En 2008, cinq figures majeures du rock français décident d’unir leurs forces pour créer Empyr. De cette rencontre naît un ovni sonore, The Peaceful Riot un projet inattendu et ambitieux. Injustement ignoré, l’heure est venue de réhabiliter ce disque audacieux, traversé par une urgence sincère, des textes fédérateurs et une énergie scénique hors norme.

Empyr – The Peaceful Riot
S’il est des révolutions silencieuses, le All-Star Band Empyr est de celles-ci. Une émeute douce pour un soulèvement intérieur. Supergroupe à la française réunissant Kyo, Pleymo, Vegastar et Watcha avec à la manœuvre, un Benoît Poher (Kyo) en pleine grâce vocale comme touché par un souffle nouveau. À ses côtés, Florian Dubos (Kyo) et Fred Duquesne (Watcha) aux guitares, Jocelyn Moze (Vegastar) à la batterie et Benoît Julliard (Pleymo) à la basse.
À L’origine, Mark Maggiori (Pleymo) devait lui aussi assurer le chant, en duo avec Benoît Poher, dans un jeu de voix tendu. Une idée brillante, finalement abandonnée dont il se murmure que quelques démos existent quelque part.
Je me souviens du jour de la sortie comme on se souvient d’un serment de jeunesse. Les rayons du Virgin Megastore (paix a son âme) étaient muets, 2008 et sa crise du disque l’explique très bien. Je cherchais dans ce no man’s land la version collector, celle du coffret contenant drapeau et beau livret, comme un Graal. Au bout de quelques égarements, je me retrouve face à un trio de vendeurs assis derrière un comptoir.
— “Bonjour, vous avez reçu l’album d’Empyr ?”
— “Empyr ? Mais c’est pour les filles, ça.”
(Rires gras des trois hydrocéphales.)
À l’époque, une vanne tournait et faisait bien rire les cons : “Tu as écouté l’album d’Empyr ? Bah c’est comme Kyo, mais en pire.” Elle disait tout, elle disait rien. Parce que cet album, c’est une merveille, un joyau brut et céleste. Un carrefour entre les harmonies d’A Perfect Circle, la densité vaporeuse de Deftones, les soupirs rugueux du post-hardcore et la grâce emo d’un rock qui ose encore croire en un monde meilleur. Et tout cela Made In France (but enregistré à Los Angeles quand même)
Dès les premières secondes de « God Is My Lover », l’univers s’ouvre. Les refrains sont impériaux, les couplets planent, s’enroulent et prennent leur temps. « Birth » vous perce le cortex préfrontal comme une lame fine et brillante. « It’s time to build a new nation / This one is about to explode », chante Benoît. Poème-fissure où l’intime devient cathédrale. Voix flottante au-dessus d’un champ de ruines affectives où chaque phrase est un fragment d’humanité nue. On y parle de nations à reconstruire, de confiance égarée, de corbeaux dans la tête et de sentiments qui s’entre-dévorent comme des fauves en cage. Et au milieu de ce fracas, une chose rare : la capacité à fédérer les solitudes, à rallier les cœurs fracassés autour d’un même chant. D’une même rivière qui coule pour « ease the pain ».
The Peaceful Riot est un disque qui rêve d’ailleurs, d’Amérique, de grands espaces, d’envols. C’est un disque qui s’élève. Sur la pochette, un homme torse nu, drapeau orné d’une étoile blanche à la main. À ses côtés, un ours polaire, symbole d’une nature menacée et d’une force calme, improbable totem dans ce désert californien. C’est la rébellion douce, c’est l’irréel qui s’impose. L’utopie d’un peuple imaginaire, celui des rêveurs lucides, des écorchés beaux, de celles et ceux qui croient encore au pouvoir des jolies guitares pour élever les âmes. Ce drapeau c’est le leur, ce drapeau c’est le nôtre.
Produit au cordeau, mixé avec précision, chanté dans un anglais limpide, cet album visait clairement la conquête du monde. Mais en 2008, le monde n’était peut-être pas prêt. Trop poli, trop ambitieux, trop en avance ? Peu importe. Car en fin de disque, tout s’embrase avec trois bombes alignées comme des constellations : « My Empress », « March On », « Join Us ». Écoutez-les à la suite, comme on dévale une pente, vous n’en ressortirez pas indemnes. Mais ne négligez pas les neuf chansons qui précèdent, ce sont des joyaux ciselés avec une exigence rare.
Sur scène, Empyr transcendait les âmes des chanceux venus les voir. Leurs bras enserrés de bandes de gaze, comme des blessés de guerre. Le visage noirci au marc de café, entre camouflage poétique et rituel cérémonial. Leur présence troublait, captivait, dans un déluge sonique, un raz-de-marée de guitares saturées et de mélodies célestes. The Peaceful Riot n’était pas un caprice de musiciens en goguette. C’était la tentative d’écrire une autre géographie, un territoire où l’on ne construirait pas des carrières, mais des refuges.
En France, on a levé un sourcil. Les fans de Kyo étaient perdus. Ceux de Pleymo trouvaient ça trop lisse. Trop ceci, pas assez cela, l’éternelle punition des audacieux. Alors The Peaceful Riot a dormi, doucement, dans les étagères et dans l’esprit de quelques fidèles.
Après ce premier album, le groupe poursuivra brièvement l’aventure avec le très bel EP Skin (2010), un battement fragile entre deux mondes. Puis viendra le second album, Unicorn (2011), plus doux, plus pop. Le souffle épique des débuts s’estompe, les cris de Benoît aussi et le groupe se sépare peu après, sans fracas. Dans une sorte de respect mutuel, d’acceptation du cycle, chacun retourne à ses racines. Kyo se reconstruit, patiemment, retrouve sa place dans le cœur du public avec un nouveau souffle, une énergie plus adulte, moins juvénile. Le retour sera triomphal : AccorHotels Arena et tournées pleines. Fred Duquesne, quant à lui, rejoint Mass Hysteria et y trouve une nouvelle maison faite de feu et de fureur.
Aujourd’hui, Empyr reste là, comme une cicatrice brillante. Une étoile filante qu’on n’a pas su retenir, mais dont on n’oubliera jamais l’éclat. Le rêve un peu fou d’un groupe qui voulait bâtir une nation de musique et de lumière. Et moi, le petit ado que vous avez moqué ce jour-là — celui à qui vous avez ri au nez derrière votre comptoir — aujourd’hui, il écrit dans Rock Sound, et il écoute toujours Empyr.
Empyr – The Peaceful Riot et sorti le 12 Mai 2008 sur Jive Records
Genre : Alt-Rock pour cœurs en friches
Tracklist :
1. God Is My Lover
2. New Day
3. Birth
4. Water Lily
5. Forbidden Song
6. The One
7. The Voice Of The Lost Souls
8. The Fever
9. Tonight
10. My Empress
11. March On
12. Join Us
Youtube : empyrofficiel