Kid(h)acienda

Kid(h)acienda : « On fait des bêtises, mais t’inquiète pas qu’on sait ce que c’est un fugato. »

par | 25 Juil 2025 | Interview

⏱ Temps de lecture : 12 min

Kid(h)acienda déboule sans filtre, entre chaos créatif et fulgurances lucides. Soan, Baz et Aurel balancent des blagues absurdes, rêvent d’Antilles et de biographie explosive, mais n’oublient jamais pourquoi ils font ça : créer, coûte que coûte, loin des compromis. Entretien foutraque mais sincère avec un groupe qui fait rimer absurdité et intégrité

 

 

Rock Sound : Vous semblez tous provenir de routes assez différentes, pouvez-vous vous présenter et nous refaire le parcours ? (Vous pouvez mentir.)

Soan : Alors moi c’est Soan, ménestrel de l’amour (rires). Voilà pour les présentations ! On s’est rencontrés avec Aurel’ parce qu’on avait des gens en commun y’a déjà bien longtemps. Il avait un groupe qui a souvent ouvert pour nous à l’époque du projet Soan, et avec Baz on s’est rencontrés chez Fat Mike de NOFX en 2019 à Los Angeles.

Baz : Ouais mais avant ça on s’est vus dans une partouze à Villejuif. (Rires)

Aurel : On a dit qu’on disait pas tout !

Baz : Ah oui excuse-moi (rires).

Aurel : Oui à part ça, Soan a raison. À l’époque je jouais dans Klink Clock, on avait fait pas mal de premières parties de Soan il y a plus de 10 ans et après on a joué ensemble sur deux de ses albums. Et du coup on se retrouve là pour un projet commun avec Baz !

Baz : Soan m’a d’abord contacté en 2017 parce qu’il voulait rencontrer Fat Mike, puis moi j’en avais rien à battre à l’époque (rires). Il me disait, “Tu peux faire écouter mes trucs à Fat Mike ?” Je lui disais “Mec, là Fat Mike il est censé être en studio depuis 9h du matin, je suis même pas sûr qu’il ait envie d’écouter des trucs tellement il a de neige dans les oreilles.” Au final Soan est arrivé à Los Angeles pour un concert au Viper Room et ils sont passés faire des photos shooting latex bondage, et du coup on a bu un thé (rires). Et de thé en café, de café en meringue et en berlingot, on a sympathisé.

 

Rock Sound : Et c’est comme ça qu’on fait un album !

Baz : C’est comme ça qu’on fait un album ! Surtout qu’on est tous les deux hyper actifs, on s’est dit : “Tiens, on ferait pas un album en 2 mois ?” (rires)

 

Kid(h)acienda

Kid(h)acienda

 

Rock Sound : Votre nom Kid(h)acienda m’évoque un gamin qui danserait dans les ruines d’un vieux club anglais… en parallèle aussi avec un gamin qui serait dans une immense bâtisse en Andalousie.

Soan : On est plus sur l’Andalousie. C’est un nom qui me trottait en tête depuis un moment. J’avais ce concept d’une absolue liberté musicale, comme si on avait laissé des gamins dans une hacienda, les parents se sont tirés, ils en peuvent plus. Avec eux, tout le matos pour faire de la zic. Et finalement, c’est un peu ce qu’on fait donc ça tombe bien.

Baz : On cherchait justement un truc qui pouvait trancher un peu avec l’identité “Soan chanson française” et il est arrivé avec ce nom-là qu’on a trouvé mortel.

 

Rock Sound : Votre premier single “Carnage” est comme une ritournelle avec des guitares bien tranchantes, un peu comme une comptine fiévreuse qu’on aurait laissée trop près du feu.

Soan : Pour l’anecdote, cette chanson est née à la toute fin du mix de l’album. J’ai eu une idée, je l’ai chantée sur un mémo vocal, je l’ai envoyée à Baz et je lui ai dit : “Je veux une instru comme ça”, et 20 minutes après il m’a renvoyé le morceau qui sonnait encore mieux que dans mon imagination. C’est la première fois que j’écrivais un texte, que je trouvais la mélodie directe, je le chante a capella direct, sans bafouiller, et cette première fois-là est sur le disque. C’est rare.

Aurel : C’est un ensemble d’accidents et de karma. Faut savoir qu’à ce moment-là, Baz allait fermer le studio, que c’était pas le moment. C’est un ensemble de trucs.

Baz : Ouais, c’était vraiment le dernier jour où j’étais encore en studio, je devais rentrer en France. On n’avait toujours pas d’ouverture pour l’album. Je te cache pas que quand j’ai reçu l’idée… chaque matin je me réveille, je reçois 15 mémos, je me dis “putain, qu’est-ce qu’il veut encore ?!” (rires) Et j’écoute sa chanson, je me dis “ok, je le fais, c’est vachement bien !”

Soan : C’est clairement ce que j’aimerais développer dans la suite de Kid(h)acienda, parce que là on est beaucoup partis de chansons “Soan” pour les détourner, et la prochaine fois, on va tout écrire ensemble. Là, c’est vraiment que l’échauffement. On aurait dû l’appeler “L’échauffement” l’album.

Baz : C’est ça ! (rires)

 

Rock Sound : Croyez-vous encore aux labels, à une certaine économie de marché du disque ou est-ce que c’est de l’histoire ancienne comme les CD deux titres ou les Virgin Megastore?

Aurel : La façon de consommer la musique a beaucoup changé. Des bons albums de A à Z, ça devient de plus en plus rare. Je vois que des groupes indés qui s’amusent à faire des bons albums parce qu’ils ont le temps et qu’ils veulent le faire comme ils ont vraiment envie de le faire. Malheureusement pour le reste c’est un peu compliqué. Si tu veux faire tout ce que tu veux, il faut plus ou moins rester indé. En France c’est comme ça, en tout cas je sais pas pour les US.

Baz : Je suis d’accord avec toi, c’est pareil aux US. Faut trouver le bon label qui va te permettre de faire ce que tu entends, sinon dès que tu rentres dans un système de major, t’es bridé, et il faut devenir une machine à produire du son plus qu’un artiste.

Soan : Après il y a des exceptions, tu prends des mecs comme Måneskin, ils ont faussé les règles du jeu à eux seuls. Moi, ce qui me fait chier dans cette nouvelle manière de consommer de la musique, c’est que nous, on se prend la tête avec l’ordre des chansons, l’envie de raconter une histoire sur tout un disque, et en fait il n’y a plus personne qui écoute vraiment des disques. Et c’est archi pénible. C’est comme si tu prenais un bout de la Joconde et que tu disais “Ouais, qu’est-ce que t’en penses ?” On essaye de raconter des choses, et les gens prennent plus le temps. L’autre jour, la maison de disques me disait que maintenant, en streaming, tu peux trouver des versions qu’ils appellent “Speed Up”, où la chanson est accélérée parce que les gens ont pas le temps. Et apparemment certains streams de cette merde sont plus importants que les originaux. C’est lunaire. Je pense que tout ça va s’effondrer gentiment comme tout le reste.

Aurel : Ouais mais le Big Bang, c’est dans longtemps, c’est ça le problème.

Soan : Non non, je parle pas du Big Bang, je parle de ce système de merde qui va forcément péricliter parce qu’on a atteint une limite dans absolument tous les domaines. Pour moi, le retour au vrai, il est imminent. Les gens en ont de plus en plus envie. Dans les quatre coins de la France l’été, y’a des guinguettes, parce que les gens ont besoin de se retrouver. Je pense que ce retour au réel, il va faire mal à ceux qui nous font du mal depuis bien longtemps, mais nous, il va nous faire du bien en revanche.

 

Kid(h)acienda

Kid(h)acienda

 

Rock Sound : Avec les plateformes de streaming, on a l’impression que la musique devient un flux sans fond. Comment Kid(h)acienda se sent exister là-dedans ? Est-ce un mal nécessaire d’être présent sur les plateformes aujourd’hui ?

Soan : J’suis partagé là-dessus. J’m’embrouille tout le temps avec mes potes musiciens parce qu’eux trouvent que c’est une belle vitrine, mais je trouve que c’est une escroquerie. Parce que ça serait aussi une belle vitrine si les artistes étaient correctement rémunérés. Là, c’est du foutage de gueule, c’est une poignée qui empoche tout et les autres qui prennent ce qui reste, c’est-à-dire rien. C’est vraiment la plus grosse escroquerie. Normalement cette industrie du streaming, c’était supposé éviter le peer-to-peer, mais en fait on est à peine plus payés que pas payés. Et puis les maisons de disques auraient dû gérer ce virage elles-mêmes, mais elles se sont encore une fois assises sur leur thune, elles n’ont pas été réactives aux nouvelles technologies et surtout elles n’ont pas protégé leurs artistes.

Baz : Même au-delà de l’économie en elle-même, d’un point de vue moral c’est un peu dommage. C’est un peu le phénomène épistémologique d’Internet. C’est comment on en est arrivés à avoir un outil qui était censé nous ouvrir sur le monde et qui en fait nous a mis des œillères. Quand tu vois la quantité de musique à laquelle on a accès… et en fait on écoute toujours les mêmes trucs. Moi le premier.

Soan : Ça a niqué le côté sacré. Avant fallait sortir de chez toi pour aller chercher un disque. Tu passes pas tous les jours chez le disquaire pour savoir si le disque est arrivé ou pas. On les harcelait les disquaires pour avoir les imports. Fallait se cultiver d’une manière ou d’une autre. On se faisait tourner les disques. Tandis que maintenant, on est plus qu’un putain de fichier MP3 dans une playlist. Mais par contre, est-ce qu’on a une place là-dedans ? Je dirais que la réponse est assez facile : c’est qu’on en a rien à foutre. Nous, on fait ça pour jouer sur scène. Si demain les gens trouvent encore une autre technologie ou reviennent aux K7, ça change rien. On le fait parce qu’on a besoin de le faire intimement. Les gens font comme ils veulent : y’en a qui achèteront le disque, y’en a qui l’auront même en vinyle, y’en a qui l’écouteront rien qu’une fois en streaming parce que ça sera par le hasard d’une playlist… mais ça, c’est pas notre problème.

Notre problème c’est de faire un bon disque et de le défendre bien sur scène. Moi, ce qui me rend ouf, c’est qu’avant l’apparition du streaming, j’étais en contrat normal avec Sony Music et ils m’ont demandé que dalle avant de filer mes disques, parmi tout le reste, aux plateformes. C’est-à-dire que moi, j’ai même pas eu le choix de dire oui ou non. Ce moment où on te demande si tu as envie d’être sur les plateformes de streaming n’est pas arrivé : je me suis réveillé un matin et j’y étais en fait. On n’a plus tellement le choix. Moi ce que je comprends pas, c’est que les gens arrivent à être OK avec le fait de se commander un pull fait en Chine, mais que tout de suite ils trouvent ça relou d’acheter un disque en ligne. Moi par exemple, j’ai iTunes, mais je paye tous mes disques. J’ai peut-être 17 000 disques dans mon téléphone. Je dépense des fortunes là-dedans. C’est comme quand je vais chez le boulanger : je me sens pas obligé de lui voler un petit pain à chaque fois.

Aurel : Aujourd’hui, la musique est moins précieuse, moins sacrée.

Baz : Exactement. Les maisons de disques auraient dû avoir la même résistance qu’elles ont maintenant face à l’IA. Je sais pas comment c’est en France, mais ici, quand les premières chansons vraiment crédibles faites par des IA sont sorties en février dernier, les maisons de disques ont tout de suite dit non. “Non, on diffuse pas, on partage pas ce genre de merdes, sinon on est foutus.” Ils auraient dû faire ça avec les plateformes de streaming, poser une limite. En fait, ils ont laissé faire. On peut toujours partir sur des longs débats de longue haleine pour trouver où est la liberté dans le libéralisme (rires).

Aurel : Quand on parle d’IA, je sais plus ce qu’on peut légitimer ou non dans l’art, que ça soit dans la distrib’ ou la fabrication. Là, on arrive vers juste une poussière d’un problème qui est beaucoup plus gros que ce qu’on croit.

Soan : Je suis optimiste là-dessus. Pour moi, le monde va se scinder en deux camps : ceux qui veulent être dans un appart ultra connecté avec tout qui marche et répond au son de leur voix, et ceux qui veulent une maison avec un petit jardin.

Aurel : Ça dépendra des possibilités autorisées peut-être, mais ça c’est encore autre chose.

Soan : Un nénuphar il a ses racines dans la vase, y’a toujours un truc qui poussera quelque part.

Aurel : Bien sûr !

Soan : J’suis pas du tout inquiet pour ça. Tu laisses une route sans t’en occuper pendant 3 semaines, t’as plein de pâquerettes qui poussent. La nature reprendra ses droits, et eux ils vont tomber, nous non. Il faudra toujours planter une graine pour qu’elle pousse. Putain le mec fait son Jean-Claude Van Damme (rires).

Baz : Mais du coup Kid(h)acienda, c’est la graine ou c’est la route ? J’comprends pas. (Rires)

Soan : Kid(h)acienda, c’est la pâquerette qui pousse à travers ce goudron de merde.

Aurel : C’est la vibration de la nature, Kid(h)acienda !

Soan : Mais ouais, y’a vraiment une logique là-dedans. C’est de se dire que puisque de toute façon ça nous rendra pas milliardaires, pourquoi les artistes sont pas plus libres aujourd’hui ? D’un côté t’as des mecs qui essayent de pondre des singles de merde, de l’autre t’en as qui se vantent de faire 3 milliards de streams. Bah c’est bien mais tu t’es fait enculer 3 milliards de fois en fait. Et en plus tu fais la pub à Spotify comme un gros débile, et tu as fait exactement ce que Spotify attendait de toi. Donc en fait, t’es un larbin qui est content de lui.

Baz : C’est l’esclave aliéné. On prend conscience des limites du système dans lequel on évolue. Nous, on veut s’éclater dans notre créativité, faire un album qui a du sens, même si c’est pas pertinent dans notre époque, pour nous c’est important.

 

 

Rock Sound : On va essayer de se projeter un peu. Comment et où vous voyez-vous dans le monde de la musique dans 10 ans ?

Soan : Alors moi, vers Roubaix, et oui. (Rires). De toute façon je sais faire que ça, donc automatiquement… Ou Rmiste aux Antilles !

Baz : Ça a l’air top, moi je viens avec toi !

Aurel : Génial, moi aussi ! On n’a qu’à faire la même chose que maintenant, mais là-bas !

Baz : On va faire un deuxième album, il va être très bien. Le troisième, il va être nul, après on va se droguer et on se tue. (Rires). Je serai toujours dans la musique dans 10 ans. En réalité, j’ai un rapport assez particulier avec cette industrie. C’est pour ça que j’aime bosser avec des gens comme Aurel ou Soan : ce sont des gens un peu hors circuit, des gens qui ont une culture alternative. C’est pour ça que je suis bien dans Kid(h)acienda. J’ai pas cette envie de faire de la musique à base de compromis. C’est pas le but du jeu. Le but, c’est de toujours s’éclater. Je serai toujours là, mais je serai pas forcément avec des artistes mainstream. S’exprimer avec la musique, ça reste un moyen de trouver du sens dans ce monde compliqué.

Soan : D’une manière ou d’une autre, on fera toujours la même chose. Même si demain on est peintres ou écrivains ou quoi que ce soit, ça sera toujours pour exprimer le même truc. Que je sois là-dedans ou dans autre chose ou en pleine forêt amazonienne, y aura toujours une envie de performance face au monde, pour avoir une biographie marrante. Ça a toujours été mon but. (Rires)

 

Rock Sound : Et une épitaphe stylée !

Baz : Sur l’épitaphe, on verra : « Il a bien ri ». (Rires)

Aurel : Je veux écrire ta bio ! J’ai trop de trucs drôles à y raconter que les autres ne savent pas !

Soan : Sans déconner, je cherche quelqu’un pour le faire, j’en ai parlé au label !

Aurel : Ah bah ça va être super ! Faut qu’ils m’appellent, j’ai des dossiers qu’ils ont pas !

Soan : Ah bah je veux bien les entendre moi aussi… Mais pas maintenant hein ! (Rires)

Baz : Pas de Me Too avant le deuxième album, les gars, on l’a répété 10 fois ! (Rires)

Soan : Enfin, tu sais, le nombre de merdes qu’on a écrites sur moi, je pense qu’une de plus ou une de moins…

 

Kid(h)acienda

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Rock Sound : Je me suis laissé entendre qu’il y aurait un nouveau single bientôt. Qu’il s’appellerait Romanivresquement. Vous pouvez m’en dire plus ?

Baz : Romanivresquement, c’est un titre de Soan sur lequel on avait travaillé il y a de ça 3 ans, et on l’a refait façon rock, avec ce hook à base de n’importe quoi.

Soan : Ça, c’est une idée de dernière minute. À 2h du mat, je laisse un message à Baz où je lui dis : « T’imagines s’il y avait une espèce de chorale qui chanterait “N’importe quoi, ’porte quoi” ? » Je pensais qu’il allait me dire non, et en fait il me dit : « Ouais ouais, c’est pourri, j’vais le faire. » (Rires)

Aurel : Tu vois, c’est là tout le talent de Kid(h)acienda : c’est de savoir surprendre.

Baz : Du coup, je me suis retrouvé à chanter ce gimmick dans ma cabine de chant comme un teubé, les voisins qui ont commencé à taper sur les murs… C’était n’importe quoi. (Rires)

Soan : Ouais, puis on a le souci du détail dans la connerie : y a quand même une chorale de « n’importe quoi » en contrechamp et tout. On est au service de la débilité.

Baz : On fait des bêtises, mais t’inquiète pas qu’on sait ce que c’est un fugato. (Rire)

Soan : Un jour on sera reconnus comme des génies, mais les gens sont pas prêts. C’est trop tôt.

 

Rock Sound : Et alors, on peut voir ça quand et où ? Quid des concerts ?

Baz : Pour l’instant on book un peu de notre côté. On est sur des dates pour fin novembre / début décembre, mais on cherche un tourneur pour gagner du temps.

 

Rock Sound : Donc pour toi, Baz, ça veut dire revenir en France ?

Baz : Pour cette tournée, oui. Ou alors on la fait à la Mélenchon, en hologramme.

Aurel : Sinon on fait que des lives Zoom ?

Soan : Dis pas ça trop fort, si ils t’entendent ils vont valider l’idée ! (Rires)

 

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Label : Label d’à Côté