Jessica 93 – 666 Tours De Périph’

par | 28 Oct 2025 | Chroniques

⏱ Temps de lecture : 4 min

8 ans après son précèdent album, Jessica93 revient avec 666 Tours de Périph’. Un disque comme un retour de flamme dans le brouillard, une virée nocturne sur l’asphalte détrempé. Tout y sent l’essence et la pluie, et cette persistance étrange, obstinée, de ceux qui n’ont jamais vraiment quitté la route.

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Au premier tour de périph’, j’ai cru que ma vie allait rester la même, sagement confiné entre les portes de ma Peugeot 206 HDi qui sentait fort le gasoil, chaque fuite d’échappement me rappelant que rien n’était vraiment stable. Au deuxième tour, il m’a bien semblé que quelque chose s’était cassé dans la réalité, comme une fracture dans l’asphalte, qui s’ouvrait sous mes yeux.

Au troisième tour, la pluie qui tombait dru s’est mêlée à la lumière, la ville a tourné sur elle-même, et tout est devenu flou quand je l’ai vu apparaître. Pas vraiment une silhouette, pas même un visage. Plutôt une présence, un nom qui remonte à la surface.

 

Jessica 93 - 666 Tours De Périph'

Jessica 93 – 666 Tours De Périph’ – Photo par Titouan Massé

 

Jessica 93, comme revenu d’un autre temps. Pas soudainement, pas vraiment non plus après une absence. Un vrombissement obstiné, régulier, presque vivant, qui reprend quand tout le reste s’est tu. Un moteur enfoui sous la crasse, sous la nuit, sous la poussière de tout ce qu’on a voulu oublier. Jessica 93, un nom qui claque comme une Testarossa oubliée s’érode dans un garage humide. La nuit finit sa ronde, la ville s’allume, la pluie tombe sur les capots. Et on ne sait plus très bien si c’est un retour ou une rechute, si le moteur redémarre ou s’il n’a jamais cessé de tourner.

Le disque commence comme ça : une boucle, un plan fixe, une lumière froide. ‘’Florence Rey’’ surgit comme un spectre, souvenir d’une jeunesse qui confondait colère, vitesse et liberté dans un même souffle d’urgence. Une voiture en travers de la route. Un périphérique qui s’achève place de la Nation, dans les fumées, les sirènes et les impacts.

 

 

Au quatrième tour de périph’, j’ai bien cru que j’étais arrivé quelque part. Mais les phares, la route, les mêmes virages me disaient le contraire avec leurs riffs qui tournent. Tournent encore, ils se replient, se répètent, se reprennent. Chaque mesure rejoue la même fuite, le même virage, la même brûlure. Les immeubles se ressemblent, les visages derrière les vitres embuées sont tous les mêmes. La pluie ne s’arrête jamais. Elle tombe, encore, toujours, jusqu’à l’obsession.

Une âme se tient là, derrière la lumière jaune des phares. Elle semble armée d’une BC Rich, d’une basse poisseuse, d’une boîte à rythme implacable et de 8 chansons toutes plus acérées les unes que les autres.

 

 

‘’Bébé Requin’’, chanson d’amour et de mort est un poème marin écrit depuis les abysses, une supplique noyée dans la réverbération. On y comprend que la douleur est une houle lente, régulière, qui remonte de très loin.

La ‘’Colline du Crack’’, elle, se déroule sur la terre ferme. Elle pourrait sembler légère, presque second degré, mais elle a beaucoup plus à en dire que ça. C’est la sincérité d’un homme qui n’a rien d’autre à offrir que sa vie telle qu’elle est, et il la propose entière. Quand sa désirée le refuse, il se retire avec classe :
“Puisque tu veux pas apprendre à me connaître
J’insisterai pas
P’tete c’est mieux que tu reste avec ton bolosse
C’est pas fait pour toi”

 

 

Sur ‘’Frappe Chirurgicale’’. Jessica93 passe à l’opération. Nuit noire, désir de couper net et de cautériser. “Nique sa mère, nique sa grosse mère.” Répéter comme un mantra, comme un geste de purge.

Au cinquième tour de périph’, j’ai cru que le disque s’était arrêté. Mais non, ça ne s’arrête jamais. Et j’ai compris que c’était ça, la beauté, la persistance. Le disque tourne, il ne finit pas, il recommence. Chaque accord relance le moteur et l’on revient toujours au point de départ. La lumière des phares, la pluie sur les mains de Jessica, le périphérique est une boucle, l’album aussi.

Et de ces boucles naît quelque chose d’étrangement pur, une vérité qui n’a pas besoin de lyrisme. Une beauté qui ne cherche pas à plaire, mais à persister. La beauté du refus d’arrêter, la volonté de faire. De tout ressentir, de tout faire ressentir, même la peine, même la douleur.

 

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Photo par Titouan Massé

666 tours de périph’, s’ils sont avec Jessica93 dans l’autoradio, on veut bien les faire. Toujours avec cette impression que rien n’a commencé, que tout se rejoue encore, et que c’est ça, justement, le sens. Le moteur, la nuit, la pluie, le bruit. Toujours le bruit, toujours à contresens.

Jessica 93 - 666 Tours De Périph'

Jessica 93 – 666 Tours De Périph’ – Photo par Titouan Massé

 

Jessica 93 – 666 Tours De Périph’  est sorti le 10 octobre sur Born Bad Records

Style : Cold Grunge de Banlieue

Tracklist :

1 -Florence Rey (All Cops Are Beautiful)
2 – Bébé Requin
3 – Le Grand Remplacement
4 – La Colline du Crack
5 – Frappe Chirurgicale
6 – Brûlure Indienne
7 – L’Empire N’a Jamais Pris Fin
8 – Purifier

Instagram : jessica93
Bandcamp : jessica93
Youtube : antenne2jessica93