Il fut un temps où un clip pouvait changer la trajectoire d’un groupe. À l’époque bénie de MTV, une vidéo bien sentie suffisait à graver un morceau dans la mémoire collective, à donner un visage à une émotion, à transformer une chanson en expérience. Aujourd’hui, alors que ce monument des 90’s s’apprête à faire écran noir, que reste-t-il de notre rapport au clip ? Trop souvent devenu une formalité, à consommer toujours plus vite, noyé parmi des milliers de contenus… Et pourtant, certains continuent de croire que l’image peut encore porter le son plus loin, que le clip peut être un geste artistique à part entière, un ingrédient au même titre que la guitare, la basse et la batterie. Amness est définitivement de ceux-là.
Quand la musique appelle l’image
Avec leur nouveau clip « The Smoke Of Dawn », Amness ne se contente pas d’illustrer un morceau. Le trio du Sud-Ouest prolonge une vision déjà à l’œuvre sur leurs précédents EP — dont le dernier très remarqué Ego Circus sorti cette année : celle d’un rock tendu, introspectif, parfois brutal, mais toujours profondément humain.
Le titre raconte l’histoire d’un type à contretemps. Un corps cloué dans un lit, incapable (ou refusant) de répondre à l’injonction permanente de productivité, d’adaptation, de normalité. Une figure familière, presque banale, dans un monde qui ressemble de plus en plus à un cirque permanent. Le clip traduit cette idée avec une évidence désarmante. La couleur surgit dans les moments d’introspection, comme des éclats de conscience. Le reste du monde se déploie en noir et blanc, mal dessiné, bancal, volontairement naïf. Une réalité extérieure grotesque et absurde, qui écrase l’individu. Le contraste est fort, immédiat, viscéral. Et surtout, il fait sens. Rien n’est décoratif ici.
Et le chaos affleure
Impossible de ne pas penser au Joker et à l’interprétation vertigineuse de Joaquin Phoenix lorsque son image apparaît furtivement, comme une ombre qui traverse l’écran alors que tout bascule. La ville, jusque-là figée dans un noir et blanc étouffant, se fissure. La fumée se diffuse en couleur, le décor explose, sa silhouette surgit pour semer le trouble, incarner le chaos latent. Plus qu’un clin d’œil, cette apparition agit comme un symbole : celui d’un monde qui craque, d’une violence contenue qui finit par déborder. Amness le convoque pour ce qu’il représente : la bascule, l’implosion, le point de non-retour. Une image forte qui vient clore le récit sans jamais le surligner.

Amness – photo by Laëtitia Graer
Le visuel comme prolongement des tripes
Chez Amness, la vidéo n’est pas une couche ajoutée après coup. Il fait partie intégrante de l’ADN du groupe. L’animation s’est imposée comme un terrain de jeu et de liberté, là où le tournage classique impose trop de contraintes pour des groupes indépendants : budgets impossibles, équipes lourdes, compromis artistiques. Pour « The Smoke Of Dawn », tout commence par le dessin. Des visuels réalisés à la main sur Procreate, pensés comme une matière brute avant d’être animés image par image.
Un travail colossal, exigeant, parfois épuisant. Pour tenir le rythme sans sacrifier la création, Amness a fait le choix d’utiliser de nouvelles fonctionnalités d’IA intégrées aux outils. Pas pour générer à leur place, mais pour accélérer un processus déjà existant, déjà pensé. Une approche honnête et lucide, loin des fantasmes technophobes comme des raccourcis faciles. Ici, l’outil reste au service de l’idée. Le résultat conserve une vraie patte artisanale : traits volontairement imparfaits, humour noir, décalage permanent entre la gravité du propos et la naïveté apparente des dessins. Une esthétique qui colle à leur musique comme une seconde peau.
Une expérience globale, jusque sur scène
Cette exigence visuelle ne s’arrête pas aux clips. Depuis le début, Amness travaille à transposer cet univers sur scène. Résidences, tests techniques, projections, recherches sur les lumières : le groupe poursuit ses expérimentations, déterminé et avec les moyens du bord — 100 % DIY oblige — sans jamais renoncer à sa vision. L’objectif n’est pas d’impressionner, mais de plonger dans leur vortex. Des ambiances sombres, du monochrome, quelques éclats de couleur surgissant au bon moment, une scénographie pensée pour accompagner la tension de leur musique. Chaque concert est envisagé comme une expérience complète où le son, l’image et la lumière dialoguent pour impacter avec sens leur public.

EXCLU – Amness dévoile son nouveau clip « The Smoke Of Dawn »
La suite s’écrit déjà
Après l’excellent Ego Circus qui nous avait clairement démontré la promesse d’Amness, un premier album est en préparation pour une sortie au printemps 2026. Le groupe avance sans précipitation, peaufinant ses structures, affinant ses textes, pour nous livrer une quinzaine de titres prêts à nous emporter encore plus intensément dans leur univers post-punk. Côté scène, plusieurs dates sont à venir, dont une sélection remarquée pour le festival Bordeaux Rock qui se tiendra en mars 2026. Des étapes importantes pour un groupe qui avance sans label, sans plan marketing agressif, mais avec une conviction intacte : celle que le travail, la cohérence et l’intégrité finissent toujours par trouver leur public.
Avec la création de vidéos originales pour nombre de leurs morceaux, Amness rappelle une chose essentielle : un clip peut encore être un acte fort. Un espace de création, de narration, de résistance même, face à la standardisation et à la vitesse imposée. Ici, la musique se regarde autant qu’elle s’écoute. Et dans un paysage saturé de contenus jetables, cette exigence-là fait toute la différence.





