The playlist – dans la tête de Spotify

par | 10 Mai 2025 | MUSIQUE, FILMS / DOCS / SERIES

⏱ Temps de lecture : 5 min

Il y a ceux qui se déplacent chez leur disquaire, collectionnent les vinyles, nettoient religieusement leurs CD et lisent les crédits comme d’autres lisent des poèmes. Et il y a ceux qui enchaînent les playlists en streaming, zappent avant même que le morceau ait eu le temps de respirer et consomment en diagonale et en X1.5 sans trembler.

Entre les deux, un monde. Et au milieu coule Spotify. The Playlist, la mini-série Netflix, revient sur cette révolution silencieuse : la naissance de Spotify, racontée à travers le regard de ceux qui l’ont construite, ou subie. Six épisodes pour comprendre comment une idée venue du froid a bouleversé notre manière d’écouter la musique. Alors, Spotify nous a-t-il volé quelque chose… ou est-ce nous qui avons laissé filer l’essentiel ?

 

The playlist - dans la tête de Spotify

The playlist – dans la tête de Spotify

 

The Playlist : une série sur un virage culturel

Sortie discrète sur Netflix, sans promo tapageuse, The Playlist s’est pourtant glissée dans nos esprits comme un refrain obsédant. Cette mini-série suédoise retrace l’histoire de la naissance de Spotify, depuis l’idée d’un jeune geek jusqu’à la révolution planétaire. Mais attention, on est loin du biopic classique à la sauce hollywoodienne : ici, chaque épisode adopte un point de vue différent. Le visionnaire, l’industrie, L’avocate, le codeur, le partenaire, l’artiste… Tout le monde a sa version du rêve, ou du cauchemar. C’est cette construction narrative qui donne toute sa force à The Playlist. Le récit devient polyphonique, comme une bonne vieille compile 90’s. Et au fond, c’est ça le vrai sujet : qui possède la musique ? Qui la contrôle ? Qui en vit encore ?

 

 

Daniel Ek, héros ou hacker ?

Au centre du récit, un certain Daniel Ek. Un gamin de Stockholm, fan de techno, brillant en code, passionné de musique, mais surtout convaincu que « la musique doit être libre, instantanée et accessible à tous. » C’est beau sur le papier. Dans les faits, Ek va casser le modèle économique des années 2000 et provoquer une guerre souterraine avec les majors. Mais le génie d’Ek, c’est surtout son pragmatisme : il comprend que pour que son service survive, il doit convaincre les maisons de disques.

Pas les combattre. Résultat : Spotify devient légal, mais le prix à payer est lourd. Partage des revenus flou, algorithmes qui favorisent les gros poissons, artistes noyés dans le flux… Les idéaux se heurtent à la réalité. The Playlist ne fait pas l’erreur de le peindre en héros. C’est un gars complexe, parfois détestable, parfois visionnaire. Et franchement, on sent que les créateurs de la série ont digéré The Social Network et toute l’esthétique post-tech : tension, silences, écrans, et cette fameuse promesse de « changer le monde« .

 

The playlist - dans la tête de Spotify

The playlist – dans la tête de Spotify

 

Six épisodes, six visions d’un même chaos

Après Daniel Ek, le visionnaire socialement maladroit mais obsédé par l’idée de « sauver la musique« , on passe à Martin Lorentzon, cofondateur, fantasque, sans filtres, plus businessman que mélomane, et complètement dépassé par la tournure que prend leur création. Ensuite vient Petra Hansson, l’avocate, personnage aussi central que sous-estimé, qui se bat contre les majors, jongle avec la légalité, et finit par poser les bases du modèle économique de Spotify. Sans elle, le projet ne serait jamais devenu légal.

L’épisode sur Bobbi T, l’artiste fictive inspirée de Zara Larsson, est un uppercut émotionnel : elle incarne les rêves et les désillusions d’une génération d’artistes propulsés par le streaming, mais noyés dans la masse, condamnés à courir après les chiffres plutôt qu’après les chansons. Puis vient Andreas Ehn, le codeur, le pur, celui qui veut créer un outil open source et voit avec amertume sa vision dévoyée par les impératifs financiers.

Enfin, Per Sundin, le patron d’Universal en Suède, qui finit par pactiser avec ses anciens ennemis, guidé par la peur de voir son industrie sombrer. Chacun a ses raisons, ses contradictions, ses justifications. Et au final, personne n’est totalement coupable, ni totalement innocent. Comme si la naissance de Spotify était un accident collectif. Un reflet parfait de notre époque.

 

the playlist netflix team

 

De Napster à Spotify : chronique d’une dématérialisation

Impossible de parler de The Playlist sans évoquer le contexte. On sortait à peine de la guerre Napster, les artistes étaient à bout, l’industrie à genoux. Et là, débarque un outil qui promet de mettre fin au piratage tout en rémunérant les artistes. Enfin presque… Parce qu’on le sait : en 2025, la majorité des musiciens ne vivent toujours pas du streaming. À part si tu t’appelles Taylor Swift ou Drake, les royalties Spotify, c’est des cacahuètes. The Playlist n’édulcore pas ça.

Et pourtant, on y reste. On y retourne. Tous les jours. Pourquoi ? Parce que Spotify est devenu notre radio, notre disquaire, notre fanzine, notre walkman. Tout ça à la fois. Comment résister à l’idée d’avoir toute la musique du monde dans sa poche, dispo en quelques clics, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ? On a troqué les piles du discman pour un abonnement premium, et les rayures qui faisaient sauter le CD pour une interface lisse sur un écran de 15 x 7 cm.

L’illusion de l’abondance totale, sans effort, sans friction. Mais à force de tout avoir, est-ce qu’on n’a pas fini par oublier comment on écoutait vraiment ? Est-ce qu’on laisse encore un album nous traverser de la première à la dernière piste ? Ou est-ce qu’on switche avant même que le refrain arrive ?

 

The playlist netflix true story

 

Et maintenant, on fait quoi de tout ça ?

On débranche tout et on retourne au discman ? On boycotte le streaming en écoutant des cassettes dans un van fleuri garé sous les pins ? Peut-être. Mais on peut aussi composer avec : acheter les disques qu’on aime, pour le plaisir de les avoir entre les mains, et streamer ce qu’on découvre, comme « Twenty Years Too Late » de Your New Favorite Tape, parce que c’est pratique, immédiat, accessible. Trouver l’équilibre.

Et puis soyons honnêtes : si demain tout saute, si blackout général, guerre mondiale avec les extra-terrestres ou bug de l’an 2033, on sera bien contents d’avoir gardé nos CD et nos lecteurs, nos piles AA, et quelques bons vieux bouquins dans le tiroir. Au même titre que le riz, les conserves et le PQ, les disques feront partie du pack de survie. La culture, c’est vital aussi.

 

the playlist netflix justice 1

 

Enfin, si on pousse la réflexion un peu plus loin, une autre question s’impose : comment, en tant que consommateur, on soutient (ou pas…), les artistes qu’on écoute à longueur de journée ? Le débat est ouvert. Mais ça, c’est une autre histoire, un autre concept qui n’a pas encore vu le jour… et probablement une autre série pour les prochaines générations.

 

the Playlist – Netflix