle qui nous renvoie vers un âge précis, mais celle qui nous ramène vers un état qu’on a enfoui, comme un parfum un peu passé, voir suranné, mais toujours présent. Il flotte dans l’air dès qu’une guitare sonne trop fort ou qu’un refrain s’ouvre comme une fenêtre sur l’été. Bearings réussit à faire de ce flou-là — ce mélange d’élan, de mélancolie, de soleil bas sur les rampes du skatepark — quelque chose de tangible, presque palpable.

Et ce n’est pas un hasard. Selon les dires du groupes, Comfort Company ressemble à un retour à la maison. Doug Cousins raconte que certains morceaux sont nés dans un chalet, d’autres dans un sous-sol, tous partagent ce point de départ honnête avant d’atterrir dans le même studio de l’East End de Toronto où le groupe avait enregistré son premier album.

Le quotidien, durant l’écriture, avait quelque chose de presque banal et précieux à la fois : bosser sur la musique toute la journée, marcher jusqu’au dépanneur pour acheter quelques bières, revenir dans ce studio sans fenêtres et, le soir, s’endormir sur un matelas gonflable. En avançant, ils ont compris qu’ils voulaient un disque qui leur ressemble vraiment, quelque chose de naturel, d’instinctif, qu’ils pourraient jouer en toute sincérité sur scène.

Et puis il y a “Freaking Me Out”, le tube évident, celui qui aurait pu tourner en rotation lourde sur Europe 2 ou Le Mouv’ au temps où ces radios dictaient la couleur de nos journées. On imagine parfaitement le morceau coincé entre un Fat Lip de Sum 41 et un Losing My Grip d’Avril Lavigne, balancé à 17 h au moment où on descendait du bus, casque sur les oreilles, avec le volume tellement fort que le monde autour devenait un décor flou.

Ce morceau réveille aussi toute une époque où la musique se vivait différemment. Le poids d’un baladeur CD dans la poche arrière du baggy qui saute un pas sur deux. Le goût des disques rayés, puis les premiers lecteurs MP3 en forme de clé USB, qu’on se prêtait en douce pendant les interclasses, avec trois albums mal rippés dessus qui nous faisaient la semaine. Les radios étaient alors des boussoles, les morceaux s’attrapaient au vol, et chaque découverte avait la saveur d’un trésor.

On dit souvent que chaque génération a sa madeleine de Proust. Pour nous, elle n’a pas le goût d’un gâteau trempé dans le thé. Elle a le toucher de la wax, du grip râpé, des trottoirs qu’on prend un peu trop vite. Elle fait un bruit de trucks qui grindent et de roues qui se replaquent. Et si on devait lui donner un son, une forme, un groupe, alors oui : Bearings en serait peut-être le plus fidèle témoin. Avec Comfort Company, ils ne nous rappellent pas seulement qui nous étions. Ils nous rappellent comment ça faisait, exactement, de se sentir immortel — l’espace d’un été, ou au moins d’un album.

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Photo Wyatt Clough

 

Comfort Company est sorti le 7 Novembre 2025 chez Pure Noise Records

Genre : Skate-rock / punk mélodique

 

 

Bearings – Comfort Company Tracklist :

1 – Comfort Company
2 – Float Away
3 – Quick Release
4 – Feel Less
5 – Freaking Me Out
6 – Water Your Flowers
7 – Never Ending Cycle
8 – Ease The Pressure
9 – Through Those Eyes
10 – Let Me Hate Myself

Site officiel : bearingsband.com
Instagram : bearingsband
Bandcamp : bearingsband