Après 12 ans de dormance, Deportivo revient avec Reptile, un album aussi réussi qu’inattendu où l’hibernation mène à la renaissance.

Chronique Deportivo « Reptile »
Retrouver un ami après plus de dix ans, c’est souvent le meilleur moyen de constater que le temps laisse des marques. Autant sur nous que sur lui, qu’on est moins d’accord sur tout, que les choix que l’un a faits, l’autre ne les comprend pas forcément et que les idées bougent, trahissent même parfois celui que l’on prenait pour un frère. Alors oui, on a vécu de belles années, certes, mais peut-être qu’il aurait fallu ne pas se revoir, peut-être qu’il aurait fallu que ça s’arrête là. Ne rien regretter, penser à demain, recommencer, partir un jour sans bagages, oublier ton image…
Et pourtant rien de tout ça. Dans le miracle d’un retour que personne ne prédisait, Deportivo réussit l’impossible : revenir plus vieux mais inchangé, infiniment jeune, frais, et encore plus fort qu’avant.

Deportivo « Reptile »
Douze années se sont écoulées depuis le précédent disque, Domino, et quatorze depuis Ivres et débutants, album parfait qui confirmait un virage plus électro-rock, où quelques cris subsistaient. Jérôme nous hurlait « Le Bruit Que La Vie Fait », et force est de constater que la vie n’aura laissé passer ni rides, ni renoncements. Ici, rien n’a bougé, si ce n’est peut-être cette fureur d’antan semble aujourd’hui décuplée comme si la fougue était, chez eux, une force exponentielle.
Leur poésie, rageuse et enlevée, ne les a pas quittés non plus. En témoigne « J’aurais Dû T’en Parler », titre où je ne peux m’empêcher d’entendre une chanson habitée par d’autres chansons, celles qu’ils n’auraient pas trouvée l’occasion d’enregistrer. Comme un aveu intime et générationnel, adressé à quelqu’un qui n’est pas nommé. Peut-être un ami, un amour, un public, ou peut-être à la part de soi qu’on aura laissée derrière.
Au gamin, à l’ado qu’on a été, qu’on est encore, et qu’on voudrait serrer contre soi pour lui dire que ça ira, peut-être. Oui, c’est certain même, parce que Deportivo continuera à sortir des disques et à faire des concerts dingues en 2025. Alors ça ira forcément, ça sera plus simple, la vie et le bruit qu’elle fait.
Si ce disque et ce groupe nous touchent tant, ce n’est pas par nostalgie, mais avant tout par sa sincérité et sa fidélité. Cette façon qu’a le groupe, depuis toujours, de faire vacarme avec sa tendresse et inversement. Cette manière assez unique de chambouler, à grands coups de guitares, nos colères bien planquées et de nous apaiser dans un grand fracas et en français dans le texte. Lui aussi on l’avait un peu perdu notre français, même si récemment une poignée de groupes semble vouloir honorer, plutôt avec talent, la langue de Kyo (on pense notamment à Pogo Car Crash Control, Feu! Chatterton ou Rallye).
Mais au fond, ce n’est pas une question de langue, plutôt une question de langage.
Il est question de ce qu’on veut dire, de ce que l’on veut traduire en nous. C’est une façon d’éluder l’évidence, de contourner le consensus pour se concentrer sur le sensible qui gravite autour de nous. Le français du rock de Deportivo ne sert ni à chercher la beauté surannée, ni le lyrisme perdu entre Verlaine et Rimbaud, il sert à rendre son bruit plus intense, plus proche, plus vrai.
Comme un grand vin gagne en profondeur avec le temps, la musique de Deportivo a pris la mesure de sa parenthèse en gagnant en puissance, comme si l’arôme s’était concentré et affiné, pour qu’aujourd’hui ils sortent l’album qui est le plus fidèle à ce qu’ils ont toujours été, le disque qui leur ressemble le plus et peut-être même le plus réussi.
Deportivo – « Reptile »
Tracklist :
1. Reptile
2. (L)égo
3. Révolution Benco
4. Fiasco
5. J’aurais dû t’en parler
6. Alloués
7. Rubikscube
8. Traînards
9. Perdu
10. Avide
Sorti le 27 février 2025 en indépendant.
Genre : Rock/Noise Tendre à texte