Deux ans après notre précédente rencontre pour son album avec Peter Doherty, nous retrouvons Frederic Lo en terrasse parisienne pour parler de son dernier effort solo L’Outrebleu, un disque marqué par les disparitions successives de sa sœur et sa mère. La veille, Hugh Cornwell l’ex-chanteur des Stranglers jouait devant 200 personnes au Petit Bain. Une prestation qui a attristé Lo qui s’interroge sur la chute de l’ancien leader des hommes en noir, et qui, mine de rien, continue de disserter sur ses sujets de prédilection : les cramés du rock, leur chute et leur rédemption, une histoire de vie et de mort, décidément !

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L’Outrebleu est un album très intimiste, très court et assez sombre.
Frédéric Lo : Sombre et lumineux, l’an dernier j’ai perdu ma mère et trois mois après ma sœur. C’est un disque sur le deuil et une lettre d’amour aux gens que tu perds, une élégie si tu veux… C’est un chemin de vie mis en musique. Ce n’est pas de l’intime de retrait, mais un disque qui va vers l’avant.
C’est aussi un album dépouillé : il n’y a quasiment pas de percussions !
Frédéric Lo : J’aime me fixer des contraintes. C’était peut-être un moyen de me distancer des arrangements et des cordes de The Fantasy Life of Poetry & Crime. Je voulais donner à mes compositions un fond de hip-hop sans en faire ! Avant son pétage de plomb, j’aimais beaucoup Kayne West ou Kendrick Lamar lorsqu’ils font dans la prod dépouillée.
Il y a aussi mon éducation musicale : « Last Madeleine », ça vient de mes cours au conservatoire, une pièce de musique contemporaine à la base, ce n’était pas fait pour être une chanson. C’est assez Steve Reichien comme morceau avec Clément Ducol qui joue du Marimba. Il vient d’avoir un Oscar pour la musique d’Emila Perez.
« Ne plus penser à vous » est probablement la plus belle chanson de ta carrière. Il y a tellement d’émotions que c’en est presque insupportable.
Frédéric Lo : Merci ! Cette chanson, ce texte étaient déjà écrits avant la mort de ma sœur et ma mère. C’était sur Daniel et un ami qui s’est suicidé à 23 ans. C’est un peu comme revisiter des lieux avec une mémoire commune, des émotions aigres douces entre la douleur de la perte et le souvenir de ces bons moments.
« You Look Fresher Now » voit une nouvelle collaboration avec Doherty. Où en est votre deuxième album ?
Frédéric Lo : On a composé trois chansons avec Peter en juillet. On n’arrête pas de bosser depuis, on va s’y remettre, je ne sais pas quand. Il faut que je te parle du titre de cette chanson : elle raconte une anecdote sur mon ami d’enfance, Marc-Antoine Moreau. Il avait une énergie dingue, il est devenu directeur artistique chez Barclay : « Osez Joséphine », c’est lui. Il a signé Amadou et Mariam. Il est mort d’un palu foudroyant. Un jour, il est sur un long courrier Los Angeles-Londres en business class.
Il ne dormait jamais, il passe 20 minutes dans les toilettes de l’avion, pour se repeigner, changer de chemise, il sort, il y a une queue pas possible à cause de lui et là un mec lui fait un grand sourire et lui dit « You look fresher now ». C’était David Bowie ! Doherty a adoré cette histoire et j’en ai fait une chanson !
« Laisse-moi t’offrir » semble avoir été composée par Leonard Cohen. D’ailleurs dans son architecture, la couverture de ton album rappelle celle de You Want It Darker
Frédéric Lo : Merci pour ce compliment, j’adore Cohen ! J’ai un ancêtre ashkénaze. J’ai toujours eu une attirance pour la musique yiddish. Ce morceau en fait partie comme « The Fantasy Life ».

You Look Cohen, Now ! ©Nicolas Despis
Qui est cette chanteuse qui intervient sur l’album ? Ses interventions sont magnifiques.
Frédéric Lo : Il s’agit de Gaëlle Kerrien qui voulait jouer avec moi depuis vingt ans. Elle a fait trois tournées mondiales avec Yann Tiersen et on voulait faire un truc ensemble. Elle chante sur huit chansons de l’album.
« Une année particulière » semble tout droit sortie de « Crève-cœur » avec cette instrumentation Frédéric Lo !
Frédéric Lo : Le titre part d’un sms de mon ami Alex Beaupain qui m’envoie un message après cette série de deuils : « Tu passes une année particulière. » Je lui réponds « Particulièrement ». C’est possible que ce soit mon « Crève-cœur » à moi. Tu sais que dans ce disque aussi, il y avait un fond de hip-hop déjà. Avec Daniel Darc, on écoutait Dr Dre ou le Wu-Tang-Klan. J’ai toujours aimé le rap en tant que musique alternative.
Parle nous de Madeleine…
Frédéric Lo : Madeleine c’était ma mère. Je l’ai appelée par son prénom à la fin de sa vie. J’étais en thérapie et je ne sais pas de qui je parle vraiment dans cette chanson, en fait. C’est un texte un peu à la Modiano : je décris une personne en écriture automatique. C’est enregistré au studio Atlas de Air.
Ta voix est si douce. T’arrive-t-il de te mettre en colère ?
Frédéric Lo : (Surpris) Ta question vient à point. La colère, c’est la culpabilité d’être vivant. Après mes deuils, j’avais une colère dingue en moi, d’où ma thérapie. Je ne suis pas violent physiquement, mais verbalement oui, je peux y aller ! Je l’ai dit à Peter : « S’il m’arrive de dérailler, ne m’en veux pas » (rires) Ce n’est pas arrivé !
Il y a cette mélodie magnifique sur « Doux ou » et cet instrumental « Pigalle en décembre » avec sa mélancolie contagieuse.
Frédéric Lo : J’avais envie qu’il y ait des instrumentaux sur l’album. Le succès avec Peter a été libérateur. J’ai parfois joué ces morceaux en avant-première sur scène avec Peter, on avait que 50 minutes alors je jouais « Laisse-moi t’offrir », « Cet obscur objet du désir » « Ne plus penser à vous ». Peter, adorait ça ! Beaucoup de ces textes ont été écrits dans l’euphorie de la tournée, tu vois ce n’est pas si noir ! Pour le prochain disque, je rêve quand même de quelque chose de plus solaire.
« Notre vie est voyage » est si profond. C’est à en arracher des larmes ! C’est aussi le morceau le plus complet au nouveau de l’instrumentation avec Robin Guthrie des Cocteau Twins.
Frédéric Lo : Je suis fan de ce groupe et nous avions un ami commun. Il est venu à un concert avec Peter et on a pris rdv. Il est hyper timide, et nous avons travaillé à distance. J’aurais aimé l’avoir en studio.
Comment se prépare la scène ?
Frédéric Lo : Je fais une petite tournée dans le sud puis à Brest avec Gaelle Kerrien. J’anime aussi une Masterclass à Lausanne et un concert à Paris le 10 juin. Rocksound est invité ! Je ne sais pas encore s’il y aura des guests mais j’ai ma petite idée (sourire).

Flou artistique ©Nicolas Despis
Instagram de Frédéric Lo : https://www.instagram.com/frederic.lo.official/