Il aura fallu plus d’un demi-siècle et une bonne dose d’acharnement d’archéologue sonore pour que Live at Pompeii de Pink Floyd sorte enfin de sa capsule temporelle. C’est aujourd’hui chose faite : le mythe s’est mué en objet palpable, écoutable et pourtant, toujours aussi irréel. À nous tous Pompéï !

Pink Floyd – Live At Pompeii MCMLXXII
Dire qu’on attendait encore ce disque serait un parjure. Admettre qu’on y croyait toujours relevait de l’irrationnel, voire de la foi aveugle. À force de rééditions, de coffrets anniversaires, de remasters « ultimes » (qui le resteront jusqu’au prochain), de versions expandées, immersives et/ou transcendantales, on avait fini par se dire que Live at Pompeii resterait à jamais ce fantasme un peu flou, figé dans le grain et les limbes des VHS usées comme un rêve coincé entre deux artefacts de la légende floydienne.
Il aura fallu faire preuve d’une patience sans égale, rager parfois, ironiser souvent, entre deux ressorties « super-mega-hyper-remasterisées à la molécule près », des éditions collectors contenant peut-être un mégot de David Gilmour soigneusement extrait des cendres du Vésuve, et des mixes « 12D atmosphériques deluxe avec des pistes en mono inversé ».
Et pourtant, aujourd’hui, contre toute attente, le mythe se matérialise enfin : Live at Pompeii existe pour de bon, en double vinyle et double CD normaux. Hallelujah, qui l’eût cru ?

Pink Floyd – Live At Pompeii MCMLXXII
Nombreux sont les artistes marqués au fer floydien par ce Live at Pompeii. Pas seulement pour sa musique, déjà visionnaire, mais surtout pour ce qu’il incarne : un moment suspendu, un acte de création pure, libéré du public. Une œuvre où la musique dialogue avec les pierres, les ombres, et l’écho des civilisations disparues.
Radiohead le cite souvent comme une influence majeure, allant jusqu’à jouer dans de nombreux amphithéâtres, cherchant à convoquer cette même magie, cette communion rare entre lieu et son. Tool aussi, avec ses longues incantations progressives, reprend ce goût pour la transe et le rituel et même Sigur Rós, avec son film Heima, semble avoir voulu capter cette vibration unique : jouer face à l’immensité, laisser parler les paysages autant que les notes.
D’abord, ces battements de cœur Pompeii Intro qui nous rappellent que ce disque aura mis du temps à prendre vie (non je n’en fais pas un trauma, pas du tout). Pas de foule, juste le vent, le souffle du lieu. Puis ces notes. Lentes, graves, comme sorties du ventre de la Terre. Echoes comme l’ouverture d’une cérémonie où Gilmour et Wright tissent une toile spectrale, presque minérale, où chaque réverbération semble dialoguer avec l’éternité. Et même si l’on sent Waters fermement harnaché aux commandes idéologiques du vaisseau, l’alchimie est collective.
La batterie de Mason, parcimonieuse mais tellurique, ancre le tout dans une sorte de transe suspendue, comme si le Pink Floyd, débarrassé des regards, pouvait enfin s’ausculter lui-même. Set the Controls for the Heart of the Sun (initialement sur l’album A Saucerful of Secrets, 1968) devient ici un rite chamanique, illuminé par des éclats de gong et de delay fous. On entend presque les murs de pierre répondre à One of These Days, ce monstre instrumental qui roule comme une vague noire sur les cendres antiques. Rien n’est démonstratif, tout est senti. Le son est brut, le mixage de Steven Wilson est juste, rien ne trahit ni ne compromet le contexte.
Le grand mérite de ce Live at Pompeii, c’est d’avoir capturé Pink Floyd à l’état pur, entre deux ères, juste avant l’explosion de Dark Side of the Moon (1973). Une photographie sonore d’un moment où Pink Floyd n’était encore qu’un laboratoire de sons et d’idées. Pas de tubes, juste de l’expérimentation, de l’osmose et de l’instinct. Ce n’est pas un concert qui vous fera taper du pied, c’est un live qui vous aspire, vous traverse, vous remodèle un peu de l’intérieur dans toute sa radicalité lunaire.
Alors non, cette sortie ne révolutionnera rien tout simplement car sa révolution à déjà faite. Il n’apporte aucun inédit, aucune révélation cosmique supplémentaire, aucune ligne de guitare ou de basse qu’on n’aurait pas déjà disséquée mille fois et c’est parfait comme cela car il existe enfin officiellement, matériellement et ça suffit. Parce qu’on n’est pas toujours là pour consommer du neuf, parfois on veut juste pouvoir poser un disque et retrouver ce frisson étrange, cette impression que la musique peut s’extraire du temps, qu’elle peut léviter un peu au-dessus de nos vies trop pleines et trop sourdes. Live At Pompeii c’est une parenthèse contemplative sans applaudissements ni compromis dans un monde où quatre silhouettes jouent pour personne, ou peut-être maintenant pour tout le monde. Enfin.
Pink Floyd at Pompeii – MCMLXXII, est sortie le 2 mai 2025 via Columbia.
Tracklist
Disque 1
- 01 Pompeii Intro
- 02 Echoes – Part 1
- 03 Careful With That Axe Eugene
- 04 A Saucerful Of Secrets
- 05 One Of These Days
- 06 Set The Controls For The Heart Of The Sun
- 07 Mademoiselle Nobs
- 08 Echoes – Part 2
Disque 2
- 01 Careful With That Axe Eugene – Alternate Take
- 02 A Saucerful Of Secrets – Unedited
Genre : Rock Progressif Cérémoniel à ciel ouvert.
Website Pink Floyd : https://www.pinkfloyd.com/
Instragram Pink Floyd : https://www.instagram.com/pinkfloyd/