DEFTONES, ce n’est pas juste du nu metal pour skateurs en rut. C’est une fusion des genres, une tension permanente entre rage contenue et mélancolie, un mur de riffs saturés nappé de voix fantomatiques. Leur son, c’est du shoegaze qui cogne, du rock alternatif noyé dans la distorsion, une catharsis immersive entre sensualité toxique et violence poétique. Nés dans la poussière californienne, ils ont bâti un univers hypnotique où se croisent dream pop, metal expérimental et poésie urbaine. Chaque morceau est une expérimentation – brute, élégante, parfois mystique – où les textures sonores sculptent la douleur comme un art. Alors, prêts pour 5 anecdotes inédites ?
Table des matières
- Anecdote 1 – Le nom “Deftones”
- Anecdote 2 – La rampe de skate en studio
- Anecdote 3 – Les tensions derrière *White Pony*
- Anecdote 4 – L’album fantôme *Eros*
- Anecdote 5 – Maynard James Keenan sur “Passenger”
Anecdote 1 – Le nom “Deftones” : une fusion entre hip-hop old-school et doo-wop des fifties
L’histoire :
Au tout début des années 90, un certain Stephen Carpenter, skateur flegmatique devenu guitariste autodidacte après un accident de planche, commence à jammer avec ses potes Abe (batterie) et Chino (chant). Il leur faut un nom. Carpenter, féru de hip-hop, adore le mot « def », une expression d’argot qui signifie « stylé » ou « mortel », très populaire dans les années 80 grâce à des groupes comme Run-D.M.C. ou LL Cool J. Mais il veut aussi un nom qui sonne classique. Alors il pioche du côté des noms de groupes vocaux des années 50, les « Monotones », « Harptones », « Cleftones ». Il mixe les deux : « def » + « -tones » = Deftones.
C’est un peu comme si Slayer s’était appelé “Fresh Platters” ou “Funktones” : inattendu, mais révélateur de l’ouverture d’esprit musicale du groupe, qui n’a jamais cherché à s’enfermer dans un genre ou une esthétique. Dès le départ, Deftones revendiquait son hétérogénéité.
Le résultat ? Un nom de groupe qui évoque à la fois la finesse (deft = habile) et le son (tones), mais qui ne donne aucune indication sur la puissance sonore que DEFTONES va délivrer dès ses débuts.
Pourquoi c’est étonnant :
Parce que DEFTONES est devenu une icône du metal alternatif, avec des morceaux lourds, sombres, souvent planants… et que son nom vient d’un savant mélange entre le jargon du rap des années 80 et le style vocal des groupes de doo-wop des années 50. En gros : pas exactement ce qu’on s’attendrait à trouver tatoué sur le blouson clouté d’un guitariste de Sacramento.

DEFTONES
Anecdote 2 – La rampe de skate dans le studio pendant l’enregistrement de « White Pony »
L’histoire :
Nous sommes en 1999, à l’aube du nouveau millénaire. Les Deftones ont déjà deux albums dans les pattes (Adrenaline et Around the Fur), mais ils veulent maintenant marquer un tournant. Leur label Maverick leur alloue un budget conséquent, et ils décident d’investir dans un local à Sacramento, qu’ils vont aménager à leur sauce pour enregistrer ce qui deviendra White Pony.
Le studio, rapidement surnommé « The Spot », est tout sauf un sanctuaire hi-fi aseptisé. C’est un mélange entre une cabane d’ado, un squat d’artistes et un skatepark indoor. Chino Moreno est un skateur invétéré, tout comme Abe et Stephen. Pour eux, le skate n’est pas juste un hobby : c’est une philosophie de vie. Ils décident donc de construire une mini-rampe de 3 mètres de haut en plein milieu du studio, juste à côté des cabines de prises de son.
Résultat : entre deux sessions de chant ou d’enregistrement de guitare, les membres du groupe enchaînent les tricks, suent dans leur t-shirt et retournent ensuite enregistrer des morceaux aussi denses que « Digital Bath » ou « Change (In the House of Flies) ». Ce mode de fonctionnement étonne les ingénieurs du son, mais contribue à détendre l’atmosphère et à faire émerger une créativité sans pression.
Ce n’est pas seulement un détail drole. C’est un élément de contexte crucial dans la production d’un album aussi culte. L’énergie juvénile du skate se retrouve dans les textures de White Pony : parfois agressives, parfois aériennes, souvent imprévisibles. Le fait d’alterner effort physique et composition musicale a nourri l’album d’une tension permanente entre contrôle et relâchement. Et puis, franchement, combien de groupes de metal installent une rampe de skate à côté d’une table de mixage SSL ?
Pourquoi c’est étonnant :
Parce qu’on parle ici de l’enregistrement d’un album majeur, qui allait devenir un pilier du metal alternatif, avec des couches sonores hyper travaillées, des arrangements millimétrés… Et pendant ce temps, le chanteur et ses potes font des ollies en plein studio. La rampe de skate, construite dans leur QG d’enregistrement, témoigne d’un esprit résolument adolescent, bordélique et anti-routine… à contre-courant de l’image froide et cérébrale que beaucoup attribuent au groupe.
Anecdote 3 – « White Pony » : un chef-d’œuvre né de conflits internes
L’histoire :
Fin des années 90. Le nu-metal explose, mais Deftones ne veulent pas être assimilés à cette scène. Chino Moreno commence à explorer des horizons plus électroniques, rêve d’un son à la Massive Attack ou Team Sleep, tandis que Stephen Carpenter veut rester dans un registre plus lourd, plus metal, plus… direct.
Ces visions s’opposent frontalement pendant l’écriture de White Pony. Chino pousse pour intégrer des claviers, ralentir les tempos, créer des ambiances flottantes. Carpenter, lui, envoie des riffs de bulldozer et trouve les idées de Moreno trop molles. Ils se disputent. Fort. Parfois, ils ne se parlent même plus en studio.
Mais au lieu de saborder l’album, cette tension devient la colonne vertébrale de l’œuvre. Chaque morceau reflète cet équilibre instable entre deux forces opposées : la beauté vaporeuse de « Teenager » ou « Digital Bath » contre la rage tellurique de « Elite » ou « Korea ».
Le producteur Terry Date joue le rôle d’arbitre. Il capte la friction, l’utilise comme carburant, et parvient à maintenir un cap. Ce chaos contrôlé donne naissance à un disque à la fois cohérent et multiple, brutal et contemplatif.
L’opposition entre les deux cerveaux du groupe aurait pu faire exploser Deftones. À la place, elle a cristallisé leur ADN artistique. Rarement une ambiance aussi toxique a généré une œuvre aussi riche. Et ce n’est pas tous les jours qu’un album né de disputes décroche un Grammy Award (« Elite », Meilleure performance metal, 2001).
Pourquoi c’est étonnant :
Parce qu’on imagine souvent que les meilleurs albums naissent d’une synergie parfaite entre les membres d’un groupe. Or, White Pony, considéré par beaucoup comme le sommet artistique de Deftones, est en réalité né d’une période de tensions extrêmes entre Chino Moreno et Stephen Carpenter. Leur opposition créative aurait pu exploser DEFTONES. À la place, elle a créé un diamant.

DEFTONES
Anecdote 4 – L’album fantôme : « Eros », suspendu à l’accident de Chi Cheng
L’histoire :
En 2008, les Deftones sont de retour en studio pour donner un successeur à Saturday Night Wrist. Le climat est meilleur qu’à l’époque de White Pony.DEFTONES enregistre avec enthousiasme un album expérimental, sombre, étrange, qu’ils baptisent Eros. L’enregistrement est quasiment terminé. Les premiers extraits sont prometteurs, dans une veine plus abstraite, moins directe. Et puis, tout s’effondre.
Le 4 novembre 2008, Chi Cheng est victime d’un grave accident de voiture. Il est éjecté du véhicule, subit un traumatisme crânien sévère, et sombre dans un coma partiel. DEFTONES est dévasté. Ils suspendent l’enregistrement, puis décident de ne pas sortir l’album, considérant qu’il serait indécent de le publier sans Chi.
À la place, ils enregistrent un nouvel album, Diamond Eyes, avec Sergio Vega à la basse, dans une démarche plus optimiste. Eros devient un symbole : celui d’une douleur irrésolue, d’un chapitre inachevé. Il n’a toujours pas été officiellement publié à ce jour, même si quelques extraits ont fuité.
Il existe très peu d’exemples dans l’histoire du rock où un album entier est volontairement mis de côté pour des raisons humaines, éthiques et émotionnelles. Eros est devenu un mythe. Un disque fantôme, chargé d’émotion, qui plane comme un spectre sur la discographie du groupe. Et rappelle que parfois, le silence vaut plus que la sortie d’un disque.
Pourquoi c’est étonnant :
Parce que Deftones ont enregistré un album entier en 2008, qui n’a jamais vu le jour. Un disque fini, prêt à sortir. Mais un événement tragique – l’accident de Chi Cheng, bassiste fondateur – l’a plongé dans les limbes. Aujourd’hui encore, Eros demeure un mystère total. Peu de groupes ont volontairement mis au placard une œuvre complète, par respect et douleur.
Anecdote 5 – Maynard James Keenan sur “Passenger” : une collaboration née d’une bouteille de vin
L’histoire :
Durant l’enregistrement de White Pony, Chino Moreno invite son ami Maynard au studio. Les deux se connaissent bien. Ils ont tourné ensemble, partagé des scènes, échangé des bouteilles. Ce soir-là, Maynard débarque avec quelques caisses de rouge, goûte les morceaux en cours, et s’intéresse à une ébauche appelée « Passenger ». Il improvise quelques lignes de chant. Chino l’encourage à en faire plus. Maynard revient le lendemain. Puis le surlendemain. Et au fil des jours, « Passenger » devient un véritable duo, un dialogue dramatique entre deux voix à la tessiture opposée, l’une veloutée, l’autre déchirée.
Le morceau est un chef-d’œuvre : cinématographique, tendu, presque théâtral. Il illustre à merveille le potentiel de White Pony, capable de marier atmosphère planante et rage contenue. Et surtout, c’est le fruit d’un hasard pur, pas d’une collab arrangée en studio à Los Angeles par un agent A&R.
Peu de morceaux cultes sont nés d’une telle spontanéité. Aucun contrat, aucun plan promo. Juste deux voix, deux sensibilités, et une bouteille. « Passenger » reste aujourd’hui l’un des titres les plus appréciés des fans… et sans doute l’un des plus accidentellement parfaits.
Pourquoi c’est étonnant :
Parce que ce morceau culte, « Passenger », avec la voix de Maynard James Keenan (Tool, A Perfect Circle), n’a pas été conçu dans un cadre stratégique ou via une pression du label… mais au cours d’une nuit alcoolisée, dans le studio, entre deux amis. Une collaboration organique, imprévue, devenue l’un des sommets du metal alternatif.
Comme quoi…
Deftones, c’est pas juste une histoire de décibels ou de breakdowns. C’est une cartographie de l’âme, une plongée dans des textures sonores mouvantes, entre onirisme shoegaze et abrasion métallique. C’est un groupe qui te parle autant à la cage thoracique qu’aux tripes, qui t’emmène de la spiritualité vénéneuse de White Pony à la douleur suspendue d’un album fantôme, jamais sorti mais toujours présent.
Ces anecdotes ? Ce sont les cicatrices d’un parcours chaotique, tissé de distorsions, de poésie urbaine, de décisions folles, d’accidents de destin et de violence poétique. Elles disent tout de ce groupe : instinctif, imprévisible, toujours en équilibre instable entre la mélancolie plane et le groove brutal, entre le silence et l’explosion.