La griffe de Pat : Nosferaturlututu

Par Pat La Fèline
Publié le 20 février 2025

Depuis plus d’un siècle, le cinéma vampirique a connu bien des incarnations du célèbre suceur de sang, du Dracula romantique au monstre bestial. Mais parmi toutes ces représentations, Nosferatu reste une figure unique, un cauchemar cinématographique dont l’ombre s’étend encore sur l’histoire du 7ᵉ art. Trois fois, il a été invoqué : une première en 1922 dans un chef d’œuvre muet terrifiant, une seconde en 1979 sous l’œil visionnaire de Werner Herzog, et enfin en 2024… dans un remake aussi inutile qu’oubliable.

 

Nosferatu

Nosferatu

 

Comme souvent à Hollywood, il fallait bien qu’un producteur un peu bourré au vin blanc pamplemousse ne se dise : « Tiens, et si on refaisait un chef d’œuvre, mais en moins bien ? » Plongeons dans ces trois époques et voyons comment Nosferatu est passé du génie horrifique à la pâle copie numérique.

1922 : Un film muet qui hurle encore

Dès les premières images de Nosferatu, eine Symphonie des Grauens, réalisé par Friedrich Wilhelm Murnau, on sait qu’on ne va pas assister à un conte de fées. Inspiré (de manière pas très légale) du Dracula de Bram Stoker, le film reprend la trame du roman mais change les noms pour éviter les poursuites judiciaires. Hélas, la veuve de Stoker n’est pas dupe et poursuit la production en justice, ordonnant la destruction de toutes les copies du film. Heureusement, certaines ont survécu, permettant à cette œuvre de devenir un classique absolu.

Mais ce qui fait de Nosferatu un film inoubliable, c’est avant tout son monstre : Max Schreck. Avec son crâne chauve, ses yeux exorbités, ses doigts semblables à des serres et sa démarche saccadée, il n’a rien à voir avec les vampires séduisants qui hanteront plus tard le cinéma. Pas de cape élégante ni de regard envoûtant à la sexualité ambiguë , juste une créature de cauchemar, un véritable fléau qui s’abat sur Wisborg, semant la peste et la mort.

Les jeux d’ombres expressionnistes, les décors gothiques et l’absence de dialogues rendent le film encore plus troublant. Chaque apparition de Nosferatu est une leçon de mise en scène : qui a oublié cette scène où son ombre s’étire sur le mur, semblant s’emparer de sa victime avant même qu’il n’entre dans la pièce ?  Ce Nosferatu-là est une expérience visuelle et sensorielle unique, un film qui n’a pas besoin d’effets spéciaux pour terrifier. Murnau capture quelque chose d’essentiel : l’horreur pure, primitive, qui ne nécessite ni jump scares ni musique tonitruante.

 

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1979 : L’hommage hypnotique de Herzog

Près de soixante ans plus tard, Werner Herzog s’empare du mythe et lui rend hommage avec Nosferatu, fantôme de la nuit. Ici, on ne cherche plus à éviter les procès, les droits sont libres et le comte Orlok redevient Dracula. Mais si le nom change, l’esthétique reste profondément marquée par le film de 1922. Werner Herzog se réaproprie l’insolente générosité de l’expressionnisme allemand et l’horreur du personnage reste intacte !

Klaus Kinski reprend le rôle du vampire en lui insufflant une dimension encore plus tragique. Il n’est plus seulement un monstre : il est une âme tourmentée, prisonnière de sa condition. Herzog filme la Transylvanie comme un paysage spectral, où la nature elle-même semble être sous l’emprise du vampire. L’atmosphère est lente, mélancolique, presque contemplative. On est loin du rythme frénétique des films d’horreur modernes : ici, la peur s’installe insidieusement, à travers le silence, les décors vides, la musique envoûtante de Popol Vuh.

Si le film divise, c’est parce qu’il adopte une approche plus poétique qu’effrayante. On y ressent moins la terreur viscérale du Nosferatu de 1922, mais il propose une autre lecture du mythe : celle d’un vampire fatigué, solitaire, dont la malédiction est de vivre éternellement dans l’ombre. C’est beau, étrange, et déroutant.

 

Nosferatu

Nosferatu

 

2024 : Le remake de trop

Et puis, il y a eu Nosferatu version 2024. Pourquoi ? Franchement, pourquoi ? Robert Eggers, réalisateur brillant (The Witch, The Lighthouse), semblait être le candidat idéal pour revisiter ce classique. Avec son goût   l’horreur atmosphérique et les récits ancrés dans le folklore, on pouvait espérer un film ténébreux, inquiétant, respectueux de l’héritage de Murnau et Herzog. Mais au lieu de ça, on se retrouve avec un remake fade, une copie sans âme qui ne parvient jamais à justifier son existence. Le premier problème, c’est le look du vampire.

Fini l’étrangeté de Max Schreck ou la démence de Klaus Kinski : ici, on a droit à une créature numérique, trop lisse, trop artificielle. Son apparence n’effraie pas, elle ressemble à une version « boss final » d’un jeu vidéo plutôt qu’à un être cauchemardesque. La fashion week, c’est la semaine prochaine mon gars…

 

Nosferatu

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Ensuite, il y a l’ambiance générale du film. Là où Murnau jouait sur le contraste des ombres et Herzog sur la poésie macabre, Eggers semble hésiter entre le film d’horreur classique et le drame psychologique.

Résultat : une œuvre tiède, qui ne fait ni peur ni réfléchir et longue… mais longue… mais longue… Et que dire de Lily-Rose Depp ? Son jeu oscille entre une froideur hautaine et des convulsions dramatiques sorties de nulle part. Elle s’évertue pendant deux heures à écarquiller les yeux et trembler pensant que cela suffit à exprimer la terreur. Au final, elle n’apporte aucune émotion sincère au rôle, rendant les scènes clés plus risibles qu’effrayantes. On en viendrait presque à souhaiter que Nosferatu la morde plus vite, nous débarrasse de cette fausse vierge sacrificielle juste pour qu’elle cesse de gesticuler.

Vas-y, bouffe la, qu’on en finisse putain de vampire à la con ! Mais le plus savoureux dans ce naufrage, c’est la mise en scène. Eggers, en panne d’idées (ou peut-être pressé d’envoyer son film en salles avant que quelqu’un ne l’empêche de commettre l’irréparable), a décidé d’ouvrir son vieux coffret DVD et de faire son marché. Résultat : une accumulation de scènes reprises plan pour plan du Nosferatu de 1922, mais sans la magie de l’expressionnisme allemand. Certains appellent ça un hommage… moi, une bouse…

Et comme si ça ne suffisait pas, certaines séquences sont carrément repompées sur le Dracula de Coppola datant de 1992, mais avec la subtilité d’un vampire qui débarquerait à la fashion week. Les longs plans dramatiques, la vision de la ville, la scène du jardin…. Rahhhh… la lumière rouge sang, même le costume du comte… Tout sent le plagiat maladroit. Mais là où Coppola insufflait à son film une fièvre gothique et une sensualité fiévreuse, Eggers nous sert une copie froide et mécanique, sans émotion ni souffle épique.

Bref, Nosferatu 2024, c’est un peu comme si un vampire se nourrissait uniquement de tofu. Je passe rapidement sur Linda Muir qui a fait le black friday juste avant Halloween pour trouver ses costumes et de l’insupportable musique de Robin Carolan qui m’a fait regretter le cinema muet…. VRAIMENT MUET !

 

Nosferatu

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Et puis, il y a Willem Dafoe. Grand acteur, monstre du cinéma, homme capable de jouer aussi bien un Bouddha illuminé qu’un Bouffon vert hystérique. On l’aime pour son intensité, son regard halluciné, sa présence magnétique. Mais dans Nosferatu 2024, on sent bien qu’il se pose la seule question qui vaille : « Qu’est-ce que je fous là ? » Durant tout le film, Dafoe erre dans les couloirs, le regard perdu entre la résignation et l’envie de demander son cachet en liquide pour s’enfuir avant la fin du tournage.

Lui, qui avait incarné avec génie un Nosferatu métaphysique et inquiétant dans Shadow of the Vampire, se retrouve ici condamné à réciter des dialogues creux en essayant de ne pas éclater de rire face à Lily-Rose Depp en pleine crise de spasmes. À chaque scène, on sent presque le sous-texte invisible derrière ses yeux : « J’ai joué pour Scorsese et Lars von Trier, j’ai été Max Schreck lui-même… et maintenant je dois faire semblant d’être terrifié par ce cosplay numérique de chauve-souris mal texturée ? »

Au final, Dafoe est le seul élément un peu vivant de ce film… mais même lui semble déjà en train de préparer mentalement son prochain rôle pour oublier cette mésaventure. Et franchement, on ne peut que le comprendre.

 

 

L’ombre de Shadow of the Vampire

Au lieu de ce remake insipide, pourquoi ne pas revoir Shadow of the Vampire (2000) ? Ce film de E. Elias Merhige offre une relecture fascinante du Nosferatu de 1922. Il imagine que Max Schreck (incarné par un Willem Dafoe magistral) n’était pas un acteur, mais un véritable vampire engagé par Murnau pour jouer son propre rôle. Loin de n’être qu’un simple hommage, le film joue brillamment sur la frontière entre le cinéma et la réalité, transformant le tournage en une tragédie gothique où l’art devient plus puissant que la vie elle-même.

Et cette dernière scène, où le vampire termine le film en achevant son œuvre dans une lumière spectrale… voilà une véritable poésie macabre, une fin grandiose qui fait honneur au mythe Nosferatu.

 

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Nosferatu

 

Eros, Thanathos et gros pathos…

L’un des aspects les plus fascinants du mythe vampirique réside dans la tension entre Eros et Thanatos, entre le désir et la mort. Dans Nosferatu, cette dimension est souvent suggérée, mais rarement aussi explicite que dans certaines adaptations modernes. Pourtant, le vampire n’a jamais été qu’un simple monstre : il est aussi une figure de la tentation, un prédateur qui séduit autant qu’il terrifie. Dans les meilleures versions du mythe, la victime ne se contente pas de craindre le vampire : elle le désire. Ce n’est pas la morsure qui l’effraie, c’est l’envie de la recevoir.

Cette idée, déjà présente dans le film de 1922 sous une forme plus symbolique, prend une dimension hypnotique chez Herzog, où Bruno Ganz incarne un Jonathan Harker presque envoûté par la présence du comte Dracula. L’angoisse naît du fait qu’il sait ce qui l’attend, mais qu’il ne peut s’empêcher d’avancer vers sa perte. Dans les grandes histoires de vampires, l’instant fatal n’est jamais une agression brutale, mais une reddition. À l’image d’une sexualité impossible, un abandon. Ce moment où le personnage choisit, consciemment ou non, le plaisir charnel plutôt que la survie. Le vampire devient alors une figure du désir ultime : celui qui consume, qui dévore, qui anéantit. L’amant et le bourreau en un seul être.

C’est dans Shadow of the Vampire que cette idée atteint une poésie magnifique et tragique. Lors de la scène finale, Willem Dafoe, incarnant Max Schreck, achève son œuvre dans une apothéose quasi mystique. Il n’est plus seulement un monstre, il devient l’incarnation même du cinéma : une créature d’ombre qui ne vit que par la lumière, une présence insaisissable dont la morsure est une révélation. Merhige boucle magnifiquement son hommage à Murnau interprété par un John Malkovich impeccable dans cette scène finale éclairée par une « Aurore » révélatrice du talent de celui qui l’inspire.

Mais dans le Nosferatu de 2024… cette dimension disparaît presque entièrement. Là où Herzog et Coppola faisaient du baiser de la mort une extase interdite, Eggers filme ses scènes avec une froideur clinique. Pas de tension, pas de trouble, juste une série de plans où les personnages semblent plus préoccupés par l’éclairage tamisé que par l’idée de succomber à leurs désirs. On n’y croit pas une seconde.

Et pourtant, le vampire ne devrait jamais être juste une créature de l’ombre. Il est un appel, une promesse de quelque chose d’inavouable, de délicieux, d’effrayant. Ceux qui tombent sous son emprise ne sont pas seulement des victimes : ce sont des âmes perdues qui, au fond, choisissent d’aimer la mort.

 

Conclusion : fallait-il réveiller le mort ?

Il y a des films qu’on ne devrait pas toucher. Nosferatu en fait partie. En 1922, Murnau a créé une œuvre terrifiante qui défie encore le temps. En 1979, Herzog l’a réinterprétée avec sa sensibilité propre, offrant une version fascinante et unique. En 2024… on a juste fait un remake de plus, un de ces films qui ne resteront pas dans les mémoires plus de quelques mois. Moralité : parfois, il vaut mieux laisser les morts dormir. Parce que réveillés sans raison, ils peuvent devenir terriblement emmerdants. Qu’on y remette une série de clous et qu’il y reste pour un moment dans son cercueil, s’il vous plait !

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