“Le Parti t’a dit de rejeter l’évidence de tes yeux et de tes oreilles. C’était son commandement final, le plus essentiel.” La phrase du célèbre 1984 de George Orwell en ouverture du clip de “Ricochet” pose le ton. Depuis plus de vingt ans, Rise Against a toujours refusé de détourner le regard et n’a jamais cessé de dénoncer, d’éclairer, de hurler pour secouer les consciences. Avec Ricochet, leur dixième album, le combo de Chicago continue d’incarner cette voix qui dérange mais qui fédère, dans un monde criant de désillusions.

Rise Against
Quand chaque action s’imprime
Quatre ans après Nowhere Generation, Rise Against revient avec un disque qui refuse de faire du surplace. Ricochet frappe, mais avec stratégie : il réfléchit, il propose. Le titre ne peut pas être plus explicite : chaque geste, chaque mot, chaque note est une onde qui se propage, qui rebondit, et revient plus fort. Dans un environnement où les algorithmes se nourrissent de nos émotions les plus sombres pour mieux nous diviser, Rise Against s’empare de cette rage pour en faire un moteur d’unité. C’est sans doute la plus grande force de cet album : transformer la lucidité en odes, l’amertume en énergie commune.
Des hymnes qui brûlent et résonnent
Dès les premières secondes de “Nod”, l’album plante le décor : riffs serrés, urgence immédiate, refrain fédérateur. Rise Against ne s’épuise pas, il se recharge. C’est une entrée en matière qui nous rappelle pourquoi leur musique fait autant de bien : une colère claire, qui réveille au lieu d’écraser. Mais le premier vrai point d’orgue, c’est “I Want It All”, manifeste parfaitement taillé pour le live.
Ici, le groupe déploie toute sa science de l’hymne : des guitares rugueuses, une énergie euphorisante, et surtout cette volonté de ne pas se contenter de survivre. C’est une chanson qui parle à tous ceux qui refusent l’inacceptable, qui veulent plus qu’un quotidien sous hypnose. Dès la première écoute, le refrain devient une évidence, le genre de cri qu’on garde en soi longtemps après que la musique s’est tue.

Rise Against
Rageuse introspection
Le cœur de l’album se trouve dans “Ricochet”, morceau-titre et pièce maîtresse. Plus posé, tendu entre acoustique et électrique, il laisse la voix de Tim McIlrath se charger d’émotion sincère. On y sent l’essence même du disque : chaque mot, chaque silence a un poids, chaque geste compte. La musique devient ce ricochet dont parle l’album, oscillant entre intime et collectif. C’est sans doute un des morceaux les plus habités que Rise Against ait composés.
Dans la foulée, “Damage is done”, “Us Against The World” et “Black Crown” prolongent cette tension. Les guitares se font lourdes, le chant tremble entre résignation et révolte, les refrains tiennent debout malgré la noirceur. Rise Against sait mieux que personne alterner la fureur et la fragilité, donner autant de place à la colère qu’à la vulnérabilité. Ces morceaux rappellent pourquoi leur engagement ne sonne jamais creux : il est nourri d’humanité. Au centre, « Sink Like A Stone », nous entraîne dans des sonorités punk et catchy qui rafraîchissent autant qu’elles grondent
Là où ça surprend
Mais Ricochet n’est pas qu’une répétition de ce que l’on connaît. L’efficace « Forty Days » nous glisse dans une tension qui nous emporte et éclate au fur et à mesure du morceau. Suit “State Of Emergency”, dans lequel le groupe se risque à un groove inattendu, presque inédit dans leur répertoire. Le résultat est surprenant, mais terriblement efficace : une nouvelle façon de canaliser leur énergie. À l’opposé, “Gold Long Gone” s’impose comme une respiration plus douce, un moment suspendu qui ajoute une profondeur différente à l’ensemble, et prouve que même dans la mélancolie, Rise Against reste pertinent.

Rise Against
La conclusion qui frappe encore
Dernier round, « Soldier » nous ballotte de manière équilibrée entre douceur et rage, “Prizefighter”, morceau abrasif et revanchard incarne à lui seul l’idée de résilience. Comme un boxeur cabossé qui refuse de rester au tapis, Rise Against clôt l’album en rappelant que la lutte ne s’arrête jamais. Les coups pleuvent, mais on se relève, encore et encore, porté par des riffs implacables et une basse qui tonne.
C’est une conclusion qui colle à leur ADN : ne jamais céder, ne jamais taire sa voix. Ce qui impressionne dans Ricochet, c’est sa capacité à conjuguer fidélité et évolution. Fidélité à un son reconnaissable entre mille, à des textes toujours engagés, à cette urgence punk qui les rend indispensables depuis deux décennies. Mais évolution aussi, dans la production, dans les nuances, dans la manière de laisser l’émotion prendre plus de place. Rise Against ne radote pas, ils avancent. Et ils le font sans perdre une once de leur intégrité.
Au fond, Ricochet n’est pas seulement un album de plus dans leur discographie. C’est une alerte lucide sur notre époque, mais pleine d’espoir. Dans un monde où l’algorithme capitalise sur notre colère, Rise Against en fait un cri fédérateur et ce disque est fait pour se propager. On en sort avec l’envie de chanter plus fort, de réfléchir plus loin, de croire encore que la musique peut être plus qu’un divertissement : un déclencheur.