À peine cinq mois après I Just Want To Be A Sound, Kadavar revient avec K.A.D.A.V.A.R., un titre en forme d’acronyme — Kids Abandoning Destiny Among Vanity And Ruin — qui résonne presque comme une question : dans un monde où la jeunesse abandonne son destin entre vanité et ruine, que reste-t-il du rock lourd des seventies ? Avec ce nouvel album, le groupe allemand retourne à ses fondamentaux : riffs gras, grooves massifs et fuzz omniprésente, oscillant entre survie musicale et exploration de son ADN originel.
Il y a des disques qui arrivent comme des objets anachroniques, des blocs entiers arrachés à une autre époque et parachutés dans la nôtre. Ici, dès les premières secondes, on comprend qu’il ne s’agira pas d’un exercice de modernisation. Kadavar avance tête baissée, comme si les quarante dernières années n’avaient été qu’une longue parenthèse inutile.
Mais alors, à quoi ressemble un groupe qui revendique encore et toujours la lourdeur seventies en 2025 ? Est-ce que le rock heavy-psych a encore quelque chose à dire au-delà de son esthétique patrimoniale ? Et surtout : est-ce que ça vaut la peine de refaire ce qui a déjà été fait des centaines de fois depuis 1972 ?
Kadavar connaît parfaitement la réponse — ou refuse de la donner, ce qui revient peut-être au même. Le groupe ne s’excuse de rien, n’explique rien, ne cherche même pas à maquiller son amour de la transgression rétro. Il joue dans la continuité de son œuvre avec une tranquillité presque déconcertante : riffs granuleux, attaques sèches, morceaux construits autour d’un groove qui suinte la poussière, et cette manière bien à eux de faire sonner la saturation comme une matière vivante, presque respirante. Tout est bien fait. La production tape juste, le son est massif sans être boursouflé, les musiciens jouent comme s’ils étaient nés dans un studio de Hambourg en 1974. Mais voilà qu’ à force de maîtriser les codes, Kadavar ne les interroge plus vraiment. Le groupe récite une grammaire dont il connaît chaque virgule.
Dès “Lies”, le groupe ne cherche même pas à clarifier quoi que ce soit : il envoie un riff énorme, granuleux, un groove de dix tonnes qui t’écrase la cage thoracique, comme pour rappeler que la seule réponse possible, chez Kadavar, se formule en décibels. Mais ce retour aux sources n’arrive pas par hasard. Le groupe sortait tout juste de I Just Want To Be A Sound, un disque expérimental, presque astral, qu’il fallait faire pour survivre. L’alternative, c’était continuer en pilotage automatique… ou tout détruire pour reconstruire autrement. Ils ont choisi la deuxième option. Et aujourd’hui, “K.A.D.A.V.A.R.” sonne comme ce que dit Tiger Bartelt : un négatif de l’album précédent, un miroir inversé. Là où le groupe errait dans des paysages sonores, il replante aujourd’hui un drapeau dans la fuzz noire et dégoulinante.
“Stick It”, lui, s’impose comme le morceau le plus tubesque de tout l’album. Une ligne de guitare insolente, presque slacker rock, qui colle instantanément au cerveau. Kadavar n’a jamais été un groupe à singles, mais celui-là, il pourrait réveiller une salle entière. Le son est toujours fait maison. Tiger est repassé derrière la console, sur bande, avec son vieux kit acrylique : retour au ventre-mère du groupe. Mais ce n’est pas juste un geste vintage, c’est une manière de dire que la modernité n’a jamais été leur moteur. Ils reviennent à ce qui leur fait plaisir, simplement, et ça s’entend. “K.A.D.A.V.A.R.” enfonce son regard dans un monde cramé, c’est un album de fin de cycle, un constat acide, parfois presque cynique — un peu leur War Pigs à eux. On y sent la colère, la lassitude, mais aussi une énergie renouvelée, paradoxale, la destruction comme carburant.

Kadavar – K.A.D.A.V.A.R.
Surtout qu’ils ne sont plus le trio d’origine : l’arrivée de Jascha Kreft a déplacé le centre de gravité du groupe. Son implication remet du chaos, de la créativité, une manière différente de penser la structure des morceaux. Kadavar n’est plus une machine bien huilée : c’est une bête à quatre têtes qui réapprend à rugir. C’est un retour à la maison, mais après une épopée nécessaire. Une façon de dire : voilà ce qu’on est, voilà ce qu’on sait faire, et voilà pourquoi ça compte encore.
C’est peut-être ça, finalement, le vrai propos. Kadavar ne fait pas du revival, il fait du survival. Une persistance, comme une obstination presque politique. Comme si rejouer un passé fantasmé était une manière de refuser un présent que l’on dédaigne, dont on ne veux plus nourrir les illusions encore moins les compromis.
Reste que l’émotion, elle, vacille un peu. On retrouve des moments plus aventureux, des ruptures, des respirations qui laissent croire que Kadavar pourrait sortir de son propre labyrinthe. Mais ces éclats-là s’éteignent trop vite. Comme si le groupe n’osait pas entièrement se défaire du confort de ses propres certitudes. Le disque est solide, très solide même, mais il n’est jamais dangereux. C’est peut-être ce qui le retient de devenir vraiment grand.
Sur le dernier titre, « Total Annihilation », Kadavar semble enfin trouver une beauté dans son propre chaos, avec plus d’air, moins de souffre, et cette fois un vrai risque pris pour s’élever. Une chose est sûre : dans un paysage musical obsédé par la mutation permanente, ils reste un point fixe. On peut leur reprocher leur immobilisme, mais on ne peut pas nier la sincérité du geste. La fuzz, la lourdeur et le groove n’y sont pas un décor, mais une croyance. À chacun de décider si cette fidélité absolue est un cul-de-sac ou un acte de foi.
Site officiel Kadavar : kadavar.com
Instagram : kadavargram





