Qu’est ce qu’on va faire de toi ? Auteur d’un tube remarquable de la chanson rock produit par Baxter Dury et de trois albums persifleurs dont l’écriture avait attiré l’attention des dandys un peu maudits comme Christophe et Bashung, auteur pour la télé de « La minute Blonde » et rédacteur en chef de la revue Schnock, Alister revient par hasard et pas rasé avec un premier roman surréaliste « Le dernier des Gentlemen ». L’occasion de faire le point de suspension avec lui en terrasse parisienne.

Alister : Le dernier des gentlemen
Le dernier des gentlemen est ton premier roman. Comment le décrire aux lecteurs de Rocksound ?
Alister : C’est l’histoire d’un musicien qui tombe sur une partition magique qui va lui permettre de manipuler l’entièreté de la population. Les politiques, les mafieux vont tenter de le manipuler. J’avais en tête d’écrire un conte comme le joueur de flûte de Hamelin. Je m’intéresse énormément aux nouvelles drogues. J’en avais inventé une dans mon dernier disque : la Philoscaline, qui rendait les gens heureux.
C’est un roman assez sophistiqué qui raconte l’histoire d’un musicien doté de l’oreille absolue. As-tu voulu te mesurer au Euguenie Sokolov de Gainsbourg ?
Alister : C’est très flatteur. Tu m’envoies un uppercut en début d’interview, là (rires). C’était un livre surréaliste qui m’avait évoqué Topor. J’aime ce surréalisme-là, cette poésie, celle de Breton à qui je consacre un article dans le nouveau Schnock, pas le foutoir alentour.
Bertrand Blier nous a quittés. Ces chapitres souvent très courts m’ont souvent évoqué son dernier livre Fragile des bronches…
Alister : Merci. Je me sens très proche de Blier, jusqu’à « Merci la vie » ou ça part dans le n’importe quoi. « Buffet Froid », c’est fabuleux, cette répartie populaire cinglante qu’il a gardée de son père et sa façon de jouer avec la narration. Laurent Chalumeau lui, a trouvé des passages à la Boris Vian. Vian, Gainsbourg, Blier, ce sont des connexions.
Twitter nous a appris à communiquer en moins de 120 mots. Ce n’est pas par hasard que cette plateforme a favorisé la montée des extrêmes et l’appauvrissement du langage. Le dernier des gentlemen c’est ton hommage à une langue subtile et complexe ?
Alister : J’aime faire des phrases assez courtes, en ça je suis dans l’époque. En revanche, je suis un fan des mots rares et des expressions détournées. Effectivement ce bouquin est une posture politique de fouiller le langage, de chercher la rareté du mot, de produire une idiosyncrasie.
En parlant de fascisme, il y a ce chapitre terrifiant où tu imagines une France où les plus humbles déféqueraient dans la rue suite à la flambée des prix des WC et où les théâtres serviraient de morgue !
Alister : Héhé ! C’est en creux une évocation du COVID. Mon médecin m’avait parlé d’un problème chez les jeunes qui crachaient tout le temps et qui, à force créaient une maladie. Je suis parti de là pour imaginer cette épidémie dans mon livre. Tu te rends compte que l’humanité s’est fait latter par des pangolins, un animal aussi nul… c’est la honte, quoi !
J’ai parfois pensé à Lacan et Queneau en te lisant et le concept de Lalalangue : cette jubilation du langage, de sa sonorité bien avant sa signification….
Alister : Ouais. C’est parfait. Voilà. Je suis content.
Un grincement mimbémolien, une bouche valétudinaire… : tu n’as pas peur de perdre tes lecteurs avec tant de sophistication ?
Alister : (Silence) Ce n’est pas mon problème, c’est avant tout me faire plaisir. J’ai écrit un livre sur les femmes dandys, sur la bibliothèque impossible. À chaque fois, je faisais des recherches que j’ai réintégrées dans ce livre.
Ton livre est principalement écrit en voix-off. Ton personnage est un homme de peu de mots…
Alister : J’adore ce principe. Jean Rochefort dans « Un éléphant, ça trompe énormément », c’est du gagnant-gagnant. Faire ça en littérature, ça me permet de parler de façon plus naturelle. Il y a plusieurs voix off dans les livres, plusieurs personnages. J’adore quand le point de vue narratif change en littérature comme dans « Les Liaisons Dangereuses ».

Alister
Le don de ton personnage l’amène à vivre des situations rocambolesques. À la fin, je me suis demandé si comme le héros d’ « American Psycho », son récit était digne de confiance.
Alister : Tout à fait. On est face à un mytho et comme tous les grands mythos, il y a des éléments de vérité dans son discours. C’est du grand art. Comme les personnages des chansons de Randy Newman, c’est un narrateur peu fiable. J’ai longtemps bloqué sur le dénouement de cette histoire et je m’en suis sorti comme ça, un peu comme le personnage de Montand dans « Tout feu, tout flamme ».
Il y a ce chapitre incroyable où l’on apprend que Michael Jackson réside dans le château de Chambord et qu’il a simulé sa mort pour échapper aux poursuites judiciaires.
Alister : Ah ah ! C’était un rêve que j’avais fait. J’avais lu que Jackson connaissait tous les châteaux de la Loire qu’il était prêt à les racheter. Ça c’est mélangé dans mon cerveau malade. Sa mort, c’est la grande mort inattendue du rock après celle de Lennon et avant celle de Bowie et Prince.
Ça m’a permis d’écrire sur la méthode de composition de Jackson. Il n’existe que deux images de lui au piano : sur une pub pour Pepsi et une autre en studio. Il chantait les rythmiques et après c’était les musiciens qui transformaient ça en accord. Ce boulot, ça vaut crédit. Comment s’est-il débrouillé pour se les approprier ? Ca me fascine.
La chanson parfaite ?
Alister : Pfff… « La mémoire et la mer » de Ferré ? Une suite de mots qui ne veulent pas dire grand-chose mais sur une musique d’une beauté… Le mec te fait pleurer alors que tu ne comprends rien à ce qu’il dit. J’aime les chansons structurées, la Motown, les premiers Beatles de 2’30 mais là, c’est d’une originalité formelle qui dépasse le cadre habituel. « Strawberry Fields » aussi. C’est là où Lennon surpasse pour moi Mc Cartney, ça part dans tous les sens et en même temps, c’est pop et expérimental, hyper carré.
Schnock existe depuis 14 ans. Quel bilan en tires-tu ?
Alister : C’est miraculeux ! 53 numéros. Ca me permet de vivre et de rencontrer des gens, de la jouer moins perso qu’en musique alors que j’étais un tyran en studio. On va contre le jeunisme sans faire les réacs. Je lutte contre ça, de ramener un sujet à sa cause politique. Je mets tout de suite le holà dans la rédaction.
Ton prochain album ?
Alister : Pff… Le monde de la musique me bloque. La pandémie a tué toute la middle class de la musique dont je faisais partie. Mon dernier disque, c’est moi qui l’ai produit et je me suis fait des sueurs froides : payer ton manager, l’attaché presse, les musiciens, ça chiffre très vite. Ce sont de plaisanteries luxueuses. Si un milliardaire fan d’Alister nous lit, j’ai trente chansons de prêtes.
Tu listes les stars qui meurent le même jour et qui finissent par occulter l’autre : Huxley qui meurt le même jour que Kennedy, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday. Par contre tu oublies de mentionner Darby Crash, l’ultime loser, chanteur du groupe The Germs qui décide de rentrer dans la légende en se suicidant le 8 décembre 1980, le jour de la mort de John Lennon !
Alister : (Mort de rire) Mais non ?! Ah merde ! Il faut que je réécrive le livre !
Le dernier des gentlemen, par Alister, aux Editions La Tengo – 14.50€